En sonnant à l’interphone d’un immeuble du 15e arrondissement de Paris mieux protégé qu’Alcatraz, on se demande à quoi s’attendre. De l’autrice-actrice-réalisatrice, on connaissait Les Chatouilles, succès choc au théâtre en 2016 et au cinéma en 2018, où elle racontait son traumatisme d’enfant victime d’un pédocriminel.

On la suit sur son compte Instagram. En termes d’impact, ses posts ont la discrétion d’une pelleteuse dans un jardin à la française. Un cauchemar pour le patriarcat en costard ou en jogging. « Tu es un homme de 25 ans. Le 31 décembre, tu as tué ta compagne de plusieurs coups de couteau. » « Tu es un homme de 44 ans, tu as violé pendant plusieurs mois un garçon de 14 ans. » « Tu es Gérald Darmanin, ton procès en appel pour viol démarre aujourd’hui. »

Effarant, nécessaire. Bescond est une cavalerie à elle toute seule. Tous les jours, elle sonne la charge. La femme de 43 ans qui nous ouvre sa porte dix minutes avant minuit le lendemain de Noël affiche une mine avenante de fille trop sympa qui mettrait à l’aise un consortium de notaires. Pieds nus, poids plume, elle embraye direct : « Vous voulez du vin blanc ? J’ai pris des huîtres aussi. » Séparée d’Éric Métayer, metteur en scène et père de ses enfants, elle vient d’emménager en coloc avec son meilleur ami dans cet appartement moderne aux murs presque nus.

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Le jour où elle a arrêté de fumer  

Elle remplit les verres, va farfouiller pour chercher un truc, ne trouve pas. « Tu aurais un briquet ? ». Et de se mettre à raconter comment elle a arrêté de fumer. « J’ai un train à prendre à Gare de Lyon. Un labrador arrive vers moi en remuant la queue. Je le caresse, trop mignon, bon chien. J’entends : ‘Madame, ouvrez vos bagages s’il vous plaît !' ». Embarquée dans son récit, elle se lève pour se livrer à un vrai sketch.

Stand-up à domicile. « Dans ma valise, j’ai de la beuh pour une semaine, pour mon petit pétard du soir sinon je dors pas, quatre grammes, une dose homéopathique. Je dis au flic : ‘Mec, déconne pas, je peux pas rater mon train. » La danseuse-comédienne a gagné le Molière du Seule-en-scène pour Les Chatouilles en 2016, on comprend pourquoi.

« J’ouvre ma valise, le flic commence à tout retourner : ‘Pas les culottes, le pull vert, je te dis.’ ‘Faut pas que je rate ce train, donne-moi l’amende.’ Je lui file ma carte bleue, mais j’ai atteint mon plafond. Le flic, sympa, me dit : ‘Je vais détruire la beuh devant vous.’ ‘Mais non, gardez-la !’ Il est mort de rire : « Je peux pas Madame. » Voilà comment je me suis retrouvée à arrêter de fumer. Serrée par un labrador ! ». Les coups de gueule d’Andréa Bescond sont aussi efficaces que son pouvoir comique.

Je peux crever quelqu’un en deux secondes. 

Elle fumait encore pendant qu’elle écrivait son premier roman, Une simple histoire de famille (Éd. Albin Michel). Une fiction à trois voix qui explore la transmission générationnelle de la violence et des secrets. Qui pose la question de la vengeance. Se venger de l’homme qui l’a violée enfant, « le crever, le dépecer », elle en rêve souvent. Dans sa famille, une est déjà passée à l’acte. Son arrière-grand-mère, « Mémé Picard », qui a tué son mari à la suite de violences conjugales. « Avec un gourdin », précise-telle.

