Avec son physique solide et rabelaisien, ce comédien d’envergure a régné sur le théâtre en monstre sacré et crevé le grand comme le petit écran.

Avec Annie Girardot, avec qui il entretiendra une longue liaison, dans Ursule et Grelu de Serge Korber, en 1974.

Dans Les Galettes de Pont-Aven de Joël Séria, en 1975, il incarne la figure d’Émile, un peintre qui imite Paul Gauguin.

Dans Mado de Claude Sautet, en 1975, il est Julien, l’associé de Simon Léotard (Michel Piccoli).

“Difficile à cataloguer », disait de lui-même Bernard Fresson . Lorsque ce comédien surgit au mitan des années  50 parmi les acteurs chromos à la mode aux gueules d’ange de l’époque, il apparaît comme un rappel à l’ordre du réel, avec son corps massif, son épaisseur, sa voix profonde et son regard direct. Ce que, au cinéma, à la télévision comme au théâtre, on appelle une présence. Une présence qui s’imposait naturellement, dans le champ de la caméra comme sur scène. Cet inclassable, habitué aux seconds rôles remarquables qui volent parfois la vedette aux premiers, reste associé à tant de films et de pièces de théâtre qu’on aurait bien du mal à résumer sa carrière si riche, si variée, souvent marquée du sceau de l’exigence. Sa ductilité physique et émotionnelle l’autorisait à passer d’un rôle à l’autre en restant lui-même à l’instar des grands acteurs.

Toute la sainte fournée

Il naît le 27 mai 1931 à Reims, d’un père boulanger à la réputation bien établie et d’une mère modiste qui tiendra finalement sagement la caisse. Pas question pour cet élève brillant de tomber dans le pétrin de la boulange. Il rêve à d’autres horizons que celui du fournil et se découvre comme une évidence une vocation de comédien. Dès ses 16 ans, il joue Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand au pensionnat rémois du Sacré-Cœur. Monté à Paris, après une licence en droit, il intègre HEC et sort major de sa promotion. Mais son goût pour l’aventure l’écarte vite d’une carrière commerciale ou administrative. Il devient footballeur, coureur cycliste, trompettiste et garagiste. Après avoir suivi une tournée théâtrale au Brésil comme transporteur de décors, il revient à Paris et s’inscrit au cours d’art dramatique de Tania Balachova. En 1956, il rencontre Arlette Reinerg, metteur en scène qui tient aussi le bar La Contrescarpe à Paris où se produisent Bernard Haller, Romain Bouteille et Anne Sylvestre. Elle lui offre un rôle dans Le Cheval dans la cuisine de Charles-Louis Paron.

L’amour dévorant du théâtre

Dès lors, l’appel brûlant des planches le dévore. En peu de temps, il joue les grands auteurs avec une abnégation d’artisan : Racine, Corneille, Gorki, Duras, Tennessee Williams, Dubillard, Shakespeare, Pinter… Sur scène, son don à camper ses répliques telles des colonnades de marbre fait sensation.

Bernard Fresson a bel et bien trouvé sa vocation. De celles, foudroyantes, qui scellent un destin. En 1956, le cinéma ne lui résiste pas. Il fait ses débuts en même temps que Belmondo dans Les Copains du dimanche. En 1959, Alain Resnais lui offre le rôle remarqué du soldat allemand de Hiroshima mon amour dont est éprise Emmanuelle Riva durant l’Occupation. Sa silhouette carrée de prolétaire, sa gentillesse bourrue et facilement désarmée deviennent une figure tout-terrain familière du cinéma qui lui réserve davantage d’emplois de caractère que de rôles à la mesure de son talent et de sa subtilité. Il incarne souvent des personnages de forts en gueule, de petits-bourgeois mal embouchés, de nouveaux riches arrogants ou de « beaufs » qu’il sauve de la caricature par un sens aigu de la nuance et par son humanité.

Rôles de type

Durant les années 60 et 70, il enchaîne les films avec éclectisme dans le choix de ses personnages. Il apparaît souvent en marginal bourru, agressif, mais jamais vraiment méchant (La guerre est finie, Z, Max et les Ferrailleurs). André Cayatte (Il n’y a pas de fumée sans feu), Luc de Heusch (Jeudi, on chantera comme dimanche) et Joska Pilissy (Le Guêpiot) seront les seuls réalisateurs à lui confier des rôles de premier plan.

Au fil du temps, son répertoire s’enrichit. Dans Ursule et Grelu, il enfile tous les costumes : accordéoniste, faux aveugle cul-de-jatte, flic, fondé de pouvoirs, banquier… En 1974, tandis que sa carrière se poursuit tambour battant outre-Atlantique avec French Connection II, il s’affirme à l’écran, colore ses personnages de nuances plus inquiétantes. Il se transforme en petit-bourgeois fat et équivoque (Les Galettes de Pont-Aven), en « beauf » répugnant (Le Locataire), en homme d’affaires malhonnête (Rive droite, Rive gauche), en chef de cuisine atrabilaire (Garçon !), en pyromane (L’Amour ou presque) ou en ouvrier dans Germinal.

C’est toutefois au théâtre qu’il exprime le plus intensément son exigence sous la direction de metteurs en scène très différents, tels Roger Planchon ou Robert Hossein, et d’auteurs variés, de William Shakespeare à Roland Dubillard, en passant par Paul Claudel et Peter Ustinov. Mais le grand public le connaît pour ses nombreuses apparitions à la télévision qui le servent finalement mieux dans des adaptations littéraires (Sans familleLes Misérables…) ou lorsqu’il endosse les costumes de figures historiques. Outre qu’il fut le héros du feuilleton Entre terre et mer, en 1997, il a incarné Javert, Pasteur, Mirabeau ou encore un Victor Hugo vieillissant dans La Bataille d’Hernani. Pressenti pour camper Jaurès dans l’adaptation des Thibault de Roger Martin du Gard, il en a été privé, décédant à 71 ans, des suites d’un cancer, le 20 octobre 2002.

Il se rêvait chanteur d’opéra !

Doté d’une voix de baryton, il ambitionnait de devenir chanteur d’opéra : « Mon père m’a donné le goût de l’art lyrique. Il avait ses entrées au théâtre de Reims et, grâce à lui, j’ai vu tous les opéras. J’étais capable de chanter un opéra entier après l’avoir vu une seule fois. Je faisais aussi partie de la maîtrise de la cathédrale de Reims. Seul le hasard en a décidé autrement. Je montais des pièces en amateur, et l’on m’a proposé de faire sérieusement du théâtre. Alors j’ai accepté. »

Dominique PARRAVANO

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