• "Je verrai toujours vos visages", un film sur le pardon ?
  • Actrice et danseuse
  • Une carrière fluctuante mais fournie
  • Son mot de la fin
  • 14 questions après minuit

Par une glaciale nuit d’hiver, un petit escalier étroit et pentu conduisant jusqu’aux deux derniers étages d’un hôtel particulier du Marais. C’est là que vivent en transit jusqu’au printemps, avant de déménager rive gauche, Élodie Bouchez, son compagnon le Daft Punk Thomas Bangalter et leurs deux garçons, Tara-Jay, 21 ans, et Roxan, 14 ans.

Une maison à majorité masculine absolue puisqu’Élodie tient à mettre dans le lot Sunny, le golden retriever mâle qui, ce soir-là, « est sorti faire un tour dans les bars  ». « C’est rigolo de vivre avec autant de garçons  », résume-t-elle, et on veut bien la croire.

Au milieu de portants croulant sous les vêtements de toutes les couleurs, de cartons pleins ou vides, d’objets posés par terre, la maîtresse des lieux accueille près d’un feu de cheminée, cependant que passe sur la platine un album de Bob Dylan.

De la musique en accompagnement à ses mots comme si la pudeur, ou peut-être la timidité, exigeait chez Élodie Bouchez de ne pas se tenir seule à la barre. La musique et la voix de plainte écorchée de Dylan va bien en contrepoint de son timbre harmonieux, à la fois doux et solaire comme ce sourire qui l’habite à chaque instant.

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« Je verrai toujours vos visages », un film sur le pardon ?

Elle tient l’un des rôles principaux de Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry, une plongée aussi vibrante qu’intense dans le milieu de la justice restaurative, cette approche relativement nouvelle où l’on tente de cautériser les plaies de victimes et faire réfléchir leurs agresseurs en les faisant se rencontrer. Un nouveau rôle social, après le poignant Pupille, pour le tandem Herry-Bouchez.

« Je n’avais jamais entendu parler de la justice restaurative, comme la plupart de gens, jusqu’à ce que Jeanne m’explique au téléphone pendant le confinement qu’elle écrivait un scénario là-dessus. Je ne savais pas qu’elle pensait à moi pour un rôle et puis, un an après, elle me l’a fait lire.  » Élodie y campe, parmi plusieurs histoires parallèles tenues par d’autres comédiens et comédiennes, une juge confrontée à la douleur d’une jeune femme (interprétée par Adèle Exarchopoulos) violée dès l’enfance par son demi-frère qu’elle avait fini par dénoncer.

Condamné à trois ans de prison ferme, le voici libéré et de retour en ville, à la fureur et à l’effroi bien légitimes de sa demi-sœur. Juge de paix en équilibre précaire sur un terrain miné, le personnage interprété par Élodie Bouchez ne coupe jamais ni l’un ni l’autre, recueille et accueille la parole sans jamais influencer, sans jamais prendre parti ni conseiller.

La justice restaurative n’est pas là pour faire en sorte que les gens se pardonnent.

« C’est une posture très spécifique que montre bien ce film d’action psychologique s’interrogeant sur la notion de pardon. La justice restaurative n’est pas là pour faire en sorte que les gens se pardonnent, mais bien plus dans un but de réparation, de restauration.  »

Le pardon… On voudrait savoir  : dans la vie, accorde-t-elle facilement le sien lorsque quelqu’un l’a blessée  ? « Je pense que oui… En tout cas, au bout d’un moment, j’oublie les coups désagréables qu’on a pu me faire… Dans un premier temps, j’ai tendance à être rancunière mais ça se tasse, quitte à faire sortir des gens de ma vie s’ils m’ont trop fait chier. (Elle rit.)  »

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Actrice et danseuse

Lorsqu’elle ne tourne pas, elle n’arrête pas pour autant  : les rendez-vous avec les gens du cinéma, les scénarios à lire… Justement, les fait-elle lire à son musicien  ? «  Non, ou alors quand j’ai un doute ou quand j’hésite à dire oui, mais c’est assez rare. Idem du côté de Thomas, concentré deux années sur l’écriture de la musique de Mythologies (Redonné du 8 au 11 juin à La Criée – Théâtre National de Marseille), le tout récent ballet d’Angelin Preljocaj que je n’ai découvert qu’en salle.  »