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La danse comme respiration  

Le livre est né de cette révélation familiale. « Le transgénérationnel, ce n’est pas qu’un concept. Peut-être que cette colère est arrivée jusqu’à moi depuis que cette femme a dit : ‘Ras le cul !' » La violence laisse des traces ineffaçables chez ceux qui l’ont subie. Sa mère la tapait, beaucoup, son père ne l’en empêchait pas. Andréa Bescond est au combat, partout, tout le temps. « J’ai beaucoup de violence en moi, je peux crever quelqu’un en deux secondes, je te jure. Mais je travaille sur moi. La violence, c’est de la fainéantise, c’est facile. » Caroline Marson, son éditrice, décode. « Elle n’est pas que colère, pas du tout. Elle a foi en l’être humain. C’est une femme très complexe, une surdouée. »

Elle a huit ans et demi quand ses parents, marchands de fruits et légumes sur les marchés, quittent le Morbihan pour s’installer à Moissac, dans le Tarn-et-Garonne. Elle a 9 ans quand le pédocriminel la viole, ‘n’importe quand’, à l’athlétisme, pendant les fêtes entre adultes ». La petite fille passe ses nuits à lire et relire Helen Keller petite fille. L’histoire d’une jeune aveugle, sourde, muette, très en colère, qui découvre la langue des signes. Andréa Bescond, elle, découvre la danse.

À 13 ans, elle intègre l’école de danse internationale à Cannes en internat. « On faisait le mur pour aller fumer des pétards sur la plage. Y avait des gars avec nous, hyper réglos, même bourrés. » Fin des années 90, elle est admise au Conservatoire national de musique et de danse de Paris. Son père lui trouve une chambre, rue Petit. « J’ai 16-17 ans, c’est la liberté ! Drogue, picole, castagne. »

Sa sphère, c’est la rue, sa dégaine, le grunge et le hip-hop, sa drogue, le shit. Elle se bat beaucoup, avec des grands du quartier, avec ses petits copains. En guerre. « Ce qui me déclenchait, c’était la misogynie. À cette époque, j’étais vive et musclée. » La rage protège. Ou pas. « Une fois, j’ai pris la tête à un connard qui avait affiché mon meilleur ami dans le métro. Il m’a rétamée. Bam ! Patate, balayette, manchette, la totale. » Elle n’a alors pas d’argent. « Je me faisais de la thune en portant le bédo. Avec ma gueule, j’étais jamais contrôlée. » Son surnom alors : la rouleuse. « J’adorais rouler. »

Andréa Bescond a « gueulé » sur Emmanuel Macron 

Danser la sauvé. À 22 ans, elle porte plainte contre le pédocriminel qui l’a violée et découvre qu’il a eu d’autres proies. « Il a été jugé en 2006, libéré en 2010. Je continue à le surveiller. À sa sortie de prison, il a travaillé dans une association de cyclisme, t’imagines ? J’ai appelé pour les prévenir. » La création des Chatouilles pourrait être une preuve de résilience. Cela n’a rien réglé. « La cicatrice est là. À certains moments, elle devient une crevasse. » Comme en 2021, quand la loi sur les violences sur mineur·es a été votée. Pour rappel, ce texte n’intègre pas l’imprescriptibilité, les mineur·es violé·es par un adulte ne sont protégé·es que si l’agresseur a cinq ans de plus que sa victime, et en cas d’atteinte sexuelle, preuve doit être faite qu’il y a eu pression sur elle. « Cela, après la sortie de La Familia grande (de Camille Kouchner, Éd. du Seuil) et #MeTooInceste ! J’étais hyper en colère contre le gouvernement. »

Elle qui avait cru rallier Brigitte Macron à son combat contre les violences sexuelles dit qu’elle s’est sentie instrumentalisée : « Brigitte, elle était sincère. Mais elle n’a pas le pouvoir. » Elle raconte un dîner à l’Élysée avec la première dame. « J’ai commencé à gueuler sur son mari. Nommer Dupond-Moretti ministre de la Justice ? L’avocat des filles Mannechez, violées par leur père, mais engagé par le père violeur incestueux ? » Les mots ‘inceste heureux’ prononcés à l’audience et la légèreté de la condamnation, cinq ans de réclusion dont trois avec sursis, révoltent Andréa Bescond.

Pour être sage, il aurait fallu que je m’éteigne.

