Dans le passionnant Trois femmes disparaissent, à la fois enquête stylisée, roman féministe et ovni cinéphile, l’autrice Hélène Frappat détricote délicatement le tissu de violence qui enferre une lignée d’actrices : Tippi Hedren, violentée par Alfred Hitchcock, sa fille Melanie Griffith et sa petite-fille Dakota Johnson, héroïne SM de Fifty Shades of Grey. Entretien avec une généalogiste du septième art.

Comment vous êtes-vous rendue compte que la trajectoire de Tippi Hedren était hallucinante ?

En découvrant qu’elle vivait dans une réserve de fauves non domestiqués – depuis le tournage de Roar, le film de son mari Noel Marshall, où figuraient des lions.

Cette femme qu’Hitchcock a tenté de violer, de sadiser, qui a été déchiquetée, sur ordre du cinéaste, par des corbeaux sur le plateau des Oiseaux, voilà qu’elle s’extrait des griffes de son tortionnaire pour, de son plein gré, cohabiter avec des félins qui la blessent (jusqu’à la gangrène) ! Cette femme en fuite, massacrée par son travail et ses relations amoureuses, nous dit quelque chose de la condition féminine.

Les actrices systématiquement attaquées sur leur physique

L’un des lions de Tippi a endommagé gravement le visage de Melanie Griffith qui, dès l’adolescence, a développé une addiction à la chirurgie esthétique. Comme si une malédiction était jetée littéralement sur sa tête. C’est de la mythologie grecque !

C’est ça ! La mythologie, aussi, est pleine de femmes qui parlent mais qu’on ne croit pas (Cassandre), de femmes violées par des dieux changés en oiseaux (Léda, par Zeus)…

Melanie, comme dans les jeux du cirque, fascine car son sang coule, car sa peau ne lui appartient pas, si bien que le monde entier se permet de dire : « C’est quoi cette bouche ? » ou « Regarde cette tête ! » Ce bashing à l’endroit des actrices refaites, je le trouve dégueulasse.

Dans ce cas, OK, parlons aussi du physique d’Hitchcock, ce « gros porc » comme disait de lui Tippi.

Le cinéma, c’est l’image agrandie de nos vies, donc des systèmes de domination qui sont à l’œuvre.

Vous avez écrit un livre sur l’acteur napolitain Toni Servillo, Le nouveau monstre. Y a-t-il du monstre (et non du monstrueux) dans ces actrices ?

Servillo, comme Marilyn ou Huppert, est un monstre car il incarne quelque chose de plus grand que lui. Tippi, Melanie et Dakota aussi : elles forment un monstre à trois têtes qui est dans l’excès, le sublime qui nous dépasse, le bigger than life.

Ce n’est pas pour rien que la révolution #MeToo s’est déclenchée à Hollywood : le cinéma, c’est l’image agrandie de nos vies, donc des systèmes de domination qui sont à l’œuvre.

Une écriture rythmée

Dans les années 2000, vous avez consacré des textes à Rivette et à Rossellini. Les écririez-vous différemment aujourd’hui, depuis que #MeToo est passé par là et que la position toute-puissante des réalisateurs est questionnée ?

En l’occurrence, non : Rivette était dans l’empathie totale, ne se projetait qu’à travers des femmes et détestait la crapulerie de la domination. Pour moi, il est « la » plus grande cinéaste de la Nouvelle Vague ! Quant à Rossellini, même s’il y a de la cruauté dans les films qu’il a tournés avec sa femme Ingrid Bergman, il n’y a pas chez lui de rapport prédateur-proie. Capturer les femmes dans son regard n’était pas son but.

Dans votre livre, vous sautez des lignes comme dans un script, vous intercalez des « action » et des « coupez »… Comment le langage du cinéma influe-t-il sur votre manière d’écrire ?

Je n’écris pas sur le cinéma, mais dedans. J’écris mes livres comme des films que je me ferais. Alors oui, il y a cette rythmique nerveuse, qui claque, et qui me donne l’impression d’écrire en américain.

Trois femmes disparaissent, Éd. Actes Sud, 20 €.

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