À la fois créatrice, présidente de Sézane et maman de deux petites filles, Morgane Sézalory est sans conteste, à 37 ans, l’une des entrepreneuses françaises les plus inspirantes de sa génération.
De celles qu’on analyse en « étude de cas » dans les écoles de commerce, où elle n’a jamais mis les pieds, traçant son chemin en autodidacte après avoir quitté l’école à 17 ans et passé son bac littéraire en candidate libre. En 2007 donc, la banlieusarde née sous le soleil de Kinshasa fonde son premier e-shop, Les Composantes, spécialisé dans la mode vintage. Peu à peu, son œil s’affine, ses créations prennent le pas et Sézane voit le jour en 2013.
Depuis, son succès ne s’est jamais démenti ; mieux, il a pris une folle ampleur (Le Figaro estimait son chiffre d’affaires à 80 millions d’euros en 2019), devenant l’une des marques préférées des Français.es.
Car voilà, avec ses petites capsules mensuelles, joyeuses et ultra-féminines, ses belles matières eco-friendly (75 % des collections) et ses prix doux qui n’ont pas pris la grosse tête même sous le coup de l’inflation, Sézane a su conquérir durablement le cœur des femmes. En France et à l’étranger, où la marque s’est implantée aussi en dur avec ses Appartements (boutiques) comme à Paris en 2015 et à New York en 2017.
Aujourd’hui, forte d’une équipe de deux cent soixante collaborateur.rices, Morgane Sézalory s’apprête à fêter dignement mais sans esbroufe les 10 ans de son « bébé » dès janvier avec une collection capsule imaginée avec Sea NY puis en investissant ce printemps pendant deux mois Le Bon Marché dans son ensemble. L’occasion de découvrir des invité·es tous azimuts – dont l’équipe du très foody Septime – mais aussi une nouvelle ligne d’esprit plus « couture », Édition Sézane. Et de rencontrer Morgane Sézalory dans son cocon parisien de la rive gauche, épanouie et fourmillant encore de mille projets…
Rencontre avec Morgane Sézalory, la business woman derrière Sézane
Marie Claire : Que ressentez-vous à l’aube des 10 ans de Sézane ?
Morgane Sézalory : L’immense joie d’éprouver le même enthousiasme qu’au début de notre aventure. Je travaille depuis mes 18 ans, cela fait donc vingt ans, et pourtant c’est comme un éternel souffle qui se renouvelle, nourri par le plaisir de la création et de l’entrepreneuriat. J’aime aussi le fait d’avoir réussi à construire une équipe et appris à la diriger, moi qui n’avais jamais travaillé dans une autre société auparavant. Cela prouve que l’on peut réussir d’une autre façon, sans business plan mais grâce à son instinct, sa passion et en mettant du cœur à l’ouvrage. Le mot fierté ne fait pas partie de mon vocabu-laire mais oui, on peut dire que je suis contente du chemin parcouru.
M. C : Qu’est-ce qui guide la cheffe d’entreprise ?
Morgane Sézalory : Le goût de la liberté, l’instinct, et une bonne dose de confiance en soi. Il en fallait, je crois, pour lancer juste après le bac la première marque de mode sur Internet, alors que tous mes amis faisaient des études et que personne n’y croyait autour de moi. À l’époque, Internet était un mystère pour beaucoup, même pour moi. Mais j’avais un besoin de liberté immense et je savais que je ne pourrai pas m’adapter au monde du travail classique, très hiérarchisé. Heureusement ma mère m’a toujours appris à ne pas m’attacher aux choses matérielles, à considérer que la richesse est avant tout intérieure. Je crois que ça m’a permis de prendre des risques et créer un cercle vertueux. Car finalement la seule chose qui m’importe c’est d’être indépendante financièrement pour ne pas avoir à demander à un homme – ou une femme d’ailleurs ! – ce que je dois faire.
Ce que j’aime, c’est voir des femmes de tous âges et de toutes nationalités s’approprier mes vêtements et les mettre à leur sauce.
