Alcool, nicotine, substances illicites, jeux d’argent, quelle que soit votre dépendance, il n’est jamais trop tard pour s’en sortir, puisque tout est dans la tête…
Comment expliquer que les fumeurs fument cigarette sur cigarette malgré les risques connus sur leur santé ? Comment est-il possible que certains ne parviennent jamais à s’arrêter avant le verre de trop ? Pour Patrick Bordeaux, notre expert, il est grand temps de comprendre que la volonté n’a rien à voir dans cette histoire, et que tout se joue dans notre tête.
Parole d’expert : Patrick Bordeaux Pédopsychiatre, spécialiste des addictions. Coauteur avec le neurobiologiste George F. Koob du livre Se libérer de l’addiction en reprogrammant son cerveau, éd. de l’Homme.
France Dimanche : Il est d’abord essentiel de souligner que l’addiction est une maladie.
Patrick Bordeaux : Oui, il s’agit non pas d’une faiblesse morale mais d’une maladie du cerveau avec des racines biologiques, psychologiques et sociales. Elle peut être associée à une dépendance physiologique et implique toujours une perte de contrôle qui va semer le chaos dans toutes les sphères de la vie de la victime et de son entourage.
FD : Comment l’expliquer ?
PB : Avant 25 ans, le système émotionnel nous domine, ce qui justifie en partie les excès de l’adolescence et la recherche de plaisir. Après cet âge, le lobe préfrontal est arrivé à maturité, ce qui permet de peser le pour et le contre, et de se projeter dans l’avenir. S’il fonctionne bien, vous vous accorderez peut-être une soirée arrosée mais vous ne prendrez pas le volant. Mais s’il perd le contrôle, vous estimez que vous êtes encore capable de conduire votre voiture, que vous n’êtes pas ivre…
“La clé, c’est de reconnaître l’ambivalence.”
FD : Alcool, substance illicite ou jeux d’argent, est-ce toujours le même fonctionnement ?
PB : Oui, on commence pour se sentir bien, on a l’impression d’avoir du courage. Or cette phase ne dure jamais. Après, on consomme pour ne pas se sentir mal. Certains entrent d’ailleurs directement dans le cycle de l’addiction, parce qu’ils sont anxieux, déprimés ou pour masquer la douleur. Le schéma est le même pour les jeux vidéos, les jeux d’argent ou les médias sociaux, on parle là d’addiction comportementale.
FD : Quand sait-on qu’on est accro ?
PB : La personne est souvent dans le déni quand l’entourage s’en rend compte. D’autant plus qu’elle a développé une capacité d’adaptation incroyable : elle sait quand consommer, quand s’arrêter pour que ça ne se voie pas.
FD : Y a-t-il une cause génétique ?
PB : Le fait d’avoir des grands-parents, des parents, qui ont souffert d’alcoolisme, peut induire aussi des problèmes. Vous aurez sans doute la capacité de boire plus sans être intoxiqué, mais les méfaits sont les mêmes. Certains pensent que c’est une force, mais au contraire, c’est une vulnérabilité, le système d’alarme ne se met pas en route. Et plus vous commencez jeune, plus vous vous accrochez.
FD : Comment accompagnez-vous la personne qui désire se soigner ?
PB : La clé, c’est de reconnaître l’ambivalence : une partie de vous veut consommer, une autre n’y tient pas. On peut commencer par réduire, on peut aussi avoir recours à des médicaments et à des thérapies comportementales. La rechute, c’est la règle ; l’exception, c’est quand vous arrêtez sans rechuter. Le processus peut être long, c’est normal. Il n’y a pas de honte ni de culpabilité à avoir.
FD : Pourquoi ?
PB : Parce qu’il faut changer les connexions du cerveau, ce qui prend du temps. On ne peut pas effacer les vieilles mémoires, mais il importe d’en créer de nouvelles. Ce sont elles qui apporteront un plaisir, peut-être moins intense, mais celui-ci n’en sera que plus durable.
FD : À quoi pensez-vous ?
