Pour eux, les années 80 ne sont pas de l’histoire ancienne. Cette décennie expérimentale, prolifique et joyeuse est au coeur de leur travail de galeriste spécialisé. Focus sur ces défricheurs du passé qui participent grandement à remettre le design des années 80 au goût du jour.
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Remix Gallery, pour l’amour de Starck
C’est l’histoire d’un couple né à la fin des années 70, qui a grandi au milieu de meubles expérimentaux “totalement punk”, et qui décide de monter en 2015 le premier stand dédié aux années 80 au marché Paul Bert Serpette à Saint-Ouen. La décennie est alors “encore peu considérée et pas vraiment à la mode”, racontent Valérie Bouvier et Antoine Nouvet. A l’époque, on tombait sur le fauteuil “Dr. Sonderbar” de Starck à 400 euros. Aujourd’hui, on le trouve à plus de 1 000 euros dans les ventes aux enchères, voire 3 000 euros sur la plateforme 1stDibs. “Lorsque nous avons ouvert notre galerie, il y avait tout à faire. Nous voulions construire un projet cohérent et engagé. Nous avons effectué des recherches pour comprendre l’importance fondamentale des 80’s dans l’histoire des Arts décoratifs et du design.” Résultat ? Un stand mis en scène comme “une boîte de couleurs”, selon Valérie Bouvier. A la dernière Design Week parisienne, le duo accueillait les curieux dans une scénographie nommée Starckomanie : “Difficile d’identifier la pièce de nos rêves, car nous sommes des collectionneurs compulsifs, mais Starck reste notre obsession ! La chaise longue « Marlène Baudot » semble introuvable. Nous n’en connaissons qu’une, au centre Pompidou. Notre quête absolue reste ses fauteuils dessinés pour la boîte de nuit La Main bleue, mais ils datent de 1976… Personne n’est parfait !”
>> Remixgallery.fr
Galerie Parallèle, le goût de l’inexploré
Pour deux natifs du milieu des nineties, les 80’s faisaient figure d’histoire ancienne. Mais cette décennie méconnue a attiré Andreas Fogelman et Jean- Baptiste Tassel : “Ce qui nous intéresse, c’est ce qu’il reste à découvrir.” Ils créent leur galerie en 2017, pendant leurs études, en la spécialisant d’abord dans le design d’Europe de l’Est, où l’histoire du mobilier est encore à écrire. “Nous avons toujours gardé un oeil sur les années 80 en achetant quelques pièces”, précisent-ils. Fascinés par la richesse de cette époque, ils exploitent cette voie pour leur galerie. Ils sont par exemple subjugués par Le Groupe Nemo, composé de François Scali et Alain Domingo. “Ils utilisent un vocabulaire formel issu du modernisme revisité par la bande dessinée à travers chaque pièce, ils tentent de matérialiser un message.” Leur pièce rêvée ? Le “Bureau Totem Exquis” (1982) du Groupe Totem, conçu selon le jeu surréaliste du “cadavre exquis” – où chaque designer a dessiné un pied de la structure –, d’ailleurs présenté à l’exposition du musée des Arts décoratifs de Paris. Et dans leur galerie ? “Wilmotte, qui aime la simplicité, et dessine des pièces aux lignes géométriques et épurées. Xavier Matégot et son esthétique héritée des années 50. Borek Sipek, fameux verrier au style néo-baroque fantaisiste. Ou Pascal Mourgue, qui représente l’économie de moyens et la pureté des lignes.” Et ils pourraient en parler des heures ?