Amusant d’apprendre que celle qui fut d’abord danseuse vit dans un appartement où passaient souvent, en d’autres temps, le chorégraphe Merce Cunningham et le compositeur John Cage. La danse… sujet inépuisable. Ses yeux sombres brillent d’un nouvel éclat à l’évocation de sa première passion, qui aurait pu devenir son métier si elle avait eu les dispositions requises. Lucide et résolument pas nostalgique, Élodie Bouchez préfère se souvenir des moments heureux dans l’école montée à Paris rue des Petites-Écuries par Sylvie Vartan, elle-même, m’apprend-elle, « très bonne danseuse  ».

À 14 ans, la future comédienne faisait le show avec d’autres, derrière les célébrités invitées à chanter dans Champs-Élysées de Michel Drucker, la grand-messe cathodique hebdomadaire du siècle dernier. Des regrets  ? « Non, aucun, parce que j’ai senti très rapidement que je ne possédais pas les aptitudes nécessaires pour devenir une grande danseuse. Ce sont des choses que l’on sait très vite  », ajoute celle qui continue de faire, dans ses temps libres, quatre heures de pratique par jour. Le mouvement perpétuel pour faire danser sa vie… Encore et toujours.

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Une carrière fluctuante mais fournie

Ne sort-elle pas cinq films cette année (Un hiver en été (en salle prochainement); Hawaï (en salle le 10 mai) ; En attendant la nuit (date de sortie non fixée); Amore Mio (déjà sorti)) faisant mentir l’antienne, peut-être en voie d’être dépassée, affirmant que les actrices ne trouvent pas de rôles intéressants passés 30 ans  ? Comme un fait exprès, Bob Dylan approuve derrière nous en entonnant son célèbre The Times They Are A-Changin’.

Les temps changent  ? Réponse de l’intéressée, 50 ans ces jours-ci : « J’ai commencé très jeune, une carrière est ensuite forcément fluctuante. Il y a un attrait certain pour la jeunesse et j’en ai bien profité. J’ai été marquée par des rôles assez emblématiques dans ce registre, au point qu’on a encore parfois du mal à me voir comme une femme.  »

La Vie rêvée des anges d’Érick Zonca, Le Péril jeune de Cédric Klapisch, Les Roseaux sauvages d’André Téchiné… tous ces beaux films ont marqué sa carrière d’une façon indélébile et pourquoi s’en plaindre… Elle le reconnaît et tient à ajouter à notre énumération La Faute à Voltaire, la première réalisation d’Abdellatif Kechiche, et son préféré dans une filmographie pourtant fournie.

Le théâtre me manque tout le temps.

«  Le passage à des rôles de femme a été un peu délicat parce qu’on continuait de me proposer ceux de jeune femme dont je ne sentais plus la dynamique, précise-telle. Je ne me voyais plus dans ces rôles-là. Tout est une question de fluctuations, de périodes. Je n’ai jamais été en retrait du cinéma, il se trouve que j’ai aussi fait beaucoup de théâtre, notamment au Théâtre de la Ville. J’ai joué à Paris, en province et dans le monde entier. Le théâtre me manque tout le temps. Je vais d’ailleurs y revenir l’année prochaine. Dans la vie, tout est histoire de circonstances.  »

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Son mot de la fin

Il est tard. Jacques Loussier a succédé à Dylan et, soudain, l’atmosphère tourne au cocon ouaté ambiance Sautet / Chabrol dans une résidence secondaire des années 70 avec poutres apparentes, cependant que l’âtre fait crépiter ses derniers brandons rougeoyants.

