- Première étape : le distinguer du surentraînement
- Le rejet net de l’entraînement, le signe que l’athlète va mal
- La figure de l’athlète inébranlable à déconstruire
- La santé mentale des sportifs, un tabou qui persiste
- Burn-out sportif : un terrain psychologique favorable
- Des outils pour détecter ou prévenir le burn-out
- La nature de la motivation est en jeu
- Un mal qui touche aussi les non-professionnel.le.s qui pratiquent trop intensément
- Un temps calme nécessaire pour pouvoir enchaîner
Le burn-out dans le milieu du sport n’est pas nouveau et les meilleures n’y échappent pas, comme l’illustre le craquage de Marie-José Pérec pendant les Jeux Olympiques de Sydney en… 2000 ! La Française triple médaillée d’or olympique quittait la compétition sans défendre son titre pour se rendre en clinique.
La gymnaste Simone Biles, la snowboardeuse Chloé Kim, la sprinteuse Ayodele Ikuesan ou encore la plongeuse Maxine Eouzan ont en commun leur carrière stoppée en plein vol et l’incapacité à retourner à l’activité.
« Le burn-out n’est pas encore précisément défini dans le milieu du sport, mais il se caractérise par une impossibilité à revenir à la pratique embrassée par l’athlète », indique Élise Anckaert, psychologue clinicienne à l’INSEP – Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance.
Première étape : le distinguer du surentraînement
« Il doit être distingué du surentraînement qui, lui, survient quand la capacité de tolérance au stress et à la charge de l’entraînement et de la compétition est dépassée ». Le surentraînement est un mauvais équilibre entre charges d’entraînement et périodes de récupération, mais il constitue une technique courante dans le milieu du sport. Il induit une baisse prolongée des performances et une fatigue mais peut être soigné par une longue période de repos.
Selon la psychologue du sport, cette situation s’installe quand une combinaison de facteurs empêche la personne de se recharger ; elle n’a plus de ressources pour récupérer de l’énergie, qu’elle soit mentale où physique.
Le surentrainement diffère toutefois du burn-out : celui-ci se construit sur une dépression sévère et un épuisement total des ressources qui envoie littéralement ses victimes au tapis. « Le burn-out est autrement plus grave puisqu’il installe un rejet de l’athlète vis-à-vis de sa discipline de prédilection », pointe Élise Anckaert.
On a toutes en tête l’image de Pauline Ferrand-Prévot, en larmes, sidérée au bord du parcours de VTT olympique de Rio, et ses mots, quelques jours plus tard, sur les réseaux sociaux : « Le vélo était ce que j’aimais le plus faire, mais c’est devenu mon plus grand cauchemar ».
Le rejet net de l’entraînement, le signe que l’athlète va mal
Même incompréhension exprimée par la championne de marche athlétique, Clémence Beretta, 24 ans, qui raconte une véritable descente aux enfers sur son site témoignage.
En marge de la fatigue et l’épuisement, la Vosgienne décrit l’anxiété et l’aversion envers ce qui jusque-là l’animait chaque jour. « Je commence à devenir repoussée par l’entraînement. Je n’en peux plus, je n’accepte plus (…) », commente-t-elle.
Pourtant, le milieu médical affirme qu’elle a une forme olympique, que rien n’explique son état. « Le coup de grâce a sans doute été le Championnat d’Europe par équipe où, malgré ma détresse, j’ai pris le départ. La veille, je suis prise de douleurs psychosomatiques. Mon corps me parle comme pour me prévenir qu’il ne veut pas être ici, qu’il est juste épuisé. Le matin de la course, rebelote, mon corps se fige et m’envoie de nouveaux signaux d’alerte, j’ai littéralement des crampes au ventre. Me voilà pliée en deux, je ne peux plus poursuivre mon échauffement, les douleurs sont paralysantes ».
