- Fin septembre, Zazie a sorti L’EP, un opus de quatre titres inédits. « La première raison était de trouver un peu de légèreté face au diktat des formats », explique-t-elle.
- « Je fais partie des rares artistes qui adorent savoir combien de disques ils vendent. Je m’en fous de savoir que j’en ai moins vendu, ce n’est pas pour ça que je vais faire une autre stratégie, une autre promotion […], mais j’aime bien savoir où j’en suis », affirme Zazie.
- « A The Voice, il y a beaucoup d’humain, de chaleur. On est aux premières loges pour voir des gens qui vont émerger, qui seront peut-être les artistes de demain. J’aime bien la transmission », affirme l’artiste qui reprendra son fauteuil de coach dans la prochaine saison du télécrochet.
Interviewer Zazie est toujours la promesse de passer un moment très agréable. Elle n’est pas du genre à se donner de grands airs de star ou à faire passer la désagréable consigne que telle ou telle question sera interdite. L’artiste parle à bâtons rompus, ouvre parfois des parenthèses, glisse des jeux de mots comme si de rien n’était. La spontanéité est de rigueur. Quand on la retrouve, en terrasse d’un café du 20e arrondissement de Paris ce mercredi, elle est en pleine discussion avec son manager. Si jamais elle est agacée d’être interrompue au milieu de sa conversation, elle n’en laisse rien paraître. C’est avec sourire et décontraction qu’elle nous accueille. On la rencontre car, en septembre, elle a sorti un EP (une sorte de mini-album) de quatre titres, fort à propos intitulé L’EP, en attendant une nouvelle fournée de chansons d’ici à la fin de l’année.
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Ces morceaux inédits trouvent un équilibre entre expression d’une certaine colère et lâcher-prise. « Dans cette période où l’obscurantisme peut revenir, il est bon de chérir la lumière que l’on a en nous, celle que l’on peut avoir en discutant avec des potes. On ne va pas changer le monde, on va le refaire pour un soir. J’aime l’utopie car, dedans, il y a de l’espoir, un « et si on… » », nous dit-elle. L’entretien dérivera sur son rapport à l’industrie musicale et à ses exigences. Zazie raconte à quel point la promotion n’est pas l’exercice qui la réjouit le plus. Il n’empêche, elle répond aux questions de 20 Minutes sans manifester la moindre lassitude. Encore un signe de son élégance.
Sortir un EP, est-ce une forme de liberté ?
Oui, la première raison était de trouver un peu de légèreté face au diktat des formats. Il paraît que les artistes qui ont trente ans de carrière ne sortent que des albums… Qui a décidé ça ? Et quand ? Je peux comprendre l’idée de concentrer les efforts pour la promotion, mais je voulais aller un peu contre ça. J’étais en studio pour finir l’album. On me disait qu’il fallait attendre encore. A quoi bon, en fait ? Parfois, deux ou trois ans peuvent s’écouler entre le moment où on crée une chanson et celui où on la sort. En interview, on se retrouve à en parler en étant dans un autre état d’esprit. Là, c’est tout frais. Nos vies ne se résument pas à devenir VRP de nous-mêmes. En parler comme on en parle quand on est en studio, c’est plus sympa, ça me permet de me sentir moins « very représentante de mon self ».
Les chiffres de ventes de vos albums vous intéressent-ils ?
Je fais partie des rares artistes qui adorent savoir combien de disques ils vendent. Je m’en fous de savoir que j’en ai moins vendu, ce n’est pas pour ça que je vais faire une autre stratégie, une autre promotion ou que je vais faire tout et n’importe quoi et parler de la culture des olives en basse Provence, mais j’aime bien savoir où j’en suis. Est-ce qu’on fait de la musique pour vendre ? Pour vivre, ouais. On en vit très bien. De la même manière que j’accepte très bien que les gens aiment ou n’aiment pas tel propos, tel concept, tel sujet, j’ai l’impression qu’ils me donnent le droit, depuis trente ans que ça dure, de continuer à être moi-même.
