Cette semaine, Chloé Thibaud s’est interrogée sur la légitimité de certaines insultes qui ont trait au physique masculin. Alors, les insultes peuvent-elles aussi être sexistes envers les hommes ? Réponse.

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POW POW POWWWWW ! Ça, ça a été ma réaction quand j’ai découvert le tweet de Greta Thunberg en réponse à Andrew Tate*, le 28 décembre dernier. Alors que le pire des masculinistes se vantait de ses 33 bagnoles et lui demandait son mail afin de lui envoyer “la liste complète de sa collection de voitures et de leurs énormes émissions de gaz à effet de serre“, l’activiste écologiste lui a proposé d’écrire à l’adresse suivante : [email protected]. Aoutch. Ces mots-là ont fait mal à l’ego d’Andrew qui – arrêté 48 heures plus tard pour trafic d’êtres humains et viols – a commenté “Comment oses-tu ?“. Lol. Mais oui Greta, comment oses-tu traiter un homme qui passe son temps à humilier les femmes de “petite bite“ ?

Dans les médias français, “j’ai une petite bite“ a souvent été utilisée pour traduire “small dick energy“, de sorte que le public comprenne immédiatement l’idée. Cependant, cela fait allusion à l’expression anglophone “Big Dick Energy“ (“une énergie de grosse bite“), née il y a quelques années sur Twitter. Plus qu’une simple référence à la taille d’un pénis, elle signifie que quelqu’un (homme ou femme) a beaucoup de charisme et de confiance en soi. À l’inverse, une personne avec une “Small Dick Energy“ serait avant tout une “grande gueule“, c’est-à-dire quelqu’un qui la ramène beaucoup mais qui manque de courage (= Andrew Tate qui se cache en Roumanie et derrière son écran d’ordinateur). Passé l’effet “ahah-trop-cool-elle-l’a-mis-K.O.-en-retournant-ses-propres-armes-contre-lui“, j’ai pensé aux centaines de milliers de jeunes qui, suite à cette affaire, vont potentiellement penser que “petite bite“ est LA bonne façon de remettre un homme à sa place. J’ai aussi pensé aux hommes qui ont réellement une petite bite et à ceux qui en souffrent. Bref, je me suis demandée si, en tant que féministes, nous devions continuer d’employer ces termes-là en 2023.

“Outre l’aspect body shaming de cette insulte, elle perpétue l’idée qu’un homme doit avoir une grosse bite,m’a expliqué Aurore Vincenti, linguiste spécialisée en sexologie. Quand on insulte quelqu’un en sous-entendant qu’il puisse être un demi-homme, un sous-homme, on affirme malgré nous qu’être un vrai homme c’est justement être un Andrew Tate, avec de grosses bagnoles et une grosse bite. Même si on n’en a pas immédiatement conscience, on reste sur une modalité de combat sexiste, et cela réactive le fait qu’il y a toute une catégorie d’hommes qui doivent bien comprendre que s’ils ont un petit pénis, ce ne sont pas vraiment des hommes. C’est dommage, car c’est contre-productif.“ C’est le moins qu’on puisse dire. J’ai échangé avec Théo, 21 ans, qui a souvent entendu cette insulte quand il était au collège et au lycée. “Quand une fille voulait faire de la peine à un mec, c’était le truc qui revenait tout le temps, et ça marchait. On me l’a dit plusieurs fois, je pense que c’est ce qui me blesse le plus. Plus que ‘t’es moche’ ou ‘connard’. Une fille qui te traite de ‘petite bite’, en fait, elle te dit que tu vaux rien, quoi… Après, quand on te dit ça, toi t’as pas envie d’être sympa avec elle, donc avec tes potes tu fais quoi ? Tu insultes les meufs aussi.“ Farid, lui, a 40 ans. Il m’a raconté qu’il avait grandi dans une cité aux côtés d’un grand-frère “ultra respecté“, dans une famille maghrébine où, culturellement, les hommes doivent “être forts“ : “Moi, j’adhérais pas à tout ça, au fait de se battre en permanence, je voulais jouer au foot, lire mes mangas, m’amuser…Alors très vite, mes sœurs et ma mère m’ont dit ‘t’es pas un vrai mec’, ‘t’as pas de bite’, ‘pas de couilles’, pas de courage…“

