La prise ou la perte de poids trouvent parfois leurs causes dans un traumatisme à caractère sexuel : de la frustration dans un couple au viol enfoui, le docteur Jean-Michel Cohen explique combien l’approche psychologique est essentielle en nutrition.

On ne présente plus le Dr Jean-Michel Cohen, expert de la nutrition et du « savoir maigrir ». Dans son nouveau livre, Maigrir, pourquoi j’y arrive pas ? (First Editions), il met en exergue la part psychologique dans nos comportements alimentaires. Et pose notamment la question du rapport entre le surpoids, ou la maigreur, et la sexualité. Un sujet complexe, étayé par de nombreux témoignages de ses patients sur Instagram. Un ouvrage didactique. Précis. Percutant.

GALA : Dans votre nouveau livre, vous mettez en avant la relation entre la nutrition et l’esprit, les comportements alimentaires et la psychologie. Un préalable indispensable avant de débuter un régime ?
JEAN-MICHEL COHEN
 : Oui, c’est indispensable dans une consultation en nutrition. Grossir comme maigrir, ce n’est pas simplement l’affaire de l’ingestion des aliments. Il faut déterminer si différentes pressions psychologiques influent, d’autant plus qu’il n’est pas toujours facile de les nommer, les avouer. Les patients en surpoids sont souvent des hommes et des femmes qui cherchent un réconfort au travers de la nourriture. Cette dernière agit alors comme un médicament pour apaiser des douleurs, pour soulager l’anxiété, se protéger de quelque chose. Quand je demande à mes patients « Qu’est ce qui fait que vous voulez maigrir ?», ils me répondent souvent de façon énigmatique : « Pour me sentir mieux ! » A partir de là, il faut explorer les raisons pour aboutir à un bon résultat.

GALA : En somme, les patients qui espèrent juste un régime sur ordonnance se trompent, il faut d’abord trouver les bonnes raisons de maigrir…
J.-M. C
. : Oui, mais en vous disant cela, cela ne concerne évidemment pas les patients qui sont en surpoids pour des raisons génétiques, médicamenteuses. Pour les autres, j’essaie de trouver des indices, comme un détective, pour les aider. Avec notamment cette question essentielle : quel est le point de départ de la prise de poids ? Si on me dit « j’ai grossi à partir de l’âge de la puberté », j’ai un indice génétique ou hormonal et je ne vais peut-être pas le traiter de façon psychologique. Mais si on me dit « j’ai grossi à l’âge de 33 ans », là je cherche s’il y a eu des traumatismes, une angoisse qui est apparue, quelqu’un autour de le ou la patiente qui le tyrannise, le pollue, un décès dans son entourage qui a été un déclic.

GALA : Et puis, il peut y avoir un lien avec la sexualité. Pouvez-vous nous l’expliquer ?
J.-M. C. 
: On peut grossir ou maigrir à cause d’un traumatisme sexuel et cela représente une bonne partie de ma patientèle. Les attouchements, les viols sont une cause fréquente d’une prise de poids que personne n’arrive à résoudre tant que l’on n’a pas « mis en éclairage » ces traumatismes. Et je précise que les attouchements peuvent être physiques ou moraux. Le simple sentiment d’avoir été, quelque part, désiré par quelqu’un qu’on ne souhaitait pas, peut être une forme de violence sexuelle. C’est l’histoire de l’une de mes patientes, une jeune fille dont le beau-père n’arrêtait pas de regarder la poitrine quand il était à table. Elle l’a vécu comme un viol. Le deuxième sujet, c’est l’insatisfaction sexuelle. Sans être caricatural, le corps et la bouche restent des outils d’expression mais aussi des outils érotiques. Et l’insatisfaction peut conduire, de temps à temps, à transformer la frustration par le biais de la nourriture, c’est-à-dire, manger et grossir. Mais cela peut être aussi le cas d’une femme qui ne veut pas se sentir désirable, qui ne veut pas avoir des rapports sexuels avec son mari, et qui peut être amenée à grossir, simplement pour l’écarter d’elle, en se rendant non désirable. Ce sont des sujets extrêmement courants et douloureux.

GALA : Si je vous suis bien, le corps étant un objet de désir dans notre société, peut inciter, inconsciemment, certaines femmes à se dégrader par le biais de la nourriture, afin de refuser l’acte sexuel. Et les hommes alors ?
J.-M. C. 
: C’est la même chose ! J’ai raconté dans mon livre l’histoire de cet homme qui se croit impuissant et qui va enfouir son pénis à l’intérieur de la graisse. Il va grossir pour, en quelque sorte, disparaître en tant qu’entité masculine. Il y aussi le sujet de l’ambivalence sexuelle : suis-je femme ou suis-je homme ? Ai-je intérêt à grossir pour faire pousser mes seins et cacher mes organes génitaux ? Ou ai-je intérêt à maigrir pour être au contraire plus masculanisé. Vous l’aurez compris, la sexualité est un thème important dans la prise de poids et elle s’aborde avec beaucoup de délicatesse. Il y a toujours eu une boîte de mouchoirs sur mon bureau, car au moment de ces aveux, les patients explosent… et le traitement peut enfin commencer avec des résultats plus efficaces.

GALA : Y-a-t-il un cas qui vous a particulièrement touché dans vos consultations ?
J.-M. C.
 : Oui, c’est l’histoire d’une femme qui grossit parce qu’elle n’arrive pas à avoir d’enfants. Son mari désire plus que tout cette grossesse. Elle a peur qu’il la quitte. Elle va mimer la grossesse en prenant beaucoup de poids. Mais je veux insister sur un point : si le nutritionniste peut aider à dévoiler un sujet, un traumatisme, il doit absolument s’appuyer sur un professionnel de la psychologie. Chacun son expertise. Ne mélangeons pas tout !

Cette interview est à retrouver dans le Gala N°1544 disponible le jeudi 12 janvier 2023.

Crédits photos : CEDRIC PERRIN / BESTIMAGE

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