>> Galerie-parallele.com
Ketabi Bourdet, l’art et le design réunis
C’est “par hasard” que Paul Bourdet a choisi cette période des Arts décoratifs : “Je cherchais une spécialité et les années 80 semblaient une décennie à redécouvrir, à défricher.” Pendant six ans, il se forme aux côtés de François Laffanour, à la galerie Downtown, passé maître dans le design d’après-guerre. Il délaisse Charlotte Perriand et Jean Prouvé – dont le prix des pièces est inatteignable –pour lancer sa galerie en 2019, au profit “d’une diversité de créations et de styles. Dans les années 80, il y en a pour tous les goûts”. Aujourd’hui, le galeriste de 29 ans s’est associé . Charlotte Ketabi-Lebard pour fusionner leurs spécialités : le design et l’art contemporain. Ils présenteront bientôt le travail d’Idir Davaine, peintre français diplômé des Beaux-Arts de Paris, et en 2023, les meubles de Starck seront mis à l’honneur dans une exposition dont le thème sera “Ubik”. “Ce roman de Philip K. Dick fut une source d’inspiration au début de la carrière de Philippe Starck”, explique Paul Bourdet. En 2021, il se fait remarquer avec sa scénographie “La Chambre de Philippe S.”, durant la Design Week de Paris. Une pièce comme une chambre d’hôtel que le designer superstar aurait quittée, laissant lectures, croquis et notes, avec une sélection de meubles rares des 80’s et 90’s. “Le mobilier de Starck s’est ancré dans le paysage du mobilier de collection.” Des objets que le designer qualifiait de “sculptures domestiques”, afin d’intéresser les collectionneurs : “La dimension sculpturale et visuelle primant sur la fonctionnalité est bien acceptée. C’est ce qui fait que ce mobilier possède une place à part dans les Arts décoratifs du XXe et s’intègre à la fois dans le marché et dans les intérieurs.”
>> Ketabibourdet.com
Nans Design, ensemblier extravagant
Antiquaire, scénographe et décorateur, Nans Bouchet aime créer des décors autant qu’étudier cette période qui le fascine : “Les années 80 sont un laboratoire d’expérimentation immense. Il y a tant de choses à découvrir et de designers à exhumer.” Le galeriste travaille sur une exposition de 18 Août, un collectif de trois créateurs fondé en 1987 encore peu connu. Il aime la diversité des 80’s et la revendique depuis 2017 dans sa galerie : “Vous y trouverez un luxueux ensemble d’Andrée Putman, la grande prêtresse du design, le mobilier très architectural de Jean-Michel Wilmotte ou des pièces au déséquilibre maîtrisé du couple Paolo Pallucco et Mireille Rivier. A travers nos décors, nous associons des éléments de tendances différentes, car de ce subtil mélange naît la beauté des intérieurs.” Il nous cite cette phrase d’Andrée Putman : “Pour qu’une maison réussisse, les objets qu’elle contient doivent communiquer entre eux, se répondre et s’équilibrer.” Toutes les six semaines, c’est ce que Nans Bouchet s’évertue à faire : mêler les courants dans une nouvelle scénographie sur son stand aux puces de Saint-Ouen. Des collectionneurs le contactent même pour un travail d’architecture d’intérieur chez eux. D’autres sollicitent son expertise ou lui demandent une collection qui prendra de la valeur. Pour lui, cette décennie est un terreau formidable, esthétique et passionnant, qui permet toutes les extravagances, radicales ou baroques.
>> Nansdesign.fr
Galerie Fahrenheit, collectionneur inspiré
Son histoire d’amour avec les années 80 débute avec “le très passionné Pierre Staudenmeyer”, fondateur de la galerie Néotù. “Il m’a inspiré et donné envie de collectionner les pièces de cette période. Mon premier achat a été une paire de chaises à « Ker » d’Eric Jourdan, éditée par Néotù en 1988”. Alors que Thomas Verrier se destine à devenir commissaire-priseur, il monte sa galerie en 2017, perpétuant le travail de ces espaces qui ont tant fait à l’époque. “Le retour à des pièces fabriquées et éditées en petite série a permis de libérer une création soumise à des contraintes trop fortes. Francis Cat-Berro, En Attendant les Barbares, Néotù ou Avant-Scène ont joué un rôle majeur dans le renouvellement des Arts décoratifs au début de la décennie 80.” Lui-même aime exposer dans son appartement-galerie du 9e arrondissement parisien des designers comme Olivier Gagnère, “dont la singularité artistique me touche”, Garouste et Bonetti, Martin Szekely, Patrick Naggar, ou Migeon & Migeon, qui ont sublimé la résine polyester en créant des « bijoux d’intérieurs », et auxquels j’ai consacré une présentation. Et si les 80’s ont longtemps été cantonnées aux meubles en métal noir, “il existe une autre production, plus confidentielle et audacieuse”. Celle qu’il recherche et expose sur Instagram. A venir : les créations de Jean-Michel Cornu et Véronique Malcourant, “deux créateurs méconnus dont l’importance sur la scène des années 80 et 90 n’a que trop peu été évoquée ».
>> Galerie Fahrenheit.com
Plus de reportage dans Marie Claire Maison
Reportage paru dans le n°537 – Novembre de Marie Claire Maison
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