- L’ultra-activité, gage de réussite et de succès ?
- Le culte de la productivité, même pendant les temps off
- Ne jamais s’arrêter pour ne pas avoir à penser
- Se poser pour éviter l’implosion
“Je ferai rien quand je serai morte !” Première volontaire à avoir répondu à notre appel à témoins, Cécile* – styliste et mère de deux enfants – reconnaît non sans humour ce qu’elle décrit comme une certaine tendance à l’hyperactivité.
“Ranger, bosser, lire un article… J’estime que chaque minute doit être optimisée pour faire quelque chose. J’aime bosser, 100 jobs différents en même temps, je ne prends que rarement des vacances… et même avant de dormir je fais quelque chose avec mon téléphone », commente-t-elle avouant faire un véritable travail sur elle-même pour « apprendre à ne rien faire ».
Et elle n’est pas la seule à conscientiser cette soif névrotique d’occupations qui, dans d’autres cas, se traduit par un emploi du temps ultra-chargé, rythmé par des activités en tout genre.
C’est le cas d’Aimée*, journaliste parisienne, qui comble son planning pour s’assurer de n’avoir aucune minute à elle. “Je suis incapable de rentrer chez moi après le travail et de ne rien faire jusqu’à ce que j’aille me coucher. », déclare-t-elle. “Et si je n’ai rien de prévu, je fais du sport pour ne pas avoir à affronter l’anxiété de ne rien faire », conclut-elle.
L’ultra-activité, gage de réussite et de succès ?
Une phobie de l’ennui en somme, qui peut s’expliquer en partie par l’influence d’une société occidentale qui ne cesse de présenter l’ultra-activité comme un mode de vie à jalouser, érigeant le planning surchargé comme un gage statutaire de réussite et de succès.
« En général, on a tendance à croire qu’une personne débordée occupe un rang élevé dans la société », commentent des chercheurs de l’université de Columbia et de Georgetown dans une étude publiée dans la Harvard Business Review.
Une croyance collective qui puise ses origines dans la Révolution industrielle du XIXe siècle, durant laquelle le temps est devenu subitement synonyme d’argent. « Plus vous étiez débordé, plus vous aviez de la valeur. Et plus vous accomplissiez de tâches en un temps donné, y compris par rapport à vos collègues, plus vous gagnez en valeur économique », détaille Mary Waller, professeure d’université à la Schulich School of Business de York, dans un article de Global News.
Un phénomène dont prennent conscience les principaux concernés. « Je me rends compte que je n’arrive plus à ne rien faire, car même le week-end, j’ai envie de profiter. Et si je n’ai rien de prévu, je vais avancer sur une mission en cours ou un autre projet semi-pro », reconnait Chloé, journaliste et auteure freelance, qui décrit un piège de l’ultra-activité d’autant plus vicieux que les nouvelles formes de travail (entreprenariat, travail indépendant, télétravail…) viennent amplifier le brouillage des frontières entre vie professionnelle et vie privée.
Le culte de la productivité, même pendant les temps off
Et si l’épidémie de burn-out en cours tend à mettre à mal ce culte ultra-capitaliste de la productivité, ce dernier s’est entre temps étendu au temps ‘off’ des salariés, qu’il est désormais de bon ton d’agrémenter d’activités extraprofessionnelles diverses et variées, au risque de passer pour un.e « acharné.e du boulot » qui ne vit que par et pour son CDI plus ou moins bien rémunéré.
Cours de dynamo, ateliers de poterie, club de lecture, spectacle de danse contemporaine, bénévolat dans un potager de quartier : soigneusement étalées sur les réseaux sociaux, les passions autoproclamées de chacun et chacune s’affichent comme autant de trophées d’accomplissement personnel, sur fond d’indisponibilité chronique revendiqué avec fierté.
« Pas dispo avant le jeudi du mois prochain !”, nous lancent parfois certains membres de notre entourage. Ou quand il est devenu plus compliqué de bloquer un créneau pour un apéro avec vos BFF que d’obtenir un rendez-vous chez le gynéco.
« L’efficacité, la capacité d’accomplir beaucoup de choses, sont bien reconnues. La capacité de ralentir pour se poser, moins », commente Laurie Hawkes, psychopraticienne relationnelle basée à Paris.
Ne jamais s’arrêter pour ne pas avoir à penser
Pour la spécialiste du comportement, ceux et celles qui ne savent pas s’arrêter pourraient également le faire pour des raisons inconscientes, activant ainsi un mécanisme de défenses redoutables contre la manifestation de leurs angoisses les plus profondes.
Peur du vide, peur de l’ennui, peur de penser à la perte d’un être cher : l’ultra-activité permettrait de dissimuler la crainte de voir un facteur inconnu émerger, un traumatisme enfoui resurgir, s’ils n’érigent pas cette barrière de protection autour de nous. Un bouclier émotionnel en somme qui peut aussi s’expliquer par un manque de reconnaissance dans l’enfance.
« Si l’on a grandi dans un environnement où il fallait constamment prouver son utilité, on s’active constamment pour se convaincre qu’on vaut quelque chose », explique la psychopraticienne. Elle donne ainsi l’exemple d’une femme de son entourage qui, même lors des réunions de famille, était constamment occupée à nettoyer, ranger, remettre en ordre son intérieur.
« Il était impossible d’avoir une conversation intime avec elle. Et si on l’interpellait pour l’inciter à se poser un instant, s’asseoir avec nous et prendre part à une conversation, donner son avis, elle avait tendance à esquiver », décrit-elle, soulignant que beaucoup de ces “hyperactifs” tendent ainsi à éviter inconsciemment toute forme de contact intime, de communication profonde ou de sexualité au risque de lasser leur entourage.
Se poser pour éviter l’implosion
“Les enfants ou les conjoints peuvent souffrir autant d’un homme ou d’une femme toujours occupés », souligne Laurie Hawkes.
Une lassitude dont fait état Cécile, notre première témoin, qui avoue vouloir apprendre à ne rien faire pour le bien-être de sa famille. « Si je ne m’arrête pas, mon mec va finir par divorcer », plaisante-t-elle.
D’autres fois, cette sur-activité latente met en lumière un déséquilibre dans la famille, la personne concernée ayant l’impression que sa to do list ne sera jamais écluser, révélant ainsi une possible charge mentale accrue ou un partage des tâches asymétrique.
Sans compter les personnes qui blindent leurs week-ends pour avoir un semblant d’impression de « compenser » leur lourde semaine de travail en faisant « autre chose ».
De son côté, Chloé remarque que son rythme de vie effréné la plonge dans un état d’épuisement chronique qu’elle peine à solutionner. « J’en suis même venue à me dire que j’allais me prendre une semaine en club-vacances, vraiment pour ne rien faire, qu’on s’occupe de tout pour moi y compris mes repas », rêvasse-t-elle.
Un repos forcé mais nécessaire, pour éviter l’implosion et potentiellement de voir resurgir les peurs, craintes et autres insécurités dont on se barricade inconsciemment avec notre agenda de ministre.
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