Combattre leur violence, diffusé le 16 novembre 2022 à 22h45 sur France 2 dans l’émission Infrarouge, est le dernier film produit par Mélissa Theuriau qui, depuis des années, documente les violences familiales. Elle a bataillé plus d’un an auprès du ministère de la Justice pour obtenir l’autorisation de poser une caméra dans le huis clos d’un groupe de paroles destiné aux auteurs de violences conjugales. Cela se passe à Cergy dans le Val-d’Oise au sein du service pénitentiaire d’insertion et de probation.

Entourés de trois animatrices, d’une psychologue et d’un metteur en scène, dix hommes déjà condamnés, ont trois mois pour ne plus nier ou minimiser mais reconnaître les actes qu’ils ont commis. Trois mois pour réfléchir à leur violence, l’assumer et la combattre. En France, en 2020, plus de 17 000 hommes ont été condamnés pour violences conjugales.

On espère que ce film, qui aborde de front la violence masculine et ses mécanismes, tabou puissant dans notre société, poussera nos politiques à mettre les moyens pour développer des groupes de paroles. Ils devraient prendre exemple sur la Belgique où, grâce à ce type de prise en charge débutée en 1990, le taux de récidive des auteurs de violences est tombée à 10% contre 50% en France.

Entretien avec la journaliste et productrice derrière ce documentaire nécessaire.

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Empêcher la récidive des violences conjugales

Marie Claire :  Pourquoi avez-vous eu envie de produire un film sur les auteurs de violences conjugales ?

Mélissa Theuriau : Je suis engagée personnellement et professionnellement depuis pas mal d’années dans le combat contre les violences familiales. J’ai déjà donné la parole dans de nombreux films à des victimes, documenté les limites de la protection judiciaire, et plutôt que de continuer à montrer l’évidence, il m’a paru essentiel de montrer des auteurs de violences conjugales.

Il est temps de se pencher sur ceux qui commettent l’incompréhensible. L’irréparable. Si on ne se penche pas sur leur histoire, leur trajectoire personnelle, leur passé, leurs blocages, nous vivrons dans une société où les mêmes violences continueront de se répéter à l’infini. C’est ce qui m’a permis de convaincre Catherine Alvaresse, Directrice des Documentaires de France Télévision, de suivre en plein Covid, ce stage pour tenter de comprendre les mécanismes de cette violence.

Il nous aura fallu plus d’une année auprès du ministère de la Justice, puis de la direction du service pénitentiaire d’insertion et de probation de Cergy où la psychologue et les conseillères étaient très rétives à l’idée d’avoir une caméra, pour obtenir l’autorisation de filmer ce huis clos. On leur a évidemment donné la possibilité de voir le film avant sa diffusion pour qu’elles le valident et elles n’ont demandé aucune modification.

La grande majorité de ces hommes ne reconnaissent pas du tout les faits qui leur sont reprochés.

La vague #MeToo est-elle en train de briser le tabou de la violence masculine ?

Dans les magazines et la presse écrite dont Marie Claire fait partie, vous parlez depuis longtemps de ces sujets fragiles, impossibles à faire en télévision et encore moins avec une caméra sur du long cours comme les documentaires que j’accompagne. Mais vous avez raison, depuis que la parole des femmes se libère, l’accent est mis sur ces hommes violents sachant que le taux national de réitération des auteurs de violences conjugales est de 50%. Ce qui signifie qu’un homme violent dans un couple ou dans un foyer, dans la moitié des cas, reproduira sa violence après sa peine de prison. Il faut donc les entendre, et les soigner.

Ce stage s’adresse à des hommes condamnés pour violences conjugales, ils peuvent toujours réinventer leur passé, mais ils ne peuvent pas le nier.

D’ailleurs 80% des ces hommes, dites-vous, ne reconnaissent pas les faits de violence dont ils sont accusés…

Absolument. Au départ, c’est effarant, la grande majorité de ces hommes ne reconnaissent pas du tout les faits qui leur sont reprochés. Ils disent que leur compagne est à moitié folle, « elle a des fragilités », et ils en sont venus à être violents.

Puis au cours des dix séances que nous filmons, on voit comment, petit à petit, leurs versions changent, comment naît leur prise de conscience. Et à la fin du stage, ces hommes réclament presque une suite aux soins, ils désirent continuer de parler alors qu’au début, ils y ont été contraints.

En Belgique, où ces prises en charge existent depuis 1990, le taux de récidive est tombé à 10% contre 50% en France. Ce sont des chiffres implacables.

