Vendredi 23 décembre, un sexagénaire a tiré à l’aveugle dans un centre culturel kurde, faisant trois morts et trois blessés graves. Récit d’une journée cauchemardesque…
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Le 9 janvier 2013, il y a dix ans exactement, trois militantes kurdes étaient assassinées dans leurs locaux de la Gare du Nord, à Paris. Un triste anniversaire qu’une nouvelle tuerie vient d’assombrir encore plus terriblement. Cela s’est déroulé le vendredi 23 décembre dernier, vers midi, rue d’Enghien, dans le dixième arrondissement parisien. Un sexagénaire blanc lourdement armé déboule dans le centre culturel Ahmet-Kaya et fait feu. Trois personnes sont grièvement touchées (une décède instantanément, les deux autres succomberont à leurs blessures), trois autres, blessés. Le tueur est ensuite interpellé, dans la confusion, dans un salon de coiffure voisin où, selon des témoins, les blessés ont trouvé refuge.
Comment une telle horreur a-t-elle pu se produire et, surtout, qui se cache derrière ce crime abominable ? Les réponses ne tardent pas à être apportées, notamment quant à l’identité du tueur et à ses motivations. Ancien conducteur de train à la retraite, William M., 69 ans, est en effet connu des services de police. En 2021, il avait attaqué au sabre un camp de migrants, situé dans le quartier de Bercy (XIIe arrondissement de Paris), blessé deux personnes au passage et dégradé quelques tentes.
Mis en examen pour violences avec arme, avec préméditation à caractère raciste, ainsi que pour dégradations, puis placé en détention provisoire pendant un an, il avait été libéré le 12 décembre dernier sous contrôle judiciaire avec interdiction de porter un fusil ou un pistolet – il était inscrit à un club de tir sportif.
“Il est cinglé, il est fou !”
À sa sortie de prison, William M. s’installe chez ses parents, dans le IIe arrondissement de Paris. C’est de chez eux, que le 23 décembre au matin, il part, nanti de son arsenal mortel, pour rejoindre Saint-Denis avec une intention claire : tuer le plus de personnes d’origine étrangère possible. C’est en tout cas ce qu’il a déclaré à la police et qui a été rapporté à la presse. Une fois sur place, il décide de rebrousser chemin. Pas assez de monde pour faire un carnage. De retour chez ses parents, il change de tenue (la précédente n’était pas « pratique »), ressort et se dirige, un peu au hasard, vers la rue d’Enghien où il commet son forfait. Voilà pour les faits. Reste de nombreuses interrogations.
Interviewé après le drame, le père de William M., un homme de 90 ans, n’a pas épargné son fils. « Il est cinglé, il est fou ! », a-t-il témoigné à l’AFP. « Il ne vivait pas comme tout le monde, c’était un taiseux. […] Sa mère faisait tout ce qu’il fallait pour lui être agréable. » Pas suffisamment pour calmer les ardeurs belliqueuses de William M. dont le racisme et l’absence d’empathie n’étonnent guère ceux qui l’ont côtoyé, en particulier les policiers. La première question qu’il a posée aux agents venus le cueillir après son crime n’a-t-elle pas été : « Combien j’en ai tués ? » Il a ensuite regretté de n’avoir pas réussi à se suicider comme il l’avait prévu.
Acte terroriste ?
En dépit du racisme affiché de son acte (il aurait développé une haine « pathologique » envers les étrangers après avoir été victime d’un cambriolage, en 2016), William M. n’était répertorié par aucun fichier de renseignements pour radicalisation. D’ailleurs, après examen des faits, le Parquet national antiterroriste ne s’est pas saisi de l’affaire au grand dam du CDK-F (Conseil démocratique kurde en France). « Nous sommes indignés que le caractère terroriste n’ait pas été retenu », s’est ému son porte-parole, Agit Polat, à l’initiative de la marche blanche en hommage aux victimes, qui s’est tenue le lundi 26 décembre dernier, en début d’après-midi, sur les lieux, et aux alentours, de la tragédie.
À l’heure où nous imprimions, la mise en examen de William M. ne faisait aucun doute, la peine encourue pour son crime étant la prison à perpétuité. Son procès à venir sera l’occasion pour les familles des victimes de mieux comprendre son geste inhumain. En attendant, ayons une pensée pour Emine Kara, une des responsables du Mouvement des femmes kurdes en France (elle supervisait une manifestation prévue le 7 janvier pour réclamer la vérité sur les meurtres de 2013) ; Abdulrahman Kizil, « un citoyen kurde ordinaire » selon le CDK-F ; Mir Perwer, un chanteur kurde reconnu comme réfugié politique et « poursuivi en Turquie pour son art ». Tous victimes de la haine ordinaire.
Louis-Paul CLÉMENT
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