Que cela sorte de la bouche d’une mère, d’une sœur, d’une camarade de classe ou d’une collègue, lorsqu’une femme rabaisse un homme en évoquant son sexe, qu’est-ce que cela révèle ? “D’un point de vue linguistique, le rôle d’une insulte est de se décharger d’une émotion, précise Aurore Vincenti. Ici, ça révèle le fait qu’en tant que femmes, nos corps sont constamment attaqués, stigmatisés, nous sommes sexualisées à travers des insultes comme ‘salope’ ou ‘grosse pute’. En disant ‘petite bite’, c’est une façon de reprendre le pouvoir en miroir, de répondre sur le même champ, ce qui n’est pas très fin mais, on peut entendre qu’à un moment, on en ait marre d’être ‘plus intelligentes que ça’, qu’on craque. L’insulte arrive généralement sous des effets de colère, d’émotions fortes qu’on n’arrive pas bien à gérer, et notre rapport à la langue est hyper systématique, c’est-à-dire que notre vocabulaire est assez réduit en termes de gros mots. Ce qui sort en premier, c’est ce que tout le monde dit, ce dont on a l’habitude…“

J’ai passé un coup de fil à Thomas Messias, journaliste pour Slate.fr et créateur de l’indispensable podcast Mansplaining. Que pense-t-il de ces insultes ? “Sur le principe, ça me gêne parce qu’on reprocherait à des hommes de tenir des propos équivalents envers des femmes, même s’il ne faut pas toujours symétriser les choses… L’idée, c’est plutôt que les hommes arrêtent d’avoir des propos sexistes et liés à la sexualité quand ça n’a rien à voir, plutôt que les femmes s’y mettent aussi. Il faudrait arriver à faire preuve d’inventivité, mais c’est pas facile…“ Depuis quelque temps, les anti-féministes et les masculinistes lui adressent d’ailleurs ce genre de qualificatifs : “On dit souvent de moi que je suis ‘castré’, on explique que je suis le chien-chien tenu en laisse par les féministes qui me manipulent et m’avilissent. Ça ne me fait pas grand chose parce que je ne me sens pas insulté dans ma virilité, je ne fonctionne pas comme ça. Et je sais que ces types ont un imaginaire très restreint.“

Pas simple, donc, de se défaire de ces attaques “réflexes“ et de trouver de nouveaux mots pour se défendre. Noémie de Lattre, autrice de Journal – L’histoire de mon cœur et de mon cul (éditions Albin Michel) et créatrice du brillant seule-en-scène Féministe pour homme, s’interroge constamment sur notre usage de la langue française. “Je milite pour qu’on fasse extrêmement attention aux insultes qu’on emploie au quotidien, qu’on les remplisse de leur sens, me dit-elle. ‘Petite bite’ est une insulte que j’essaie d’éviter complètement car elle est viriliste, de la même manière que ‘fils de pute’ ou ‘enculé’ qui ont été la base de mon répertoire d’insultes pendant des années. Mais il y a une différence entre l’insulte – dont on a oublié le sens et qu’on utilise sans réfléchir – et la répartie. Je pense qu’une répartie peut être extrêmement intéressante, y compris dans une démarche pédagogique, car savoir répondre aux attaques physiques par des réparties physiques, ça permet – aussi bien pour les spectateurs que pour l’acteur de la joute verbale – de mesurer la cruauté, la bêtise et le sexisme de ce qui vient d’être dit.“ Désormais, quand Noémie croise un homme dans la rue et qu’il commente son physique, même si la remarque est positive, elle prend le temps de s’arrêter : “Je regarde le mec, je le détaille et j’émets un commentaire genre ‘Toi aussi t’es pas mal !’ ou ‘Ah non, trop petit pour moi’… Quand tu fais ça, je te jure que les mecs se sentent perdus, déboussolés, parfois humiliés. C’est bien la preuve (s’il en fallait une) que lorsqu’ils font ça, ’il ne s’agit pas de séduire mais d’avoir le pouvoir.“

Hasard ou coïncidence, il y a huit jours, quatre chercheurs du département de psychologie expérimentale de la prestigieuse University College de Londres ont publié les résultats d’une étude intitulée Small Penises and Fast Cars: Evidence for a Psychological Link (disponible ici en anglais). Ils écrivent notamment que “le lien entre le fait de conduire une puissante voiture de sport et d’avoir un petit pénis est un trope culturel répandu, discuté par les universitaires, des analystes freudiens aux théoriciens de l’évolution“, et ajoutent : “Pour la première fois, nous démontrons qu’il est fondé sur une vérité psychologique“. Alors, vous savez quoi ? La prochaine fois que l’envie vous prend de traiter un mec de “petite bite“, lancez-lui plutôt : “espèce de conducteur d’une puissante voiture de sport, va !“ #VroumVroumLeVirilisme