Après seulement 6km, Clémence quitte la course. 3 mois plus tard, elle est toujours dans un état léthargique, « comme inerte dans un corps pourtant vivant ». Le médecin lui suggère de consulter un psychologue ? Indignation et déni. Il faudra que la proposition soit reformulée par son coach pour qu’elle l’accueille.
La figure de l’athlète inébranlable à déconstruire
« Le burn-out est une pathologie récente ; cette souffrance mentale remonte aux années 70 seulement en France. Elle n’est pas particulièrement en essor dans le monde du sport mais les conditions de sa révélation ont changé ; il se raconte plus, même s’il reste difficile à exprimer », relève le sociologue Baptiste Viaud, maître de conférences à l’université de Nantes.
Selon le directeur adjoint du Centre Nantais de Sociologie, bien que les médias aient relayé le mal-être de plusieurs athlètes de haut niveau, il existerait plusieurs dizaines de milliers de sportifs de haut niveau en France qui pourrait témoigner de leur propre expérience. « L’ampleur des chiffres illustre la difficulté de dire ce genre de souffrance dans un milieu comme celui du sport ; elle interroge aussi sur ceux qui ont autorité d’accueillir cette détresse », souligne Baptiste Viaud.
D’après l’auteur d’une thèse sur le suivi médical des sportifs de haut niveau, ce n’est pas un hasard si les « coming-out » des athlètes frappées de plein fouet par le burn-out ont parfois été reçus avec froideur de la part des autorités et du public.
Dès que je monte sur le tapis, c’est juste ma tête et moi… Je dois traiter avec des démons dans ma tête (…) Je dois faire ce qui est bon pour moi.
En mai 2021, la tenniswoman japonaise Naomi Osaka refuse le protocole médiatique lors du tournoi de Roland-Garros. « Je me sentais déjà vulnérable et anxieuse, c’est pourquoi j’ai pensé qu’il valait mieux me préserver et manquer les conférences de presse », avait-elle justifié, menacée par l’organisation du tournoi de sanctions et de disqualification des quatre épreuves du Grand Chelem.
Elle finit par tirer purement et simplement un trait sur la compétition, déchaînant les critiques des instances sportives, les insultes de spectateurs. La joueuse a tout de même écopé d’une amende de 15 000 dollars. Heureusement, après sa prise de parole, Naomi Osaka a reçu de nombreux messages de soutien, dont celui de l’ancienne joueuse de tennis Martina Navratilova : « en tant qu’athlètes, on nous apprend à prendre soin de notre corps, et peut-être que les aspects mentaux et émotionnels sont négligés. Cela ne se résume pas seulement à donner ou non une conférence de presse », tweetait alors la deuxième tenniswoman la plus titrée de l’histoire.
Dans le sillage de Naomi Osaka, Simone Biles montre elle à son tour des signes de mal-être psychologique lors des Jeux Olympiques de Tokyo 2020, qui se tiennent à l’été 2021. La gymnaste américaine décide de renoncer au concours général, aux JO. « Dès que je monte sur le tapis, c’est juste ma tête et moi… Je dois traiter avec des démons dans ma tête (…) Je dois faire ce qui est bon pour moi, me concentrer sur ma santé mentale et ne pas compromettre ma santé et mon bien-être », explique-t-elle face aux médias.
La santé mentale des sportifs, un tabou qui persiste
Caprice, simple état d’âme… tout se passe comme si un athlète, formé pour résister à la souffrance, n’avait pas le droit d’être atteint psychiquement.
« La blessure physique liée au sport est légitime, mais dans une profession qui a du mal à être considérée comme un véritable travail, où les sportifs auraient de la chance de pouvoir vivre de leur passion, dire que l’on est épuisé nerveusement, cela passe nettement moins bien », analyse le Baptiste Viaud. D’où les phénomènes fréquents d’autocensure.
