Découvrez ou redécouvrez Ousmane Sembène, réalisateur africain majeur, disparu en 2007 à l’âge de 84 ans ! Les œuvres de cet auteur et cinéaste militant, témoin de son époque, sont à voir dans le cadre d’une rétrospective que lui consacre du 5 au 15 janvier la Cinémathèque française, à Paris. Ousmane Sembène est le cinéaste « le plus cité par les fans de cinéma africain », souligne Samba Doucouré, directeur des publications d’Africultures et animateur du podcast Ciné Club Afro. « Même si ses films ont pour cadre la société sénégalaise, ils ont une véritable résonnance en Afrique subsaharienne ».
Son cinéma est à la fois « très politique et accessible à tous ». « Il l’a lui même dit, poursuit le journaliste. Ousmane Sembène a d’abord commencé à écrire : Le Mandat, La Noire de... ou encore Xala sont des adaptations de ses propres livres. Cependant, dans un pays où la majorité est analphabète, faire des films semblait plus adapté ».
La philosophie et le parcours artistique du réalisateur sénégalais restent inédits. « Quand il arrive en Europe, Ousmane Sembène est docker. Et Quand on lit Le Docker noir, son premier roman où il se raconte, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la façon dont cet homme, qui était analphabète et qui a appris à lire avec les syndicats, arrive à livrer une œuvre de cette qualité. C’est un autodidacte absolu en littérature comme au cinéma, même s’il a été formé en Russie à la réalisation ».
Rendez-vous donc à la Cinémathèque française qui présente une dizaine d’œuvres de cette incontournable signature du septième art africain. Et avant-goût avec Samba Doucouré.
1 « Le Mandat » (« Mandabi », 1968)
Prix de la critique internationale à Venise en 1968, Le Mandat est « la meilleure façon de rentrer dans l’œuvre de Sembène parce que l’humour domine ce long métrage même s’il y a des scènes très dures », estime Samba Doucouré. « C’est un bonbon. On se prend d’affection pour le personnage principal », Ibrahima Dieng dont la vie bascule après l’annonce de l’arrivée d’un mandat envoyé de France par son neveu.
« Je pense que c’est un film qui a été écrit pour être tous publics. Il est tout en wolof [langue la plus parlée au Sénégal] et c’est le premier long métrage dans cette langue sénégalaise. C’est une comédie populaire qui porte un véritable message, à savoir ce que s’infligent à eux-mêmes les Africains. Il y a cette discussion entre Africains : regardez ce qu’on fait aux plus fragiles d’entre nous ! Ousmane Sembène dénonce dans ce film des maux qui sont encore présents plus de 50 ans plus tard. S’il y a bien quelque chose qui entrave le développement de nos pays, c’est la corruption généralisée, le fait que certains vivent sur le dos des autres, que quelques-uns travaillent pour tous… Tout cela relève de la nature humaine mais cela peut devenir un véritable handicap« .
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Genre : Drame
Acteurs : Makhouredia Gueye, Younousse N’Diaye, Isseu Niang.
Pays : Sénégal/France
Durée : 1h30
Sortie : 1968
Synopsis : L‘arrivée d’un mandat postal, envoyé depuis Paris par son neveu, perturbe la paisible vie d’un père de famille sénégalais, Ibrahima Dieng.
2 « Camp de Thiaroye » (1988)
Si « tous » les films d’Ousmane Sembène sont politiques, Camp de Thiaroye a une très forte résonnance historique. Le cinéaste sénégalais apporte « un correctif » à l’histoire coloniale. Il évoque le massacre dans le camp militaire de Thiaroye, près de Dakar, de soldats africains (désignés sous le terme générique de tirailleurs sénégalais) ayant combattu pour l’armée française pendant la Seconde Guerre mondiale, en révolte contre leur hiérarchie militaire pour obtenir leur solde. « C’est un épisode du récit colonial qui a été nié par la France », rappelle Samba Doucouré. « Le film a d’ailleurs été censuré en France pendant une quinzaine d’années. François Hollande a finalement admis en 2014 qu’il y avait eu ‘une erreur’ de la France à Thiaroye, sans pour autant aller jusqu’à évoquer la question du nombre de victimes, encore très minoré. Les archives sont restées inaccessibles pendant très longtemps ». Pour toutes ces raisons, Camp de Thiaroye est « un film très important ». Il est également « panafricain, c’est une histoire qui parle à tous les Africains » : « les noms des personnages correspondent à des noms de pays africains et ce sont les acteurs de chacun d’eux qui l’incarne ».
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Genre : Drame
Acteurs : Ibrahim Sane, Jean-Daniel Simon, Pierre Londiche, Marthe Mercadier.
Pays : Sénégal/Algérie/Tunisie
Durée : 2h30 150 min
Sortie : 1988
Synopsis : Sénégal, 1944. Un bataillon de tirailleurs arrive au camp de transit de Thiaroye après avoir combattu contre les Allemands en France. Face aux promesses non tenues et au racisme de la hiérarchie militaire, les soldats se mutinent.
