Connexion avec le cultissime château de Dammarie-les-Lys. Chaque soir, depuis le 17 octobre 2022, les spectateurs de TF1 retrouvent les « star-académiciens » lors de la toute aussi culte « Quotidienne ».
Près de dix ans après la diffusion de son dernier épisode, le télé-crochet musical des années 2000 séduit de nouveau son public. Le premier prime-time, diffusé samedi 15 octobre, a réuni 4,84 millions de curieux ou nostalgiques.
Les professeurs ne font (heureusement) plus de body shaming
Ce jour de retrouvailles en direct, des internautes sur Twitter ont déterré les archives du lancement du programme. C’était le 20 octobre 2001.
« Signe particulier » de Jenifer, 18 ans alors, sur sa fiche de candidate ? « 1m58, 48 kilos, 90C ». Des mensurations affichées à l’écran, qui étaient « considérées comme anormales », rappelle Valérie Rey-Robert, autrice de Téléréalité : La fabrique du sexisme, paru en avril dernier aux éditions Les Insolentes.
L’essayiste se remémore des scènes récurrentes de grossophobie au château : « les gros plans sur Jenifer en train de manger », et à qui un régime fut imposé, « la pesée régulière des candidats », ou encore, « les colères de la coach artistique Raphaël Ricci contre les jeunes filles qui prenaient du poids ».
Dans une interview accordée au magazine Gala, le 20 octobre dernier, Élodie Frégé s’est douloureusement remémorée la sortie sexiste et grossophobe de cette même professeure, après son interprétation de Sans contrefaçon de Mylène Farmer. « Mais putain, tu n’étais pas à l’aise du tout, comment est-ce qu’ils t’ont fagotée ? T’avais des bourrelets sous les fesses ! », lâche-t-elle en direct.
« J’étais boulimique, confie la gagnante de la saison 3, et elle, me balançait ça devant des millions de gens. C’était la double peine. » À l’époque de sa promotion, en 2003, l’émission s’était révélé être « une course à qui serait la plus bandante (sic) », selon les mots de l’artiste, qui, avec deux décennies de recul, dénonce l’hyper-sexualisation des jeunes candidates.
De telles séquences n’existent plus à la Star Ac’ version 2022. Le discours du professeur de sport a également évolué, a fait remarquer un ami de l’autrice féministe à cette dernière. Le message n’est plus « Il faut maigrir », mais : « Il faut que vous soyez bien dans votre peau ». Le bien-être plutôt que la performance et le culte de la minceur.
Pour autant, le nouveau professeur Joël Bouraïma ne cesse d’être présenté comme le coach sportif des Kardashian. Lors d’un entraînement, il a rappelé aux élèves que les célèbres sœurs ont travaillé dur pour avoir leurs corps actuels, convoquant alors une nouvelle norme, un nouvel idéal de mensurations.
Mais Paola, l’une des élèves, n’a pas manqué de pointer au confessionnal que ces icônes de la télé-réalité américaine avaient certainement eu recours à d’autres techniques, plus chirurgicales.
Quid de la présentation des candidats à l’ère du cyber-harcèlement ?
Valérie Rey-Robert sourit en entendant la remarque « intéressante » de la jeune femme de 23 ans. Peut-être davantage engagée, cette génération qui, à l’ère de Twitter et autres réseaux sociaux, vit l’expérience d’une télé-réalité d’enfermement – un format qui avait disparu des écrans depuis plusieurs années -, sera à la fois « plus exposée, mais plus protégée », pense l’interviewée.
« Quand Loana est sortie de Loft Story 1, elle a pris de plein fouet sa popularité, rembobine-t-elle. Eux, connaissent davantage les codes. Et puis, selon le droit du travail, l’Arcom [L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, ex-CSA et Hadopi, ndlr] impose aux productions de prévoir des jours-off, sans tournage. Durant ces temps de pause, les candidats peuvent certainement utiliser leur téléphone et se rendre compte, au fur et à mesure, de leur nouvelle notoriété via les réseaux sociaux ».
Les internautes ont trouvé leur cible : Léa, candidate sans-filtre, insolente en classe, qui semble en réalité mal à l’aise et inadaptée à la vie en groupe. Et certains médias et blogs people s’en donnent à cœur joie.