« Si le sportif ne tient pas, il peut être jugé comme trop faible mentalement pour faire face. Nous avons observé que les athlètes qui verbalisent leur dépression sont souvent ceux qui ont accompli des performances exceptionnelles ; comme si cela leur donnait le droit de dire enfin stop », constate Élise Anckaert. La psychologue estime que l’idée de santé mentale commence à faire son chemin dans un milieu où elle devrait être évidente car « une carrière sportive est une forte prise de risque physique et psychologique. On ne peut pas être à l’abri de désordres émotionnels ».
Baptiste Viaud note de son côté que les langues se délient surtout une fois que les victimes se sont extraites du milieu. « Les témoignages se multiplient depuis que les grands médias les relayent à grande échelle. Cela participa à rendre le burn-out plus légitime, la plainte devient enfin possible », décrypte le sociologue.
Ce dernier avance une autre raison qui fait exploser cette thématique dans le champ du sport de haut niveau : le développement de la préparation mentale, depuis les années 2016 – 2018. « Ce nouveau marché professionnel est totalement dérégulé et très hétérogène ; certains ont de solides diplômes de psychologue ; d’autres de simples diplômes des préparations de coaching », évoque Baptiste Viaud.
« Il faut être vigilant sur le fait que la préparation mentale ou les préparateurs mentaux pourrait d’un coup de baguette magique, soigner ou prévenir les troubles de burn-out. La plupart n’y sont pas du tout formés ».
Burn-out sportif : un terrain psychologique favorable
Bonne nouvelle : de plus en plus de recherches sont menées sur la souffrance mentale dans le monde du travail sportif. « L’athlète court après la surperformance et ce n’est pas un problème car c’est sa raison d’être ; pour expliquer le burn-out, il faut plutôt chercher du côté de certains ressorts psychologiques, mais aussi du côté de l’entourage et des conditions sociales d’existence », oriente Baptiste Viaud. Les études montrent que les athlètes issus de couches sociales favorisées sont généralement plus épargnés.
Autre facteur de souffrance mentale : l’isolement social. Les recherches pointent que plus les individus sont entourés de personnes extérieures à leur milieu professionnel, plus ils présentent des mécanismes de protection robustes.
Or, la fabrique d’un athlète est intrinsèquement liée à une forme d’isolement. « S’entraîner en permanence peut nourrir une forme d’appauvrissement de la relation sociale ; on vit dans une bulle autour de la performance et ce fonctionnement favorise la dépression nerveuse », observe le sociologue.
D’où l’importance de l’entourage, pro et non pro, pour éviter d’aller au tapis.
Des outils pour détecter ou prévenir le burn-out
Afin de prévenir le burn-out, l’INSEP utilise des outils d’évaluation clinique sur le sentiment de bien-être, avec notamment des bilans psychologiques spécifiques – une spécificité française depuis 2006.
La société française de médecine du sport a aussi mis au point un questionnaire sur le dépistage du surentraînement, qui peut aider à repérer les signes avant-coureurs du burn-out sportif.
Il faut beaucoup de vigilance et de travail en équipe pluridisciplinaire pour protéger le sportif sur ce genre de risque.
« Certains signes cliniques et somatiques permettent d’adapter les charges de travail et de travailler le versant psychique lors d’épisodes de vie éprouvants, qu’ils soient liés ou non aux compétitions. Ces derniers peuvent fragiliser, déstabiliser ou saturer les ressources des sportifs », expose Elise Anckaert.
Parmi les signes qui doivent alerter : blessures à répétition, malaises, affects dépressifs, contre-performances, isolées ou répétitives. A en croire la psychologue du sport, la capacité de l’environnement à protéger le sportif de lui-même est essentielle.
L’athlète, bien souvent, ne s’autorise pas à s’arrêter, à prendre soin de lui. « Il faut beaucoup de vigilance et de travail en équipe pluridisciplinaire pour protéger le sportif sur ce genre de risque. Un travail est possible au quotidien avec des médecins, kinés et autres acteurs de l’environnement du sportif. Il s’agit de l’aider à s’adapter, à prendre en compte là où il en est », considère-t-elle.