*si vous n’avez pas suivi l’affaire Andrew Tate, lisez cet article

Simone kiffe : les recommandations de Chloé Thibaud

“La première fois que je suis tombée amoureuse d’une seconde personne, je me suis dit que c’était peut-être un hasard, une épreuve, un bug dans la matrice. La seconde fois, le doute n’était plus possible.“ J’ai beaucoup réfléchi à ma définition du “couple“ en lisant Polyamoureuse Confidence d’une femme qui aime au pluriel, le nouveau livre de Lucile Bellan paru aux éditions Larousse. La journaliste raconte comment elle est passée de la monogamie, évidente et imposée par la société, au polyamour dans lequel elle s’épanouit aujourd’hui. Son récit est ponctué de “paroles de polyamoureux·ses“ et révèle qu’ un réel enjeu politique se cache derrière les amours plurielles. Si vous ne le connaissez pas déjà, je vous invite aussi à écouter son podcast “Première & Dernière fois, élu meilleur podcast de conversation au Paris Podcast Festival de 2021 !

Savez-vous qui est Camille Urso ? Née en 1840 à Nantes et morte en 1902 à New York, elle a donné plus de huit cents concerts au cours de sa carrière et aurait été la “première féministe de l’Histoire de la muique“, selon Bénédicte Flye Sainte Marie. Cette dernière signe Je suis née au son du violon, une biographie passionnante de la musicienne aux éditions Infimes, où l’on apprend comment Urso “démontra que la masculinisation forcenée de la musique de son siècle n’était pas une situation intemporelle mais bien un retour en arrière puisque les femmes pouvaient, à la Renaissance et à l’époque moderne, exercer la profession de violoniste comme s’adonner à la composition.“

Tout aussi douce pour vos oreilles que le son du violon, la voix de Gabi Hartman qui vient de sortir son premier album éponyme. Autrice, compositrice, guitariste et interprète, son précédent EP, Always Seem to Get Things Wrong, avait été streamé plus de 2 millions de fois… Rien d’étonnant, sa musique est magique, mélange de jazz, de folk, de français, d’anglais, de portugais et d’arabe, elle nous perd délicieusement dans ses souvenirs de voyage entre Paris, Rio et New York. Le titre que j’écoute en boucle ? “Coração transparente“. Votre cœur à vous ne restera pas transparent si vous avez la chance d’aller l’écouter le mardi 24 janvier à La Seine Musicale, à Paris.

Lui, il est assis, passif, et elle, elle, a les fesses à l’air, c’est elle qui gère la situation… Toi, tu aimes quand le soutien-gorge est de la même couleur que le string ?“ Dans le tout premier épisode de L’1 dans l’Autre, Rosa Bursztein regarde et commente un film porno avec l’humoriste Alex Vizorek. Un chouette concept qui permet de poser à l’invité des questions inédites, du genre “Si tu devais tourner dans un film pour adulte, ce serait avec qui ?“. Vous pouvez regarder l’émision gratuitement sur YouTube et également retrouver Rosa en spectacle (il est très drôle), tous les mardis et mercredis à La Comédie de Paris.

Le post Simone de la semaine

« Aujourd’hui, ça suffit ! On ne touche pas à un enfant ! On veut des lois, on veut de la protection, on veut de la formation. » L’autrice et réalisatrice Andréa Bescond se mobilise dans la lutte contre les violences sexuelles et l’inceste.

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Simone shop

“Salut beauté” ne sera plus JAMAIS synonyme d’un gros relou harceleur de rue, mais de ce label de mode parisien qui confectionne des costumes colorés et stylés pour conquérir le monde.

Les collections de Mathilde et Sarah sont réalisées à partir de chutes de tissus déjà fabriqués ou de surplus de production récupérés auprès de grandes maisons de couture.

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Par Chloé Thibaud, journaliste, spécialiste des sujets culture et société. Elle est l’autrice de plusieurs ouvrages : Toutes pour la musique (chez Hugo & Cie), Hum Hum – Et si on parlait vraiment de sexe ? (Webedia Books) et En relisant Gainsbourg (Bleu nuit éditeur).

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