Un exemple : lors du direct du 21 octobre 2022, la jeune opticienne a interprété I’ll never love again de Lady Gaga (A Star is born) aux côtés de deux de ses camarades. À l’issue de cette performance, chacune a confié à Nikos Aliagas s’être mise dans la peau d’une diva : Enola, d’abord, évoque Céline Dion, Léa, Beyoncé, et Anisha, Lara Fabian.
« La vérité, quand même, c’est qu’on n’est pas encore au niveau de Céline Dion, Lara Fabian et Beyoncé », réagit Michael Goldman, directeur franc et parfois sec de cette nouvelle promotion. Le fils de Jean-Jacques Goldman s’est, là, bien adressé aux trois élèves.
Pourtant, un site titre : « Michael Goldman tacle la ‘hautaine’ Léa qui a ‘le culot de se comparer à Beyoncé !’ les internautes jubilent ! », mêlant dans la même phrase les propos du professionnel et ceux des Twittos. Une confusion volontairement créée, au risque d’attiser la malveillance voire la haine en ligne envers la vingtenaire.
« S’il ne doit pas cacher ce que les candidats peuvent avoir de problématique, le programme doit faire attention à ce qu’il montre et à tout ce qui peut entraîner un cyber-harcèlement », alerte Valérie Rey-Robert.
Lors des premiers directs, des « tableaux » stéréotypés
Cette même prestation à trois voix a été décryptée par la journaliste spécialiste du féminisme Johanna Cincinatis, qui l’a comparée à un autre trio de cette même soirée, 100% masculin cette fois. Et a noté bien des différences de mise en scène et présentation à l’écran.
« Trois candidates s’affrontent, on montre le backstage de la répétition, la difficulté de chanter à trois et pour chacune de s’adapter aux deux autres. À l’inverse, trois candidats chantent ensuite et parlent de leur ‘gars sûrs’, décrit-elle sur Twitter. Après la performance, Nikos leur demande comment s’appellera leur futur trio. Les ‘2CS’, pour Chris, Cenzo et Stanislas. Une photo d’eux trois est prise juste après leur chanson. »
Elles chantent sur un podium chacune alors qu’eux s’éclatent à trois et occupent toute la scène en dansant.
« L’aventure est aussi compétitive pour tous·tes et pourtant, les filles sont mises en concurrence de manière bien plus flagrante, déplore Johanna Cincinatis. Elles chantent sur un podium chacune alors qu’eux s’éclatent à trois et occupent toute la scène en dansant. » La solidarité masculine d’une part, mais l’éternel cliché de la rivalité féminine de l’autre.
Une troisième performance de ce second direct a interpellé la journaliste. Celle d’Énola et Louis, qui chantent leur récent roman d’amitié. « Une femme et un homme, pas question de rivalité. (…) Comme si y’avait plus d’enjeu de rivaliser puisqu’il est un garçon et elle une fille. La différence s’opère, c’est bon. »
Un autre « tableau » encore de ce prime peut être pointé pour les stéréotypes de genre qu’il entretient. Celui de Carla, qui, toute vêtue de rose, chante Moi, Lolita d’Alizée, en défendant une chorégraphie qui colle aux paroles. « Cette chanson, qu’on retrouvait dans tous les télé-crochets, fait partie d’une époque, comme Les sucettes de France Gall avant elle. Les paroles sont là, et le terme ‘Lolita’ est en soi problématique », commente Valérie Rey-Robert.
Cette dernière souligne en revanche « un mieux » net du côté du casting, qui présente cette année une véritable diversité, « avec des candidats racisés », qui ont, aussi, des orientations sexuelles plurielles.
Et Valérie Rey-Robert de conclure : « L’évolution du programme nous permet de réaliser que, si tout n’est pas gagné, les choses avancent, indubitablement. » La Star Ac’, thermomètre de notre société ?
- Valérie Rey-Robert : « La question de la domination masculine est presque insoluble »
- Doit-on s’inquiéter des clichés amoureux véhiculés par la télé-réalité ?
Téléréalité : la fabrique du sexisme de Valérie Rey-Robert, éditions Les Insolentes, 162 pages, 17,95 euros.
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