- Dans « Aucun ours », Jafar Panahi se met en scène en réalisateur qui dirige un film à distance.
- L’action se partage entre sa vie quotidienne au cœur de querelles de village et l’histoire du long métrage qu’il tourne.
- Le cinéaste, emprisonné par le gouvernement iranien depuis juillet, a reçu pour ce film le Prix spécial du Jury à la Mostra de Venise.
Il ne se ménage pas, Jafar Panahi dans Aucun ours, son nouveau film découvert en septembre dernier à la Mostra de Venise où il a reçu le Prix spécial du jury. Le cinéaste iranien, emprisonné par le gouvernement islamique depuis juillet 2022, a tourné clandestinement ce film qui mêle réalité et fiction pour raconter comment un cinéaste isolé tourne à distance un film sur les épreuves de deux amoureux tentant de quitter le pays avec de faux passeports.
S’il se met lui-même en scène dans le rôle du cinéaste, le réalisateur de Taxi Téhéran et de Trois visages ne s’angélise en rien. Il se montre comme un homme certes courageux, mais faisant passer son art avant tout, quitte à exploiter les sentiments de ses acteurs ou à mettre en danger un jeune couple qu’il a photographié sans permission. Le voilà bientôt au centre de querelles villageoises fratricides alors qu’il doit aussi gérer son tournage avec une connexion Internet défaillante.
Partir ou rester ?
Le choc entre un citadin connu et encombrant et une population locale bardée de traditions liberticides témoigne de conceptions du monde difficilement conciliables dans un pays dont on saisit les divisions. « Nous créons des œuvres qui ne sont pas des commandes et c’est pour cela que l’état nous considère comme des criminels », expliquait le réalisateur dans une lettre envoyée à la Mostra de Venise et cosignée par Mohammad Rasoulof, un autre cinéaste arrêté en même temps que lui. Condamné à six ans de prison pour « propagande contre le régime » en 2010, Jafar Panahi a pu finir son film avant d’être envoyé purger sa peine.
S’il était encore libre au moment du tournage, ses aventures aussi délirantes et graves que celles de ses personnages préfigurent son emprisonnement. Les « ours » du titre n’existent pas et ne sont brandis que pour effrayer la population et la maintenir sur le droit chemin. Une menace sourde plane autour de lui pendant tout le film, réflexion âpre sur ce qu’un artiste est prêt à sacrifier pour pouvoir s’exprimer sans renier ni ses convictions, ni son pays. Aucun ours répond à cette question comme le cinéaste l’a fait dans la vraie vie. Jafar Panahi a donné sa liberté de vivre et de créer mais sa voix continue de se faire entendre dans ce film tragique et fort.
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