La cinéaste, dont la première fiction, Saint Omer, a remporté le Lion d’argent à la Mostra de Venise et a été sélectionnée pour représenter la France aux Oscars, a aussi filmé la banlieue parisienne, où elle a grandi, à rebours des stéréotypes. Une façon de rester fidèle à son histoire intime comme à celle des siens.
Voici Alice Diop en 7 indices.
Rollers
Née en 1979, elle grandit jusqu’à 10 ans à la Cité des 3000, à Aulnay-sous-Bois. Elle se souvient des balades en rollers avec ses amies, des fins d’après-midi avec son père à distribuer le pain aux canards, et des pique-niques avec ses grands frères et sœurs au parc du Sausset, qui lui faisait penser à une « immense forêt vierge ».
« C’est comme si je revêtais ma mémoire d’un habit féerique occultant la violence à laquelle on était aussi confronté. » À 9 ans, elle voit le cadavre du fils de sa voisine dans la cage d’escalier. Mort d’une overdose.
Robin des bois
« Ali Merzouk était algérien. Il était très grand avec des mains énormes. Perçu comme un dangereux criminel dans le monde qu’on n’habitait pas, il était pour nous, les enfants, un Robin des bois. » De retour de ses braquages, cette figure de la Cité des 3000 ne manquait pas de rapporter aux plus jeunes des bonbons et des jouets.
« Il était un des plus grands braqueurs des 3000, mort du sida à la fin des années 80 comme beaucoup d’amis de la génération de ma sœur. »
Paradis
Son père, originaire du Sénégal et employé dans l’industrie automobile, enregistrait les documentaires sur l’Afrique à la télé. Il avait plus de cinq mille cassettes qu’il regardait « comme des images fantasmées de son paradis perdu qu’il avait quitté à 30 ans ».
Alice Diop filme cette obsession dans le cadre de ses études de sociologie visuelle : « Au cours du tournage, il m’a dit qu’il cotisait pour que mes sœurs et moi puissions avoir une place dans le caveau familial au Sénégal. J’ai refusé. Je veux être enterrée là où seront mes enfants. »
Chêne
« Je fais du cinéma car mon territoire d’enfance n’existe plus. J’ai perdu ma mère à l’âge de 10 ans, mon père, en 2005. Il y a peu d’héritage matériel et la cité ne fait pas patrimoine. Il n’y a pas de chêne centenaire où convoquer mes souvenirs. »
Le lieu pour en planter un ? L’entrée du quartier des 3000, entre la chapelle, l’école Paul-Éluard et le centre commercial Le Galion, qui n’existe plus.
Toubab Dialao
Elle a construit un lien intime avec le Sénégal en étudiant les prémisses de la négritude à travers la lecture, entre autres, de la revue Présence africaine où étaient publiés des textes d’Aimé Césaire et de Léopold Sédar Senghor.
Aujourd’hui, elle va trois ou quatre fois par an à Toubab Dialao, un village de pêcheurs. Elle est propriétaire, avec ses frères et sœurs, d’une maison près de la mer, dont leur père avait acheté les fondations.
Je pars du principe que les héroïnes de Marie NDiaye sont des femmes noires car je la projette en elles.
Gynécée
Saint Omer s’inspire du procès de Fabienne Kabou, mère infanticide qui a abandonné son enfant sur le sable à la marée montante. Alice Diop a d’abord été fascinée par la photographie de cette femme à la poussette, prise par une caméra de surveillance de la Gare du Nord.
« J’ai tout de suite su qu’elle était sénégalaise et eu un sentiment étrange de familiarité avec elle. Je suis allée au procès. Il n’y avait que des femmes, on aurait dit un gynécée. Je les ai vues tomber, comme si la part extrême de cette mère nous renvoyait aux racines de nous-mêmes. »
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Ludwig Wittgenstein
Elle a coécrit le film avec Marie NDiaye, dont les romans comptent beaucoup pour elle. « Je pars du principe que ses héroïnes sont des femmes noires car je projette Marie en elles. Pourtant, rien ne les qualifie dans le texte, ce qui les rend encore plus intéressantes. Ses héroïnes sont douées d’une grande complexité. »
Il fallait cette écriture pour voir surgir à l’écran la puissance de cette mère infanticide qui est à la fois une intellectuelle faisant une thèse sur Wittgenstein et une femme se disant maraboutée.
Saint Omer, avec Kayije Kagame, Guslagie Malanda, Valérie Dréville, Aurélia Petit…
Ce portrait a été initialement publié dans le Marie Claire anniversaire numéro 843, daté décembre 2022.
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