Remontée comme une pendule, elle fait le show, sur le fil du rire et de la fureur. Et d’ajouter que régulièrement, elle envoie ses posts instagram à Brigitte et Emmanuel Macron et Éric Dupond-Moretti. Elle se marre. « Je pense qu’ils m’ont bloquée. » Un coussin de méditation à l’imprimé tropical attend son heure près d’un fauteuil. Elle l’a piqué dans une grande surface. « 75 balles, c’était trop ! J’ai dit aux enfants : ‘Vous faites pas pareil’ et je suis partie avec sous le bras. »

Andréa Bescond parle de violence toute la journée, mais elle adore faire la fête, « faire la conne ». « J’aime vivre. » Pendant le confinement, elle regardait les étoiles avec ses enfants et son compagnon. La voûte céleste piquée de points lumineux lui donnait espoir. « Il y avait de l’après, de l’avenir. » Il est 2 h 30. Chez elle, Andréa Bescond était l’enfant qui parlait trop. « Pour être sage, il aurait fallu que je m’éteigne. » Cela ne risque pas d’arriver.

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13 questions après minuit 

Marie Claire : Dormez-vous la nuit ?

Andréa Bescond : Depuis que j’ai arrêté de fumer, je dors très peu. Je somnole beaucoup. Et je réfléchis beaucoup.  

Votre mère vous embrassait-elle au coucher ?

Ouais. Avec mon frère, chacun dans sa chambre, dès que la porte était fermée, c’était le concours de celui qui crierait le plus fort : « Je t’aime maman », « je t’aime papa », « je te fais des bisous ».

Vos boissons et nourritures nocturnes ?

L’eau pétillante quand je suis seule. Sinon, fruits de mer, fromage, vin blanc, tous les trucs un peu franchouillards. Et je découvre le bon rhum avec mon petit frère.

Qu’y a-t-il sur votre table de nuit ?

Les œuvres en Lego de mon fils. Des cachets pourris à base de plantes qui ne marchent pas. Et mon Womanizer (un vibro) en mode relax.

Vos carburants d’après minuit ? Alcool, Xanax, sexe, drogue, sucre ?

Je ne picole pas toute seule. Récemment, avant de récupérer les droits de mon spectacle, j’enchaînais les insomnies. J’ai pris un Xanax, mais je n’ai pas trop envie de toucher à ça. Avant, c’était la fume. Aujourd’hui, je suis contente, je n’ai pas d’addiction. Le sexe, non, je suis en pause, ça me soûle. Le sucre, non.

Boule à facettes ?

Je ne dansais plus mais je recommence à me connecter à mon corps. Avec mon coloc, on a un spectre large, du hip-hop à Madonna en passant par Ophélie Winter.

Avez-vous une bonne étoile ?

Oui, une bonne étoile, un ange gardien, ma cousine Manue, morte en 2015. Artistiquement, c’est comme si ma vie avait explosé à partir de son décès, c’était un peu chelou. Je suis sûre qu’elle est là. Quand elle est partie, j’étais dans mon jardin, j’avais beaucoup de chagrin. Un bébé écureuil a traversé le jardin pour se réfugier dans mon cou. C’est pas un truc de malade ?

La nuit la plus dingue ?

Je fais le Châtelet avec Les Chatouilles. Totalement inconnue, je suis à moitié en burn-out, ça va pas bien dans mon couple, standing ovation pendant vingt minutes, 2 500 personnes debout. Je vais en coulisses, le directeur technique, en larmes, me prend dans ses bras : « Merci pour ce que vous avez fait pour le théâtre du Châtelet. » Le lendemain, je partais en Inde faire une cure d’ayurvéda. J’ai passé ma nuit à faire ma valise et fumer des pèts. Je suis montée dans l’avion complètement foncedée, j’ai dormi dix heures.

Le plus trash la nuit ?

Ne pas trouver le sommeil.

Qu’aimez-vous le plus, la nuit ?

Dans ce nouvel appart, dormir avec mes deux enfants, c’est pas politiquement correct. Je suis au milieu, je les écoute respirer. Les mots de la nuit ? Le mot « rien ». Je le visualise pour qu’aucune pensée, aucun mot ne le parasite.

Le parfum de la nuit ?

L’odeur de la sueur.

La chanson de la nuit ?

Habibi de Tamino (Caroline Records).

Cette interview a été initialement publiée dans le Marie Claire numéro 846, daté mars 2023.

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