Les participants du stage « n’ont plus la possibilité de se justifier »

En France, en 2021, 6 000 hommes auteurs de violences ont été suivis. C’est mieux mais cela reste insuffisant…

Oui, cette prise en charge est encore timide, l’idée de ce film est d’inspirer d’autres services pénitentiaires, de les convaincre de mettre des moyens. La psychologue qui m’a motivée à produire ce film et qui exerce à Pontoise était, au départ, spécialisée auprès des victimes. Elle a vu les limites de ce travail et a décidé de se spécialiser dans le soin des auteurs de violences. Elle détecte comme personne les mécanismes d’emprise. J’ai tellement appris à ses côtés. C’est un radar, elle parvient à détruire certains réflexes chez ces hommes et surtout, elle forme les conseillères.

C’est bien d’instaurer un stage mais si les conseillères ne sont pas formées, vous continuerez à vous faire balader par ces hommes. Leurs mécanismes d’emprise et de manipulation qui marchent sur leur compagne, marchent aussi sur le personnel en prison. C’est ce que j’avais à cœur de montrer avec la réalisatrice Florie Martin : mettons des moyens et formons grâce à des psychologues aguerris, le personnel qui accompagne ce protocole, et les résultats seront au bout.

30 à 40 % de ces hommes ont été eux-mêmes victimes de violences, pourtant la psychologue les prévient que cela ne doit en rien justifier leurs actes.

Oui, moi aussi, j’ai été interpellée par les propos de la psychologue quand elle leur dit : « Je ne nie pas la violence que vous avez vécue enfant, elle est importante. Il faut la traiter, mais en aucun cas, elle ne fait le miroir à celle que vous commettez d’ailleurs les enfants maltraités ne deviennent pas tous des auteurs de violences. »

Elle les fait réfléchir, ils n’ont plus la possibilité de se justifier : « J’ai vécu la violence, mon père battait ma mère, forcément, je vais la répéter. » On voit bien qu’ils sont démunis parce qu’on ne leur a jamais parlé ainsi.

Dans le stage que vous filmez, à part deux hommes réticents, les autres réussissent à mener un travail sur eux-mêmes.

Oui et cela me donne beaucoup d’espoir parce qu’on les diabolise, on les perçoit comme des monstres, or ils restent des hommes. J’ai aussi écouté beaucoup de victimes qui réclament depuis des années que l’on se penche enfin sur les auteurs de violences, si l’on veut avancer.

C’est très intéressant de voir le chemin parcouru par ces hommes lors de ce stage. Les deux qui résistent auront besoin de plus de temps, mais une graine a été semée.

Démanteler les mécanismes de violence dès l’enfance

Le combat contre la violence ne doit-il pas passer par l’éducation des enfants, et tout particulièrement des garçons, dès leur plus jeune âge ?

Si, et c’est ce dont la majorité de ces hommes ont manqué dans l’enfance. Aujourd’hui, on parle de l’importance d’éduquer nos garçons et cela me donne de l’espoir. J’ai eu un garçon avant d’avoir une fille, et je mets beaucoup d’énergie pour réussir l’éducation de mon fils. Pas du point de vue scolaire, je m’en moque, mais je veux que cet adolescent qui devient un jeune homme se comporte bien. Évidemment, il a l’image de ses propres parents, j’espère qu’on lui renvoie cette intelligence de vie collective même si on fait pas tout bien.

Je rêve de faire un film sur les garçons adolescents qui commencent à avoir des histoires d’amour, et entrent dans la sexualité au moment de cette vague féministe militante dont je trouve qu’on les exclut beaucoup.

A-t-on mesuré l’impact de ces stages ?

Non, et je regrette qu’il n’y ait pas de statistiques officielles. Le système judiciaire devrait réaliser des études sur les hommes qui sont passés par ces stages.

Le seul recul qu’on ait sur celui de Cergy est que, sur 165 hommes suivis entre 2008 et 2015, seulement quatre d’entre eux ont récidivé dans le Val-d’Oise. Je prends ce chiffre avec des pincettes, car certains ont pu déménager, et on ignore s’ils ont récidivé hors du département. Mais c’est tout de même très encourageant.

Combattre leur violence, produit par Mélissa Theuriau et réalisé par Florie Martin. À 22h25, sur « France 2, Infrarouge ».

La diffusion sera suivie d’un débat animé par Marie Drucker, avec en plateau, Katell Pouliquen, directrice des rédactions de « Marie Claire ». Cette soirée continue consacrée aux violences faites aux femmes à l’occasion des 30 ans du 3919, débutera par la diffusion à 21h10 du film « Après le silence » avec Clovis Cornillac.

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