En novembre 2022, le géant pharmaceutique Sanofi annonçait via un communiqué avoir trouvé LE traitement potentiellement capable « d’éliminer la maladie du sommeil en Afrique”. L’acoziborole, un comprimé à prendre en dose unique développé par l’initiative Médicaments contre les maladies négligées (DNDi), aurait montré « des taux de succès thérapeutique allant jusqu’à 95 % ».

S’il y a bien une maladie qui intrigue et angoisse des milliers d’Africain.e.s du Serengeti ou du Congo, c’est cette fameuse trypanosomose humaine africaine – qu’on connaît mieux sous le nom de « maladie du sommeil ». Une pathologie qui s’attaque au système nerveux central des personnes piquées par la mouche tsé-tsé.

En phase avancée, le parasite déclenche des troubles du sommeil particulièrement caractéristiques.« En trois minutes, les malades peuvent tomber dans un sommeil profond », décrit le Dr Jean Jannin, président de la société Francophone de médecine tropicale et santé internationale (SFMTSI) et ancien responsable du programme de lutte contre la trypanosomiase africaine à l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

En 2020, elle faisait moins de 670 cas par an, contre plus de 40 000 en 1998, selon l’OMS. « C’est le taux le plus bas depuis 100 ans. Mais elle a tué des millions de personnes africaines », explique le médecin. Mortelle dans 100% des cas si elle n’est pas traitée, la maladie du sommeil provoque de graves troubles neurologiques.

Une maladie transmise à l’Homme par la mouche tsé-tsé

Trypanosomose, pour trypanosoma brucei gambiense, qui est le parasite à l’origine de 97 % des maladies du sommeil dans le monde. Transmissible à l’Homme après une piqûre de mouche du genre glossine – les bantous l’appellent mouche tsé-tsé pour désigner cette « mouche qui tue le bétail » – la maladie est endémique dans 36 pays d’Afrique subsaharienne, indique l’OMS. 

Les dernières grandes épidémies ont eut lieu en République Démocratique du Congo – là où plus de 70% des cas sont notifiés depuis 2011, rapporte l’Institut Pasteur – et ont sévit en Angola, en Ouganda, en République centrafricaine, au Tchad ou au Soudan. « Il n’y a jamais eu de mouche tsé-tsé en Europe, car elle n’y survivrait pas. Elles ont besoin d’une température et d’une humidité tropicale », note le Dr Jannin. 

Les personnes les plus à risque sont les populations rurales qui vivent de l’agriculture, de la pêche, de l’élevage ou de la chasse, et qui sont donc plus souvent exposées à cette mouche. Dans plusieurs villages congolais, la maladie du sommeil a été la première ou seconde cause de mortalité, dépassant même le VIH, informe l’OMS. 

Contrairement à son homologue – le trypanosoma brucei rhodesiense – qui provoque une infection aiguë et « peut tuer en moins de quinze jours », ajoute le médecin, le trypanosoma brucei gambiense est une affection chronique. Une personne peut être infectée pendant des mois voire des années tout en restant asymptomatique. « À l’arrivée des symptômes, c’est déjà mauvais signe. On en meurt forcément si aucun traitement n’est mis en place« , annonce le Dr Jannin.

Une infection qui attaque le cerveau

Pendant plusieurs mois, aucun signe ne peut se faire remarquer, jusqu’à l’arrivée de la fièvre, des maux de tête, d’une fatigue ou d’une inflammation des ganglions lymphatiques. Dans certains cas, la piqûre de la glossine peut aussi entraîner la formation d’une sorte d’ulcère de la peau, qu’on appelle chancre. Mais c’est lorsque l’encéphale et la moelle épinière sont touchées que de graves ennuis commencent

Si l’infection au parasite est très dangereuse, c’est parce qu’elle s’étend jusqu’au cerveau. « Lorsqu’on se fait piquer, le parasite se multiplie dans le système lymphatique, puis passe dans le système nerveux central et cause toutes sortes de signes neurologiques très graves« , explique le médecin. La maladie est transmissible de la mère à l’enfant, qui peut conserver des séquelles cognitives à vie.

C’est l’atteinte du système nerveux qui donnera finalement lieu aux symptômes lui ayant donné ce nom de maladie du sommeil. « Il s’agit de la seule maladie touchant l’horloge biologique », indique le médecin. Comme l’expliquent des chercheurs dans un article pour Développement et santé, le malade « dort souvent, mais peu de temps à la fois, aussi bien la nuit que le jour, de sorte que la durée totale de son sommeil ne dépasse pas le chiffre moyen des individus bien portants ». Elle a le pouvoir de compresser le cycle éveil-sommeil des malades.

Au bout de quelques mois ou années, les personnes touchées peuvent voir leur cycle de sommeil passer de 24h à 80 minutes, dans les cas les plus sévères. Elles peuvent aussi subir des « attaques de sommeil » intempestives. « Lorsqu’elles s’endorment, les personnes commencent par un épisode de sommeil paradoxal », ajoute le médecin. 

Sans traitement, des suites mortelles 

Les troubles du sommeil sont le signe d’une phase déjà avancée, précise le Dr Jannin. À la détérioration neurologique progressive peuvent s’ajouter d’autres symptômes plus sérieux comme une anémie, des troubles endocriniens, cardiaques ou rénaux. « En général, les personnes meurent d’une encéphalopathie démyélinisante », note le médecin.

Difficile à diagnostiquer – car longtemps asymptomatique -, la maladie est dépistable par divers moyens. Une ponction lombaire est notamment nécessaire afin de déterminer si l’infection s’est étendue au liquide céphalorachidien et au cerveau. Une solution « peu adaptée » aux populations majoritairement touchées, ajoute l’ancien responsable du programme de lutte contre la maladie du sommeil à l’OMS. De nos jours, la trypanosomiase est surtout dépistée via une prise de sang ou de liquide prélevé dans un ganglion lymphatique. 

Historiquement, les traitements de référence contre la maladie ont toujours été très lourds, nécessitant généralement une hospitalisation. Le mélarsoprol, un dérivé de l’arsenic, est même mortel dans 3 % à 10 % des cas selon l’OMS. 

Depuis 2019, le fexinidazole – un comprimé à prendre pendant 10 jours –  figure sur la liste des traitements essentiels pour traiter la maladie du sommeil. Un article publié dans la revue médicale The Lancet en novembre 2022 évoquait une efficacité de 95% pour l’acoziborole, un autre médicament à prendre par voie orale, en cours d’essai par Sanofi et l’initiative Médicaments contre les maladies négligées (DNDi). « Selon eux, cette molécule pourrait être un grand pas en avant vers l’éradication de cette maladie », rapporte Libération

Si on compte aujourd’hui moins de 500 cas de maladie du sommeil par an, 55 millions de personnes sont encore considérées comme étant à risque dans le monde, dont 3 millions de personnes exposées à un risque modéré ou élevé, précise l’OMS. 

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