• Le film Pour la France est inspiré de la mort du frère du réalisateur Rachid Hami, noyé lors d’un bahutage à l’école militaire Saint-Cyr.
  • Très en colère après le procès il y a deux ans, le frère de Jallal Hami livre une œuvre sans haine.
  • On y suit l’odyssée de deux frères qui grandissent en Algérie avant d’arriver en France avec leur mère.

La scène ne dure que quelques minutes, au tout début de l’œuvre. On y devine une nuit froide, l’eau glacée et la panique des militaires pourtant valeureux de l’école Saint-Cyr. Ces quelques plans qui ouvrent le film Pour la France seront les seuls qui montreront Jallal Hami dans l’antre de l’école militaire du Morbihan. Réputée pour former les officiers de l’armée française, l’institution avait été le théâtre d’un drame le lundi 29 octobre 2012 quand Jallal Hami s’était noyé lors d’une nuit de « bahutage », terme militaire qualifiant un bizutage. Onze ans après la mort de son frère, le réalisateur Rachid Hami sort ce mercredi son deuxième long métrage inspiré de la tragédie vécue par sa famille. Un film touchant et sans haine, comme le voulait son auteur. « Je mets un point d’honneur à respecter la différence entre l’œuvre et le réel. J’ai fait une histoire inspirée de faits réels mais c’est un film romanesque. On n’est pas dans un film de règlement de compte », explique Rachid Hami.

Le réalisateur avait pourtant usé de mots très durs après le procès de sept militaires qui s’était déroulé en 2020 devant le tribunal correctionnel de Rennes, jugeant les sanctions « ridicules ». Deux élèves et un officier avaient été reconnus responsables de la mort du jeune soldat et condamnés à des peines de six mois de prison avec sursis. Des peines qui n’avaient pas été inscrites à leur casier judiciaire, afin de ne pas compromettre la suite de leur carrière. Les quatre autres prévenus avaient été relaxés. Malgré ce verdict jugé « inaudible » par sa famille, le réalisateur a préféré opter pour une œuvre sensible sans s’attarder sur l’école Saint-Cyr. « Je n’ai rien contre l’institution. J’ai de la rancœur vis-à-vis des individus qui ont causé la mort de mon frère. Ils savaient qu’il y avait un risque de mort parce qu’après le passage du premier groupe, ils se sont arrêtés, ils ont discuté. Ils ont dit : « c’est dangereux mais on continue ». C’est un sadisme inhumain. La mort de mon frère est indélébile mais leurs peines ne le sont pas. »

L’idée du film est venue avant la mort

La colère n’a clairement pas guidé ce récit de près de deux heures, qui emmène le spectateur dans un voyage entre la jeunesse de la famille en Algérie, l’organisation difficile de funérailles avec l’armée française et un séjour à Taïpei (capitale de Taïwan) où Jallal Hami avait étudié avant d’aller à Saint-Cyr. « C’est quand je suis rentré de Taïpei que j’ai eu l’idée d’en faire un film. Je pense que c’est là-bas que nous sommes devenus frères. À cet instant, j’avais envie de raconter cette histoire, c’était inédit de voir deux frères issus de l’immigration se retrouver là-bas. »

Karim Leklou et Shaïn Boumedine interprètent Rachid Hami et son frère Jallal dans le film « Pour la France » inspiré de faits réels.

Pour interpréter le rôle de son brillant petit frère, le réalisateur a choisi Shaïn Boumedine, déjà vu dans Mektoub, My Love d’Abdellatif Kechiche. Un portrait élogieux à l’image de la carrière prometteuse qui devait s’écrire pour l’élève-officier. Diplômé de Sciences-Po, Jallal Hami s’était engagé à Saint-Cyr « pour la France ». Élève brillant, il se plaignait des activités « de transmission des traditions » organisées par les deuxièmes années soi-disant pour les intégrer. Lors d’un atelier nocturne organisé dans une eau à 9 degrés, l’élève officier s’était noyé, sans que personne ne s’en aperçoive. Son corps n’avait été retrouvé que plusieurs heures plus tard.

Dans le film, l’armée française est égratignée par son incapacité à rendre un hommage digne à un soldat qui n’est pas tombé en opération. Mais sans jamais tomber dans la critique de l’institution. « Il n’a jamais été question d’autre chose que de cinéma. J’ai été très marqué par cette manière de Rachid d’être anti cliché. Sur l’institution militaire, on voit beaucoup de films à charge. Ici, on nuance. Rachid a dézoomé sa propre histoire pour en faire une œuvre puissante sur une odyssée familiale », estime Karim Leklou, qui interprète le rôle de Rachid Hami dans le film. Quant au procès, il n’est absolument pas abordé dans l’œuvre. « C’est une autre histoire. Ce sera un autre film », glisse le réalisateur.

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