Pour son quatrième long-métrage après Whiplash, La La land et First Man, le cinéaste franco-américain Damien Chazelle s’est lancé avec Babylon dans une fresque endiablée sur le cinéma et sa fabrication, avec une intrigue qui nous ramène cent ans en arrière et nous présente trois personnages hauts en couleur et ambitieux, campés par Brad Pitt, Margot Robbie et Diego Calva. Il s’est confié à franceinfo.

franceinfo : On n’avait jamais autant ri devant un de vos films, sans oublier les nombreuses scènes de sexe, de drogue, de fête, et une crudité pas loin de la vulgarité. Est-ce que Babylon est votre film le plus sauvage, le plus osé ?

Damien Chazelle : Oui, même si c’était déjà le cas dans Whiplash, montrer cette violence dans le monde du jazz, de la musique. C’est similaire dans Babylon : montrer un monde dont on connaît la version « officielle », mais surtout représenter ce qui se cache derrière. Bien sûr, il y a l’illusion de Hollywood, l’usine à rêves. Mais il y a bien sûr un côté cauchemar, un côté absurde, un côté burlesque, même grotesque. Il y a tout ça qui existe derrière l’illusion de glamour et d’élégance et que je voulais montrer. 

Certaines critiques estiment que Babylon serait l’anti-La La Land, en apparence un film plus lumineux, plus candide, mais qui comportait aussi une forte part d’amertume.

Oui, c’est un peu plus compliqué, mais je comprends pourquoi les gens peuvent dire ça. La La Land est un film qui se passe aujourd’hui, mais qui parle des gens qui regardent derrière eux, qui regardent vers le passé. Alors que Babylon est un film qui se déroule dans le passé, mais parle des gens qui regardent vers l’avenir. C’est pour ça que je voulais représenter tout ce qui est moderne dans les années 20. C’est incroyable de constater ce qui a existé dans cette période au niveau de drogues, de sexualité, de musique, de travail, de vêtements, de cheveux… Un monde festif et sans limites, mais qui restait caché. Et donc j’aimais bien l’idée de faire un film sur cette période, mais où on sentait le modernisme et la transgression de cette époque.

Et paradoxalement, le sort des minorités (Noirs, Asiatiques, Latinos et même les femmes) était meilleur à cette époque et il a empiré après ?

C’est un peu ironique parce qu’on a l’impression, on veut penser que l’histoire, c’est toujours porteur de progrès, alors que parfois, on repart en arrière. Et à la fin des années 20, avec l’arrivée du cinéma parlant, mais aussi les changements moraux, sociaux, le code Hays en 1934 [sorte de « code de bonne conduite » sur les mœurs dans les films pour éviter la censure] et tous les bouleversements industriels à Hollywood, c’est vrai que c’est devenu moins ouvert, un peu moins libre et un peu plus « blanc ».

Le film est aussi évidemment une réflexion sur Hollywood, cette usine à rêves qui peut à la fois fasciner et détruire les gens qui sont dans ce système. En cela, le personnage interprété par Margot Robbie est le symbole d’une volonté de liberté, de naturel, face à la rigidité morale et à l’hypocrisie corsetée du milieu ?

Et c’est aussi un peu à cela que ressemble le Hollywood d’aujourd’hui. On retrouve une espèce de conformisme, de puritanisme à Hollywood, partout dans les États-Unis d’ailleurs, qui est presque anti-artistique. Mais le film est aussi une tragédie, parce que Nelly LaRoy [le personnage joué par Mrgot Robbie] est finalement détruite par elle-même. Victime de ses addictions, elle ne peut que se blesser. 

Vous avez été considéré, peut-être à tort, comme un cinéaste plutôt « nostalgique ». Mais à la fin du film, vous présentez un montage de grands classiques du cinéma, de Chantons sous la pluie à Avatar. Un hommage au septième art, mais qui semble davantage regarder vers le futur que vers son passé, et une façon de dire que le cinéma a finalement toujours survécu à tout ?

C’est exactement ça. Pour moi l’histoire du cinéma, c’est une histoire de mort et de renouvellement ou de renaissance, ce sont des cycles. On dit que le cinéma est mort tous les dix ans. Lumière l’a dit. On l’a dit dans les années 20, on l’a dit dans les années 30-40, surtout dans les années 50, avec l’arrivée de la télévision. Godard l’a dit et désormais, tout le monde le dit (rires) ! Et ils n’ont pas forcément tort, mais je reste optimiste. L’histoire peut nous inciter à être optimistes, et regarder devant en n’oubliant pas que le cinéma reste un art très jeune comparé aux autres. Il faut continuer à croire, à pousser, parce qu’on a commencé mais qu’on n’a pas fini. Et c’est vrai que moi, parfois, en 2020 par exemple avec la pandémie et les salles fermées, j’ai eu peur que le cinéma, l’expérience du cinéma en tant que spectateur soient vraiment menacés. Mais il y aura sans doute d’autres menaces dans le futur, et il faut continuer à batailler pour qu’une idée de cinéma existe.

Source: Lire L’Article Complet