3 « Ceddo » (1977)
« C’est de loin mon film préféré », avoue Samba Doucouré. Dans Ceddo, Ousmane Sembène « invente ces costumes, du moins donne à voir ces costumes de guerriers très colorés, chamarrés... Je trouve qu’il y a quelque chose de très chevaleresque dans ce film. Y compris dans les dialogues. On a la sensation d’entendre des échanges entre des seigneurs qui sont finalement très lyriques et très imagés. C’est vraiment très beau, à plus d’un titre. On fantasme souvent l’Afrique pré-coloniale et Ousmane Sembène incarne ce rêve avec beaucoup de vraisemblance même si je ne sais pas à quel point Ceddo est documenté historiquement. »
En outre, c’est un film dans lequel il aborde des problématiques « complexes » comme la religion et l’esclavage. « Il explique comment on en arrive finalement à vendre les siens. D’un point de vue politique, c’est assez explosif puisque le film a été censuré au Sénégal même parce que le président Senghor [le premier dirigeant du Sénégal] craignait les retombées du film car Ceddo remettait en cause les religions. Je ne dirais pas que c’est un film anticlérical mais le long métrage explique, entre autres, comment le fait religieux est mis au service de l’impérialisme ».
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Genre : Drame
Acteurs : Tabara Ndiaye, Alioune Fall, Moustapha Yade.
Pays : Sénégal/France
Durée : 1h55
Sortie : 1977
Synopsis : Au XVIIe siècle, l’islam et le christianisme gagnent l’Afrique de l’Ouest. Après avoir converti la famille royale et les grands dignitaires, l’imam se heurte au refus des guerriers ceddos, mécontents de renoncer au spiritualisme africain.
4 « Guelwaar » (1992)
« Avec ce film, qui n’est pas le plus facile à regarder, nous sommes de nouveau sur la question de la religion, explique Samba Doucouré. Guelwaar est « le récit d’un conflit religieux entre chrétiens et musulmans. Mais en arrière-plan, c’est la question de l’aide humanitaire voire de l’aide au développement qui est abordée, du fait qu’il est important de s’interroger sur cette posture de mendiant. C’est un film qui a de nouveau dérangé. »
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Genre : Drame
Acteurs : Omar Seck, Ndiawar Diop, Mame Ndoumbé Diop.
Pays : Sénégal/France
Durée : 1h53
Sortie : 1992
Synopsis : Guelwaar, grande figure de la résistance et le défenseur d’une Afrique non corrompue, vient de mourir. Mais le matin de ses obsèques, son corps a disparu. Après recherches, il apparaît qu’il s’agit d’une banale erreur administrative qui va conduire à un affrontement entre chrétiens et musulmans. Guelwaar a été enterré dans le cimetière musulman alors qu’il est catholique.
5 « Xala » (1974)
Comme Guelwaar, le long métrage qui est une adaptation de son livre éponyme Xala (1973) est une critique sociale « qui s’inscrit dans la même veine que Le Mandat, dans la mesure où il pointe encore une fois ce que les Africains sont capables de s’infliger à eux-mêmes ». « Le film traite de la décadence de l’élite, celle d’un homme d’affaires qui devient puissant, poursuit Samba Doucouré. Il y évoque, par exemple, tous ces gens qui s’appuient sur les traditions seulement quand elles servent leurs intérêts. Il montre l’hypocrisie de cet homme qui ne veut pas parler wolof avec ses enfants mais qui veut bien prendre une nouvelle épouse. Sembène illustre également le mépris qu’ont les élites pour les plus faibles, le peuple ».
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Genre : Drame
Acteurs : Myriam Niang, Douta Seck, Thierno Leye.
Pays : Sénégal/France
Durée : 1h35
Sortie : 1974
Synopsis : Un homme d’affaires sénégalais quinquagénaire décide de prendre une troisième épouse. Frappé d’impuissance, il ne peut consommer son mariage et se croit victime d’une malédiction, le xala.
6 « Faat Kiné » (2000)
« Sembène a toujours accordé un rôle important aux femmes dans ses films. Dans Faat Kiné, le personnage principal est une femme. Il met en exergue son indépendance dans cette société sénégalaise très conservatrice. C’est une façon pour lui de mettre les femmes et la jeunesse au premier plan. Il y a quelque chose de très transgressif dans le personnage de Faat Kiné, femme mûre qui a des enfants, qui décide de sa vie sexuelle, par exemple. De sa vie tout court. Faat Kiné fait partie d’une trilogie, avec Mooladé [plaidoyer contre l’excision], qu’il n’a pas terminé sur le thème ‘Les femmes prennent le pouvoir’ « .
La fiche
Genre : Drame
Acteurs : Avec Venus Seye, Mame Ndoumbé, Tabata Ndiaye.
Pays : Sénégal
Durée : 2h
Sortie : 2000
Synopsis : Faat Kiné a été abandonnée par son mari. Seule, avec ses deux enfants, elle va les élever et les mener, au prix d’efforts courageux, jusqu’au baccalauréat.
7 « La Noire de… » (1966)
Adapté de sa nouvelle Voltaïque, La Noire de… est le premier long métrage d’Ousmane Sembène, rappelle Samba Doucouré. Il est considéré comme un incontournable de l’histoire du cinéma en Afrique subsaharienne. En 1966, le film décroche le Tanit d’or, récompense suprême des Journées cinématographiques de Carthage (JCC, Tunisie), le Grand prix du Festival mondial des arts nègres (Sénégal) et le prix Jean Vigo (France).
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Genre : Drame
Acteurs : Mbissine Thérèse Diop, Anne-Marie Jelinek, Robert Fontaine.
Pays : Sénégal/France
Durée : 1h05
Sortie : 1966
Synopsis : A Dakar, une jeune femme est embauchée comme gouvernante par une famille de blancs qu’elle suit en France.
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