Quarante ans après le meurtre de trois femmes, le principal suspect est en prison mais toujours pas jugé aux assises. Récit du long combat des familles pour faire éclater la vérité et lever la prescription.

L’affaire des disparues de Pontcharra, paisible commune de l’Isère, aura tenu la France en haleine plus de quarante années durant, de 1981 jusqu’à aujourd’hui, cette ténébreuse histoire étant revenue sur le devant de la scène grâce à l’obstination des familles des victimes.

Récapitulons. Le 5 octobre 1981, Liliane Chevènement (qui n’a aucun lien de parenté avec l’ancien ministre), secrétaire de 41 ans, est retrouvée morte, quatre mois après sa disparition. Elle a été étranglée avec du fi l de fer. Le 9 mai 1985, Marie-Ange Billoud, âgée de seulement 19 ans, disparaît entre Pontcharra et Chambéry, alors qu’elle fait du stop. Le 22 mai 1986, Marie-Thérèse Bonfanti s’évapore en plein Pontcharra, où elle distribue des journaux gratuits. Elle n’a que 25 printemps. En novembre 1987, ces trois meurtres sont classés sans suite et le mystère demeure entier. Pourtant, les gendarmes ne sont pas restés les bras croisés.

Ils tiennent un suspect : un certain Yves Chatain. À l’époque du premier meurtre, il n’a que 21 ans et réside dans une vaste demeure, non loin du lieu des crimes. Il est entendu, placé en garde à vue puis relâché, faute de preuves. Son profil a néanmoins de quoi laisser dubitatif : en 1974, seulement âgé de 14 ans, il tente de violer une femme, avant de la frapper à de nombreuses reprises au motif qu’elle entend témoigner contre lui.

Puis, en avril 1985, il a de nouveau maille à partir avec la loi pour avoir étranglé une autre passante, sans toutefois lui donner la mort. Il assure être en proie à des « pulsions incontrôlables » ; la justice est clémente : huit petits mois de prison avec sursis, personne n’ayant fait le rapprochement entre ces affaires et les trois crimes précédents.

Des restes humains exhumés

Il faut attendre décembre 1991 pour que le dossier prenne un nouvel essor, avec la démolition exigée par la municipalité de Pontcharra de la maison d’Yves Chatain, semble-t-il laissée en déshérence. Immédiatement, les familles de deux des victimes, Marie-Ange Billoud et Marie-Thérèse Bonfanti, alertent l’opinion publique et multiplient les manifestations, n’hésitant pas à s’arroger le droit de fouiller dans les décombres de la maison du malheur.

Et c’est ainsi que Mme Billoud mère parvient à exhumer des restes humains, hanches et tibias. Un crâne est même découvert à quelques dizaines de mètres de sa demeure. Très logiquement, elle demande à la gendarmerie de les faire analyser. Sans succès. De manière incompréhensible, aucune nouvelle enquête n’est diligentée. Pis, un an plus tard, Mme Billoud est condamnée par Yves Chatain, qui a porté plainte pour « diffamation » au motif qu’elle a placardé des affiches sur les murs de Pontcharra, l’accusant du meurtre de sa fille.

Une initiative qui lui vaut une peine de quinze jours de prison, réduite en appel à 6 000 francs d’amende. Mais « patience et longueur de temps font plus que force ni que rage », tel que l’exprime la maxime de Jean de La Fontaine. La preuve par cet ancien enquêteur de la gendarmerie, finalement convaincu par l’obstination des mères des victimes, et qui finit par établir un lien entre les trois meurtres. Mais nous ne sommes qu’au début des années 2000 et il faut encore attendre plus de vingt longues années pour que le procureur de la République de Grenoble daigne relancer l’enquête.

En juin 2021, une information judiciaire « contre X » est enfin ouverte pour « enlèvement et séquestration ». Et le même Yves Chatain, affichant désormais 61 ans au compteur, reconnaît finalement le meurtre de Marie-Thérèse Bonfanti. Seulement voilà, il y a prescription trentenaire… D’où son immédiate demande de remise en liberté, aussitôt rejetée par la cour d’appel de Grenoble. Il est vrai que les motifs de son terrible forfait – sa victime l’aurait gêné pour se garer – n’ont certainement pas dû arranger son cas. Dans l’intervalle, la même cour ouvre, le 24 mai 2022, une nouvelle procédure relative à la disparition de Marie-Ange Billoud.