M. C : Sézane, c’est vous et c’est aussi ce qui fait votre succès. Votre investissement est total ?
M.S : J’ai construit Sézane pour pouvoir être enfin moi-même, et réussir à l’être de plus en plus. Mais je me suis longtemps sentie seule dans cette bulle. Aujourd’hui, j’aime l’idée que Sézane puisse permettre à d’autres femmes de grandir en interne. J’essaie donc de favoriser le dialogue, le bien-être mais aussi la possibilité de questionner l’entreprise, d’être soi en un mot. Et je n’hésite pas non plus à les pousser hors du nid quand je sens qu’elles ont une vocation pour se lancer en solo. Pour moi, la vraie beauté de Sézane c’est l’intérieur, le fond.
Les inspirations personnelles de Morgane Sézalory
Marie Claire : D’où vient votre sens de la mode ?
Morgane Sézalory : De ma mère et de ma grand-mère qui ont le talent extraordinaire d’embellir le quotidien avec trois fois rien. Mes grands-parents avaient neuf enfants et vivaient de manière très modeste. Comme ils ne pouvaient offrir à chacun un cadeau, ma grand-mère préparait pour chaque anniversaire un très beau gâteau. Comment créer une émotion et la transmettre, plutôt que d’offrir quelque chose de matériel ? Cette philosophie imprègne ma manière de concevoir la mode et mon esthétique en général. Cela passe beaucoup par l’attention aux détails : une bougie posée sur une table, un tissu fabriqué par un artisan, une certaine composition dans la couleur. En France, le système éducatif fait croire aux enfants qu’ils ne pourront pas réussir s’ils n’ont pas tel ou tel talent, par exemple celui de savoir dessiner pour devenir créateur de mode. Cela me désole parce que, finalement, beaucoup de directeurs artistiques à succès ne savent même pas réaliser un croquis…
M. C : Qu’est-ce qui vous inspire ?
M.S : J’aime composer mes collections comme des tableaux. Dès les premières semaines, je vais donc chercher des harmonies de couleurs, de matières et je les trouve souvent dans les détails d’une peinture. Cela a été le cas dernièrement lors de ma visite de l’exposition « Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort », au musée d’Orsay*. Je ne connaissais pas toutes les périodes de son œuvre mais j’ai été frappée par la richesse et l’intensité exubérante de sa palette. Mon rapport à la couleur est très viscéral, émotionnel. J’ai vécu jusqu’à l’âge de 5 ans à Kinshasa. Au pays des Sapeurs, la couleur et le vêtement sont des facettes très importantes de la vie et de la culture. Cela a incontestablement façonné ma rétine…
(*) Jusqu’au 22 janvier. musee-orsay.fr
En coulisses de Sézane
Marie Claire : La femme Sézane est parisienne, le snobisme en moins et l’accessibilité en plus. Être consensuelle ne vous fait pas peur ?
Morgane Sézalory : Sézane est ancré à Paname, et beaucoup de femmes nous associent à cette ville pour la qualité des coupes et des matières, mais je ne la vois pas comme une marque parisienne. Nous ne sommes pas dans une logique de collections qui changent de saison en saison mais plutôt d’intemporels : une belle blouse en soie, un cardigan en maille. Je déteste l’idée de m’enfermer dans un style particulier. Ce que j’aime, c’est voir des femmes de tous âges et de toutes nationalités s’approprier mes vêtements et les mettre à leur sauce. Récemment j’ai rencontré à un remariage d’amis une dame de 85 ans qui était habillée en Sézane : ce sont ses petites-filles qui lui avaient fait découvrir la marque.
M.C : En 2016, vous avez fait un burn-out, que vous a appris cette expérience ?
M.S : À l’époque, je vivais une aventure exaltante au travail, j’étais mère de deux petites filles… Toutes ces joies créent de l’adrénaline, donnent de l’énergie sauf que le corps, lui, ne suit plus. Heureusement ce n’était pas trop grave et j’ai pu reprendre pied assez vite. Cela m’a permis de me réorganiser, d’apprendre à déléguer et à prendre du temps pour moi. Mais j’ai trouvé cette expérience assez injuste en tant que femme. Le début de la trentaine amorce une période très riche, sans doute parce qu’on se connaît mieux, ce n’est donc pas le moment où l’on a envie de faire des choix. Or la question ne se pose pas pour les hommes. J’espère juste que les femmes des générations suivantes pourront mieux articuler vie professionnelle et vie familiale.
