Eclectique dans ses sujets et mises en scènes, François Ozon renoue avec sa veine théâtrale dans Mon crime qui sort mercredi 8 mars. Pour éviter d’être à la rue, une jeune comédienne a un plan machiavélique : s’accuser d’un meurtre qu’elle n’a pas commis. Voler un crime, ce n’est pas banal… Le premier rôle est tenu par Nadia Tereszkiewicz qui vient de recevoir le César de l’espoir féminin pour Les Amandiers. Adapté de la pièce de Georges Berr et Louis Verneuil de 1934, le réalisateur nous raconte comment il fusionne théâtre et cinéma dans un film intriguant, stylisé et à la belle distribution. 

Franceinfo Culture : Le premier plan du film est un rideau de théâtre comme dans l’émission TV des années 60 Le Petit théâtre de Jean Renoir, c’est intentionnel ?

François Ozon : Faisant un film qui se déroule dans les années 30, on ne peut penser qu’à Renoir, et dans le cas de Mon crime, à La Règle du jeu, même si je me situe plus dans la ligne de Sacha Guitry qui adaptait ses pièces de théâtre au cinéma. J’aime, de plus, la moralité de Guitry et j’avais en tête aussi les Screwball Comedy (comédies loufoques) américaines des années 30, avec leurs dialogues et rythmes débridés.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette pièce de 1934 ?

J’ai eu l’intuition que cette pièce pouvait faire écho avec aujourd’hui. Le fait d’être dans les années 30 me permettait d’avoir une distance pour faire rire d’une situation dramatique : la condition féminine. Faire un film féministe à partir d’une fausse coupable pour déconstruire le patriarcat m’intéressait. Comment les femmes se battent ensemble, avec cette sororité, pour changer leur statut, pour plus de liberté et d’égalité. Je suis dans l’actualité mais dans la légèreté, parce qu’il y a cette distance du temps et de la reconstitution historique. Ce qui donne plus de liberté, d’amoralité aussi peut-être, de transgression. Si j’avais mis en scène Mon crime à notre époque, peut-être serais-je tombé dans le drame, dans l’esprit d’un film comme Grâce à Dieu qui parlait déjà de la liberté de parole. Il s’agit toujours de la prise de parole, mais d’une autre, ailleurs.

Le jeu de vos comédiens est volontairement théâtral, mais vous ne faites pas du théâtre filmé, comment parvenez-vous à cette alchimie ?

C’est un goût naturel, j’aime beaucoup la théâtralisation au cinéma, c’est quelque chose qui ne me fait pas peur, c’est vrai que ça peut être vu comme péjoratif quand on dit « c’est théâtral« . Mais la vie est théâtrale, les gens sont des personnages, les gens jouent des rôles dans la vie. Je l’assume, le film s’ouvre sur un rideau de scène, et il se termine dans un théâtre, car le théâtre se mélange à la vie. Pour moi, il n’y a pas de frontière entre la scène et la salle. C’est pour ça qu’il y a toujours ce jeu de confusion entre le réel et la fiction.

Ce qui m’a amusé particulièrement, a été de filmer une scène de procès comme une pièce de théâtre, où chacun joue un rôle, avec les jurés qui sont les spectateurs qui vont voter, dire si on la tue, ou on ne la tue pas. Le procureur, l’avocat général, la victime, le coupable… Finalement tout le monde joue un rôle, tout le monde a un texte à dire. J’ai aimé jouer sur ce parallèle entre le théâtre et la justice. Je ne suis pas le premier à le faire, mais ça m’amusait comme metteur en scène de filmer pour la première fois un procès. J’adore les films de procès. J’ai demandé à Nadia (Tereszkiewicz) de revoir La Vérité de Clouzot pour garder un peu de Bardot dans la scène du procès où elle est assez incroyable. Ce qui m’intéressait aussi, c’était de ressentir l’assistance dans le prétoire, un public qui se pressait comme au spectacle à l’époque pour assister aux procès de Violette Nozières ou des sœurs Papin. C’était très facile d’accès et on se disait : « la victime est bonne« , « elle joue bien« , ou pas. On est au théâtre.

Il y a aussi la beauté de la reconstitution qui participe à la dimension théâtrale du film

J’avais envie de ce plaisir, oui, c’est toujours jouissif. Il y a vingt ans j’avais fait Huit femmes, après j’ai fait Potiche, et là, c’est un peu le troisième volet : Mon crime boucle une trilogie.

