Sa grand-mère, Menie Grégoire, était une voix qui portait celle de toutes les autres. Ces millions de femmes qui lui écrivaient et l’écoutaient chaque jour sur RTL de 1967 à 1982 dans Allô Menie.

Dans son roman L’heure des femmes, à travers quatre personnages féminins, dont celui de cette confesseuse star, la journaliste et romancière Adèle Bréau livre une fiction attachante et interroge au passage la place de ses contemporaines dans la société.

L’expression inédite des femmes à l’antenne d’un média national

L’heure des femmes est votre septième livre et c’est dans celui-là que votre grand-mère fait (enfin) son apparition ?

Oui, elle est très présente dans ma vie pourtant. Pas une journée ne se passe sans que je dise « comme dirait ma grand-mère », mais l’envie d’écrire sur elle ne m’était pas venue jusque-là.

Il y a quelque temps, Marie Claire m’a demandé d’écrire à propos d’elle. Je pensais avoir des retours d’auditrices de l’époque, rien de plus. En réalité, j’ai reçu des réactions y compris de toutes jeunes femmes qui n’avaient pas connu ces années et me disaient : « Cette femme, on en parle beaucoup dans ma famille » ou « Elle a changé la vie de ma grand-mère qui avait eu cinq enfants, hésitait à s’arrêter de travailler, a tenu bon et a fait promettre à ma mère de ne jamais le faire non plus ».

Il y avait, aussi, dans son activité de « confesseuse » une forme de libération de la parole qui résonnait très fort avec un fait de société actuel. Or c’est un point dont j’aime partir pour mes livres.

Vous en avez fait un roman, pas une biographie classique…

En tant que petite fille, mon regard n’aurait pas forcément été le bon. Et puis, ce n’est pas ma manière d’écrire. J’ai besoin de la liberté d’intégrer des personnages, de m’amuser avec eux. Elle était quelqu’un de très « exagérant », de très fantasque, je voulais réussir à faire passer ça, solution que je n’aurais peut-être pas eue en racontant les faits, juste les faits.

Aussi, je ne voulais pas parler que d’elle. Les personnages des sœurs qui l’écoutent à la radio montrent l’impact de l’émission chez des femmes réduites à la maternité qui ne comprenaient rien à la contraception et disent une époque.

Quant à la femme d’aujourd’hui, par un jeu de miroir, elle interroge le lecteur sur ce qui a changé, ce qui n’a pas changé…

Cinquante ans après « Allô Menie », les combats n’ont pas beaucoup changé

Oui c’est troublant. Vous dépeignez les années 70-80, ces voix nouvelles qui s’expriment enfin et on se retrouve face à certains sujets dont on parle encore…

La sortie du livre de Camille Kouchner La familia grande a également été un déclencheur dans mon envie de faire ce livre. J’ai pensé à cette phrase de ma grand-mère qui disait déjà que « l’inceste était partout » dans les récits qu’on lui livrait.

On ne cesse de soulever un couvercle et de le refermer ! Je n’arrive toujours pas à comprendre comment, j’espère que cette fois, notamment avec les réseaux sociaux, on a libéré quelque chose qui ne s’arrêtera pas. Et concernant la place des femmes et l’égalité dans le couple c’est pareil, grâce à ma plongée dans ces histoires, j’ai enfin compris le terme de backlash !

Bien qu’il s’agisse d’une trajectoire qui vous est proche, vous avez dû enquêter pour écrire.

Oui ! Et j’avais une matière extraordinaire. Les plus de 100 000 lettres, envoyées à ma grand-mère et l’émission – qui se trouvent aujourd’hui aux archives d’Indre et Loire – sont un puits sans fond. Plus on en ouvre, plus il y en a. C’est une somme documentaire monumentale.

Il y a bien sûr toute une série de témoignages sur l’avortement et la contraception, mais ce qui est étonnant, c’est aussi d’y lire parfois le simple quotidien des gens. On se rend compte de leur solitude, de leur envie de parler, cela dit qu’à cette époque, lorsqu’on n’habitait pas dans une grande ville, ce genre de lieu de parole était presque vital.

Cette matière réelle m’a aussi permis de coller à l’époque, aux événements, à la manière de penser d’alors. Ça m’a demandé plus de travail de recherche que pour mes précédents romans qui se déroulent tous aujourd’hui – sauf L’odeur de la colle en pot (Éd. JC Lattès) qui s’inscrivait dans les années 90 mais j’ai une hypermnésie totale [mémoire exceptionnelle, ndlr] sur cette période…

Votre grand-mère était journaliste, vous aussi. Elle a publié des livres, vous aussi. Elle était votre inspiratrice ?

Quand j’étais petite, les grands-mères des autres étaient à la retraite. La mienne revenait toujours d’une soirée ou en organisait une. Elle allait « au journal » en talons avec les ongles laqués. Ça me paraissait super d’être journaliste et écrivain.

À ses 93 ans des gens allaient encore la voir chez elle pour lui raconter leurs problèmes.

J’ai eu la chance de la connaître jusqu’à ses 95 ans. Elle est morte en 2014, l’année où mon premier roman est sorti. Mais je travaillais déjà pour TerraFemina sur les questions de femmes donc elle a pu voir ça. Il est vrai que le fait d’avoir toujours travaillé dans des féminins et de n’écrire que des livres de femmes sur les femmes n’est pas très anodin !

Menie Grégoire agressée et menacée 

Pensez-vous qu’elle avait un don pour arriver à passionner tant de gens ?

De manière tout à fait modeste, elle disait « j’étais là et ça s’est passé » mais elle avait quand même quelque chose en plus. Elle avait fait sa psychanalyse et c’est ce qui l’a poussée à vouloir « psychanalyser » les autres. Elle avait une aura de confesseuse. Jusque tard. On s’est rendu compte qu’à ses 93 ans des gens allaient encore la voir chez elle pour lui raconter leurs problèmes.

Plus tôt, elle avait eu l’audace aussi de dire à un patron « embauchez-moi » et avait choisi un mari qui, dans ces décennies-là, la laissait faire tout ça et la soutenait. Comme tout ce qui est révolutionnaire, il y avait beaucoup d’adeptes mais aussi des tas de gens qui trouvaient ce qu’elle faisait (parler de vie sexuelle, d’intimité) abominable. Elle s’est fait gifler dans la rue, recevait des lettres de menace que ses assistantes planquaient…

À qui adressez-vous cette histoire à la fois personnelle et sociétale ?

Aux jeunes filles, bien sûr, qui n’imaginent pas qu’une telle époque, où l’on avait éventuellement un gros téléphone dans le salon, des difficultés à parler et se confier, a pu exister il n’y a pas si longtemps !

Évidemment, aux femmes de 50 ans qui peuvent être inspirées par cette mère de famille qui a commencé à travailler à leur âge et se dire « tout commence ».

Enfin, aux hommes ! Le romanesque rend plus accessibles les sujets vers lesquels on ne va pas forcément. Ici, ils peuvent entrer dans la tête de plusieurs femmes…

L’heure des femmes d’Adèle Bréau, Éditions JC Lattès.

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Une version courte de cette interview a été initialement publiée dans le Marie Claire numéro 845, daté février 2023.

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