M.C : Beaucoup de marques peinent à créer une communauté sur les réseaux sociaux. Celle de Sézane est très active. Quel est votre secret ?
M.S : J’ai toujours cherché à nouer des échanges aussi naturels et spontanés que possible. C’est ma sensibilité, je ne sais pas faire autrement. Avec Sézane, on a donc commencé à raconter sur Instagram (c’était les débuts et il n’y avait presque personne) les savoir-faire, les artisans, les voyages afin que les gens comprennent ce qu’on ne peut pas toujours communiquer à travers un écran : à savoir comment sont fabriqués les produits. Cela a créé un véritable intérêt et une communauté de fidèles qui a grossi avec le temps. Aujourd’hui, les réseaux sociaux de Sézane sont un véritable média suivi par plusieurs millions de personnes. En ce moment, nous mettons l’accent pour les photos de nos 10 ans sur les essayages, et le temps de travail nécessaire à la mise au point d’un produit. C’est d’autant plus important de le montrer dans notre époque d’immédiateté où tout le monde veut tout, tout de suite.
Les ambitions de Sézane
Marie Claire : Vous avez obtenu en 2020 la certification B Corp, qui couronne la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Quelles sont vos ambitions en matière d’écologie ?
Morgane Sézalory : Cette certification est un label parmi d’autres mais elle n’est pas une fin en soi. Nous sommes l’une des marques les plus impliquées dans la responsabilité environnementale et nous cherchons à toujours nous améliorer. En ce moment, nos efforts se concentrent beaucoup sur le sourcing des matières premières comme le lin ou la soie, par exemple. Mais notre priorité demeure la promesse de durabilité que nous affinons encore et encore au sein de notre département qualité où tout est hyper testé, contrôlé. Là encore, il faut savoir arbitrer intelligemment : est-ce qu’un tissu écoresponsable est légitime s’il ne tient pas dans le temps ? Les effets de com ne nous intéressent pas, le plus important c’est vraiment la relation de confiance que nous instaurons avec nos clientes.
Notre priorité demeure la promesse de durabilité mais est-ce qu’un tissu écoresponsable est légitime s’il ne tient pas dans le temps ? Les effets de com ne nous intéressent pas.
M.C : Après la mode femme et l’homme, d’autres univers vous attirent ?
M.S : Je vais lancer au printemps la première partie de mon nouveau projet d’art de vivre, Les Composantes. Cela fait des années que je travaille dessus, mais, contrairement à Sézane qui s’est créé dans la spontanéité, j’avais envie de prendre le temps de la réflexion. Le design et la déco m’inspirent énormément et je chine beaucoup. Ce qui m’attire dans un meuble, ce n’est pas la signature mais par exemple une matière extraordinaire comme la loupe de bois de ce secrétaire ou le détail de ses angles biseautés. Avec Les Composantes, j’aimerais contribuer à sauvegarder la beauté et la richesse des savoir-faire décoratifs pour qu’ils puissent être transmis aux générations futures. Cela va se traduire par des résidences d’artistes mais aussi de l’édition d’objets et de mobilier, des sélections de pièces chinées et de la décoration de lieu également, ce que je fais déjà avec les Appartements Sézane. Je pense avoir une sensibilité très forte à l’espace, une faculté d’empathie qui me permet de comprendre comment les gens vont s’y sentir bien. Jusqu’à présent, je n’avais pas eu le temps de répondre à des projets de décoration d’hôtel et de restaurant, mais aujourd’hui, je me sens prête !
M.C : Comment vous voyez-vous dans 10 ans ?
M.S : J’aimerais ressentir encore l’enthousiasme du premier jour de Sézane ! Je réfléchis aussi beaucoup à l’enfant. Quand je vois la réaction spontanée de ma fille à la couleur, je me dis qu’une collection dédiée aurait toute sa place. Dernièrement, je lui ai rapporté du bureau un pull taille XS de sa teinte préférée, rouge orangé. Pour l’instant, ça ressemble plutôt à une robe sur elle, mais cela m’a fait beaucoup réfléchir à la manière dont les enfants savent jouer intuitivement avec la mode. Il se passe aussi pas mal de choses aux États-Unis où s’installent beaucoup de mes proches collaborateurs. Continuer à incarner le style français à l’étranger pour les dix prochaines années à venir, ce serait un beau défi, non ?
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