Comment avez-vous trouvé Nadia Tereszkiewicz qui incarne si bien cette fausse coupable dans le film ?

J’ai fait un long casting pour trouver les deux jeunes actrices qui portent sur leurs épaules le film. Un casting de 200 personnes. Je n’avais pas encore vu Les Amandiers de Valérie Bruni-Tedeschi (pour lequel Nadia Tereszkiewicz a eu le César de l‘espoir féminin). Je n’avais pas vu non plus Rebecca Marder dans Simone. Donc je les ai rencontrées, puis fait travailler et tout de suite j’ai senti une complicité entre elles. Et c’était important puisque c’était un film qui parlait de la sororité. Comme il n’y avait pas de rivalité entre les deux actrices, une vraie amitié s‘est créée et je pense que ça se sent à l’image. Ce qu’il y avait avec Nadia c’était justement ce manque de background théâtrale, qu’a en revanche Rebecca, venant de la Comédie-Française. Je voulais cette fraîcheur qui convenait à son rôle de jeune actrice qui démarre. Je désirai une forme de mise en abîme entre ce qu’elle vivait vraiment dans la vie et le rôle qu’elle avait à jouer. En plus, les deux ont un physique très années 30, en phase avec l’époque.

Vous découvrez deux actrices talentueuses, mais vous êtes aussi fidèle à vos comédiens et a vos techniciens d’autres films, qu’est-ce que vous apporte cette continuité ?

Comme je fais plus ou moins un film par an, j’essaye de maintenir le rythme et j’aime travailler avec des gens avec lesquels je m’entends bien, auxquels je suis fidèle, c’est plus simple, le travail est plus rapide. Je travaille toujours avec la même costumière, Pascaline Chavanne (trois César), le chef-opérateur, c’est Manu Dacosse avec lequel j’avais déjà fait plusieurs films. Il y a donc un plaisir de les retrouver. Et pour les acteurs, c’est pareil. Là j’étais ravi de retrouver Isabelle Huppert, vingt ans après Huit femmes. Fabrice Luchini, on avait fait Dans la maison et Potiche, donc là, c’est la troisième fois. André Dussollier, j’avais tourné avec lui Tout s’est bien passé. Donc, quand on s’entend bien avec des acteurs, c’est normal de les retrouver et comme ce sont des grands acteurs, vous pouvez leur proposer des choses très différentes. Parce que le langage, le texte du film est assez sophistiqué, assez littéraire, donc il me fallait des grands acteurs pour que ce soit en bouche, qu’on y croit et qu’ils aient le bon phrasé. Faire ressortir l’humour d’un texte n’est pas évident. La comédie est une vraie orfèvrerie. Et avec des acteurs de ce niveau, c’était un régal.

Le monde du cinéma s’invite beaucoup dans les films en ce moment (Babylon, The Fabelmans, Empire of Light), où situez-vous Mon crime dans cette vague ?

Je crois que c’est un hasard qui n’en est pas un. Je pense que beaucoup de réalisateurs comme moi, pendant la pandémie, la période du confinement, on s’est demandé ce qui allait se passer pour la salle : est-ce-que les gens allaient revenir au cinéma après ? Est-ce qu’il va y avoir une crise de la fréquentation ? Et nous, en tant que cinéphiles qui avons découvert le cinéma sur grand écran, qui avons partagé des émotions avec d’autres en même temps, on a envie de continuer ça, on a envie de remercier ceux qui l’ont fait. Je pense que ce n’est pas un hasard si Damien Chazelle fait un hymne au cinéma, si Spielberg fait la même chose, Sam Mendes, et moi aussi. Ce n’est pas gratuit de montrer ces deux jeunes femmes qui vont voir rue de Rennes à Paris, au Lux, Danièle Darrieux dans un film réalisé par Billy Wilder.

Je pense que c’est un réflexe que beaucoup de cinéastes ont eu en même temps, par rapport à une situation compliquée avec l’émergence des plateformes. On est privilégié en France, les gens retournent au cinéma. Mais dans d’autres pays en Europe ou aux Etats-Unis, il y a une crise vraiment très importante. Les gens y vont de moins en moins et vont sur les plateformes de streaming où on se sert. Du coup ça ne créé plus l’excitation qu’on avait d’attendre qu’un film passe le vendredi soir au ciné-club. Là, maintenant, tout est accessible, il y a une banalisation qui menace la salle. 

Propos recueillis le 22 février 2023, Hôtel Péninsula, Paris.

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