Et les langues finissent par se délier. On apprend ainsi que trois autres femmes auraient disparu dans les années 80, aux abords de la maison cossue d’Yves Chatain. Un commissaire à la retraite, qui a décidé de reprendre l’enquête à ses heures perdues, souligne : « Tout désigne Chatain comme étant un potentiel acteur de ces différentes affaires. Il a des pulsions de violence et il faut qu’il frappe… »

Voilà qui pose au moins deux questions. La première concerne la négligence, ou du moins l’aveuglement de la police et de la justice. En effet, lorsque Charles Biche, maire de Pontcharra, ordonne la destruction de la maison du criminel potentiel et que la mère de Marie-Ange Billoud hurle devant les caméras de France 3 : « Nos filles sont enterrées là, il faut des fouilles minutieuses ! » personne ne l’écoute. C’est d’autant plus incompréhensible que le profil d’Yves Chatain n’est pas exactement celui de monsieur Tout-le-monde. Une seconde question taraude tous les esprits.

Même si les trois crimes imputés à Yves Chatain, celui de Marie-Thérèse Bonfanti, qu’il a reconnu, mais aussi ceux de Liliane Chevènement et de Marie-Ange Billoud, pour lesquels il fait figure de principal suspect, sont désormais prescrits, peuton décemment remettre en liberté un tel homme ? D’un strict point de vue juridique, ce serait parfaitement légal. Mais serait-ce moral pour autant ? Et cela serait-il, surtout, supportable pour les familles des victimes ?

Un “petit” Nordahl Lelandais

La justice, peut-être désireuse de rattraper ses errements de jadis, estime que non, malgré la contrition du prévenu : « J’ai du mal pour la famille. J’ai des remords. Mais je serai plus utile à la société dehors, en travaillant, et j’ai un employeur prêt à m’embaucher, alors qu’en prison, je vis un enfer. » Et l’une des soeurs de Marie-Thérèse Bonfanti de rétorquer : « Nous, l’enfer, on le vit depuis trente-six ans. […] L’enfer que mes parents ont vécu de ne pas savoir où était leur fille, celui de ses enfants, qui ont dû grandir sans l’amour maternel, même si leur papa était présent. Il ne se rend pas compte de ce qu’il dit. »

Maître Bernard Boulloud, avocat de la famille Bonfanti, est quant à lui plus direct encore : « Si la demande d’Yves Chatain est légale, elle est indécente car l’enquête n’est pas terminée. Il a avoué, mais c’est parce qu’il était acculé par les gendarmes, qui l’ont mis devant ses contradictions. C’est pour cela qu’il a “craché le morceau”, comme il l’a dit lui-même. Yves Chatain, c’est un “petit” Nordahl Lelandais. » Et maître Boulloud de conclure : « On va s’atteler à la question de la prescription. Elle n’est pas acquise pour Yves Chatain. On va pousser la justice à faire en sorte que la prescription ne soit pas retenue. On fera tout pour avoir un procès aux assises. » Une fois de plus, même si ce n’est pas légal, c’est moral. La loi d’Antigone contre celle de Créon, somme toute.

Nicolas GAUTHIER

Et aussi…

Le naturopathe de Cachan : “Médecin chercheur” ou escroc ?

Miguel Barthéléry, qui continue d’exercer au Maroc, est-il un assassin? Ce sera à la justice de trancher, alors qu’il est déjà inculpé « d’exercice illégal de la médecine». Tout démarre avec la mort, en 2019, d’un de ses patients, atteint d’un cancer des testicules (que les traitements classiques soignent dans 97% des cas).

Condamné à deux ans de prison avec sursis, le naturopathe, qui se présente toujours comme un « médecin chercheur », continue d’exercer ses funestes talents. Et les victimes de s’accumuler.

Miguel Barthéléry interdisant à une femme atteinte d’un cancer de l’utérus et de malnutrition toute forme de protéines animales. Les parents de la défunte ont enregistré une communication téléphonique édifiante : «Tous cancers confondus, j’ai à peu près 75% de réussite. Et encore, ce chiffre est un peu plus élevé pour quelqu’un qui n’a pas suivi de chimio. »

L’homme s’est acoquiné avec une certaine Irène Grosjean, autre naturopathe installée au Maroc, qui déclarait récemment dans une vidéo : «Dans notre centre, les paralysés pourront remarcher. Les cancéreux n’auront plus de cancer. Les sidéens n’auront plus le sida. Les chômeurs retrouveront une situation. »

Et Miguel Barthéléry de persister dans une autre vidéo : «Quand on observe en laboratoire ces cellules cancéreuses, si elles n’ont ni sucre ni protéines animales, elles se suicident et il n’y a plus de cancer. » Ni de patients non plus, à en juger par ce qu’il est advenu des siens.

NG

Source: Lire L’Article Complet