La nature de la motivation est en jeu
Dans l’excellent ouvrage Les champions et leurs émotions : Comprendre la maîtrise de soi (Ed. Actes Sud), le psychologue Hubert Ripoll différencie les sportifs motivés intrinsèquement – ceux qui poursuivre des buts orientés vers la pratique du sport en elle-même- et les profils motivés extrinsèquement.
L’investissement de ces derniers est d’autant plus fort que leur compétence perçue est élevée, et notamment si elle est appréciée socialement. D’après le professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille, ces sportifs sont plus vulnérables à la pression, plus sensibles à l’échec dont ils se remettent très difficilement.
Un mal qui touche aussi les non-professionnel.le.s qui pratiquent trop intensément
Le burn out sportif atteint aussi les amateurs passionnés !
Ces derniers seraient plus vulnérables quand leur quête d’excellence tenterait de colmater une fragilité du moi et une blessure psychique enracinées dans l’histoire personnelle et familiale. Cette fuite en avant dans la surperformance pourrait être une manière de prouver qu’ils méritent l’affection et l’amour de leurs proches. « Ceux qui s’engagent dans cette voie en payent généralement le prix. Sauf à être aidés, leur victoire se font dans la douleur et ne viennent jamais complètement réparer les blessures de l’enfance », conclue Hubert Ripoll dans son ouvrage.
« On est candidat au burn-out quand la motivation est extrinsèque, c’est à dire qu’elle ne vient pas, ou plus de nous-mêmes« , confirme Élise Anckaert.
Les athlètes sont parfois des sujets qui ont commencé très tôt, ont été très forts avec des environnements très porteurs et des familles structurées autour d’idéaux d’excellence.
« Elle peut être le fruit d’un conditionnement familial. Les athlètes sont parfois des sujets qui ont commencé très tôt, ont été très forts avec des environnements très porteurs et des familles structurées autour d’idéaux d’excellence », explique la psychologue.
Finalement, le fruit du cheminement personnel et sportif mène parfois l’athlète – professionnel ou non – à décider de sortir d’un désir qui soit n’était pas le sien, soit n’est plus le sien. Il fait face à un dépassement de ce qu’il veut ou peut accepter. Il peut alors y avoir effondrement mais en vue d’une reconstruction plus adaptée au désir profond du sujet, suggère l’experte.
Pour cela, le sportif doit se réorganiser psychiquement, Ce qui demande du temps, un espace de disponibilité pour être fait.
Un temps calme nécessaire pour pouvoir enchaîner
« C’est toute la logique de la récupération, qui est à la fois mental physique. Psychiquement, nous avons tous besoin de réguler nos émotions, positives ou négatives », explique la psychologue de l’INSEP. « Le retour au calme qu’on propose chez l’enfant est valable pour l’adulte. Nous avons besoin de récupérer pour nous approprier ce que nous vivons ou ce que nous avons vécu ; le mettre à distance, le digérer ».
Il faut aussi se pardonner et s’enlever la part de culpabilité que l’on peut ressentir. Accepter que l’on a été malade, pas physiquement mais mentalement.
C’est justement ce processus salvateur que décrit Clémence Beretta sur son blog : analyser l’origine du problème, identifier tous les comportements qui ont été déviants et les schémas autodestructeurs pour éviter que cela se reproduise. Selon la coureuse vosgienne, il faut déconstruire des années de croyances que l’on prenait comme acquises. « Il faut aussi se pardonner et s’enlever la part de culpabilité que l’on peut ressentir. Accepter que l’on a été malade, pas physiquement mais mentalement ».
Certains grands sportifs enchaînent les compétitions, gèrent la pression, la médiatisation sans jamais s’autoriser gérer une récupération suffisante.
« Il est essentiel d’avoir affaire à des professionnels formés à la santé mentale avec cette spécificité du sport de haut niveau qui comporte un fort dépassement des limites physiques et mentales », conseille Élise Anckaert. « Réguler cette réalité particulière, c’est de la haute couture ».
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