Extinction des feux  ? Pas si vite. Tiens, Sunny apparaît grisé par la tournée des bars et peu disposé à se coucher. « Vous savez, si je ne sors plus beaucoup la nuit, c’est parce que je n’en ai pas besoin, nous lance-t-elle en guise de mot de la fin. Plein de gens, en majorité des garçons, passent régulièrement chez nous. Certains dorment même là. Il y a beaucoup de choses qui se passent ici… Ça joue parfois.  »

Élodie et les garçons. Un bon titre de film.

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14 questions après minuit

Marie Claire : Dormez-vous la nuit ?

Élodie Bouchez : En ce moment, oui, mais il m’est arrivé de moins bien dormir. J’ai l’impression que c’est dans l’air du temps. Je connais plein de gens autour de moi qui ont du mal à trouver le sommeil. C’est peut-être l’âge… (Elle rit.) 

Votre mère vous embrassait-elle au coucher ? 

Oui. Pendant assez longtemps, je lui ai demandé à quoi je pouvais rêver. Elle me donnait un thème…

Vos boissons et nourritures nocturnes ?

Je n’ai pas de fringale la nuit. Je ne bois pas d’alcool ou alors, exceptionnellement, un verre de vin ou une coupe de champagne. En revanche, les trois garçons de la maison adorent manger les glaces le soir, un peu comme s’ils étaient au cinéma.

La nuit efface-t-elle les soucis du jour ?

Non, je ne trouve pas. La nuit, chez moi, ce sont des moments où ça cogite.

Qu’y a-t-il sur votre table de nuit ?

Je n’en ai pas. (Elle rit.) Il y a des livres par terre. En ce moment, Connemara (Éd. Actes Sud) de Nicolas Mathieu, Le Tumulte (Éd. de l’Olivier) de Sélim Nassib. J’ai aussi un réveil car j’évite de laisser mon portable près de moi la nuit. Je ne veux pas que ce soit la première chose sur laquelle j’ouvre les yeux le matin.

Vos carburants d’après minuit ? Alcool, Xanax, sucre, sexe, drogue ?

Je n’ai pas besoin de carburant la nuit. J’ai un « natural high », comme disent les Anglo-Saxons [elle plane naturellement, ndlr]. Un verre d’alcool me donne envie de dormir.

Avez-vous une bonne étoile ?

Oui, je crois. Je ne peux pas me plaindre.

Boules à facettes ?

J’ai bien aimé, surtout très jeune, à l’époque où j’habitais à Pigalle. Mon fils aîné prend la relève. Ça fait un temps fou que je ne suis pas allée en boîte de nuit.

Vous savez où sortir à Paris ?

Je ne sais plus. Ça reviendra peut-être… Par contre, j’aime beaucoup aller danser dans les boîtes locales quand je tourne en province.

La nuit la plus dingue ?

Je ne pourrais pas vous en citer une en particulier mais je dirais les nuits cannoises pendant le festival. Certaines ont été des concentrés de folie assez inoubliables. Passer d’un bateau à une villa, d’une projection à une fête… Il y avait dans ces nuits quelque chose d’absolument vertigineux et de totalement aléatoire.

Le plus trash, la nuit ?

La misère. Passer devant des gens qui dorment dehors est un truc très violent. Et on en croise beaucoup malheureusement.

Qu’aimez-vous le plus la nuit ?

Le calme. Le fait que le bruit de la ville s’arrête et que tout devienne plus feutré.

Les mots de la nuit ?

Les mots échangés après une représentation théâtrale avec les gens qui viennent dans ma loge et me parlent de la pièce. Un sas de décompression nécessaire avant de prendre mon vélo et de rentrer chez moi.

Le parfum de la nuit ?

Le parfum de la cigarette. Un vieux souvenir de l’époque où l’on rentrait chez soi, les vêtements imprégnés de l’odeur du tabac. Les nuits où l’on fumait en dansant…

La chanson de la nuit ?

Les chansons de Christophe. Aussi parce que c’était quelqu’un qui ne se couchait jamais avant l’aube et qui ne composait que la nuit.

Cette interview a été initialement publiée dans le magazine Marie Claire, numéro 848, daté mai 2023.

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