PB : Quel que soit son âge, il faut avoir une raison de vivre. Cela consiste souvent à se fixer des objectifs et à planifier leur exécution. Se poser la question : « Qu’ai-je envie de faire que je ne fais plus à cause de mon état ? » Nous avons tous un besoin de reconnaissance et d’appartenance, et cela passe par des activités enthousiasmantes partagées avec d’autres : jouer au ballon avec son petit-fils, pratiquer un sport, se mobiliser pour une association… Ces activités, très souvent, ne sont pas compatibles avec l’addiction. Le but est qu’elles se mettent à remplacer peu à peu les comportements qui sont liés à sa dépendance. Il faut apprendre à rêver en grand.
La résilience de Benjamin Biolay
©L.Urman / Starface
« À 30 ans, j’étais alcoolo », a reconnu le chanteur dans Marie Claire à l’occasion de la sortie de son nouvel album, Saint-Clair. Au moment de ses premiers succès, il pouvait avaler jusqu’à cinq litres de vodka par jour ! « J’étais mort de trouille en fait », a-t-il avoué. Heureusement, l’artiste aux deux Victoires de la musique a réussi à vaincre ses vieux démons. « Je suis parti à la mer avec les enfants. Pendant six mois, je n’ai plus touché à une goutte d’alcool. Et plus jamais d’alcool fort. »
Demander de l’aide
©Serghei Turcanu
Vous vous questionnez sur votre consommation ou celle d’un proche ? Évitez absolument l’approche moralisatrice ou directive qui ne fonctionne pas. « C’est une affaire de professionnels », rappelle notre expert. Osez vous confier à votre médecin ou appeler un des numéros d’assistance. Aujourd’hui, on parle aussi de pré-addiction comme on parle de prédiabète. « C’est une façon de prévenir et de traiter, avant que ça ne se dégrade », poursuit-il.
Vous voulez dire stop ? Confiez-vous à quelqu’un, à votre médecin, ou appelez un des numéros qui garantissent votre anonymat. Que ce soit pour l’alcool, la cigarette ou les drogues, des traitements existent et ils fonctionnent.
Infos pratiques
• Sur l’alcool : www.alcool-info-service. fr/info-conseil ou Tél. 09 80 98 09 30.
• Sur les drogues : www.drogues-infoservice.fr ou Tél. 0800 23 13 13.
• Sur le tabac : www.tabac-infoservice.fr ou Tél. 39 89.
• Sur le jeu : www.joueurs-info-service. fr ou Tél. 09 74 75 13 13.
Numéros anonymes et non surtaxés.
Téléphone, tablette, séries : les nouveaux risques
©tommaso79
Les vidéos à peine regardées et déjà zappées, les épisodes de séries qui s’enchaînent du fait d’un suspense contre lequel il est difficile de lutter, les jeux en ligne, les réseaux sociaux… La tentation est grande de passer énormément de temps les yeux rivés sur les écrans. « Le nombre d’heures n’est pas important, mais quand une activité devient envahissante, qu’on la préfère à ses amis, qu’elle diminue le temps de sommeil, il faut s’inquiéter », assure notre expert. Outre l’isolement, des problèmes alimentaires (oubli de manger), de l’humeur et de prise de poids peuvent aussi en découler.
Si l’autorégulation ne suffit pas, un addictologue spécialisé sera en mesure d’aider, de même qu’un groupe de parole et une thérapie comportementale.
Chiffres
10 % des décès dans le monde sont causés par le tabac.
7,7 fois sur 10 Sur 10 personnes en situation addictive, l’alcool est impliqué 7,7 fois.
46 % des adultes ont déjà consommé du cannabis et 11 % l’ont fait dans l’année.
21 % des Français se disent incapables de se passer de leur téléphone pendant une journée.
Des livres et des pistes pour aller plus loin
Se libérer de l’addiction en reprogrammant son cerveau, Bordeaux Patrick & George F Koob, éd. de l’Homme.
Dans Se libérer d’une addiction, publié aux éditions First, la psychiatre Dina Roberts met l’accent sur le soutien qu’offre l’autohypnose et propose six séances audio (CD) pour soutenir le changement de comportement.
Dans Addict à la bouffe, boulimie, hyperphagie : comment j’ai fait la paix avec la nourriture, édité chez Leduc, Sophie Ludmann raconte ses années de boulimie, cette souffrance mentale invisible dont elle a réussi à sortir, notamment grâce à un travail sur elle-même et en s’appuyant sur le yoga et à la méditation.
Julie BOUCHER
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