Cherchez-vous à analyser les raisons qui font qu’un album se vend moins qu’un autre ?
Bien sûr. Cyclo [sorti en 2013] n’a pas fait d’énormes ventes à la base – la tournée était super -, donc j’avais ce motif de satisfaction. Je me suis rendu compte que, dans l’ensemble, les journalistes me disaient : « L’album nous donne des nouvelles de nous et on va mal. » Je me retrouvais à les psychanalyser. Ils me racontaient : « Moi dans ma vie, il s’est passé ça… [elle joue le ton de la confidence chez le psy et rit] » Un truc de fou ! C’était super drôle. Au bout de trois jours de promo, je me disais « Ah ouais, la vache, ils vont mal ! » Certains se trompaient. Par exemple, Où allons-nous était une chanson sur la célébrité et on me demandait si elle parlait de la mort.
Il y a eu d’autres sources de malentendus dans votre carrière ?
Non, pas trop. Il faut tout le temps rappeler à l’industrie musicale qui on est, en essayant de ne pas être trop narcissique. Il y a des principes, comme celui de sortir un single – le pauvre, il est tout seul – censé être la carte de visite de tout le reste. Or, sur un album, une chanson n’a pas forcément grand-chose à voir avec l’ensemble. On dit que ce serait bien que ce single soit un titre up-tempo [rythmé]. Pourquoi ? Je n’ai toujours pas de réponse à ça. Quand on sort une chanson lente, on a l’impression de prendre des risques énormes. En 2007, j’ai rencontré mon label et je me suis battue pour sortir Je suis un homme. Pour mon deuxième album, en 1996, on m’a dit : « On va sortir Homme Sweet Homme en single. On n’en vendra pas la queue d’un, mais ça permettra une compréhension plus globale de ce que tu fais. »
Y a-t-il des chansons qui sont devenues des tubes à votre grand étonnement ?
Oui. Homme sweet homme, justement. A l’époque, elle n’était pas encore sortie en single, je débutais et j’avais réussi à remplir une Cigale. J’étais trop contente. C’était ma première scène digne de ce nom à Paris. J’étais terrorisée, très nerveuse. J’ai failli me casser la gueule trois fois. J’ai commencé à chanter : « J’ai remis en état… » et là, les gens se sont mis à hurler la suite. J’avais la notion de ce qu’était un public, mais pas encore de ce qu’allait être mon public, c’est-à-dire des personnes qui viennent pour entendre des chansons de moi qu’ils ont aimées. Au début, je pensais : « Non, ne chantez pas ! Laissez-moi… » parce qu’en plus ils ne livraient pas la meilleure version en matière de musicalité (rires). Je n’ai pas pleuré, je me suis bien tenue, c’était dingue, j’en ai encore des frissons quand je vous en parle. Souvent, les gens qui m’entourent dans la maison de disques me disent : « Regarde ce qui marche dans ton album. » Aujourd’hui, on parle davantage en termes de vues que des ventes. C’est dingue parce que ce ne sont pas forcément les singles ou les trucs les plus sophistiqués en termes de prod qui sont le plus écoutés, mais des morceaux un peu lents avec des textes tous simples, qui vont vers l’émotion universelle. Je pense que les gens ont besoin de tendresse.
Vous avez sorti votre premier album il y a trente ans. Au cours de ces trois décennies, l’industrie musicale a radicalement changé. Quel est le bouleversement le plus marquant selon vous ?
Le fait que, parfois, l’industrie et les gens tendent à confondre l’exposition, le fait d’être partout, y compris sur les réseaux où l’on poste sa vie son œuvre – Zazie à la plage, Zazie en train de déjeuner – avec les raisons pour lesquelles on fait ce métier, à savoir la musique. Hier [mardi], j’ai fait une journée de promo où on m’a plus parlé du vieillissement et de ma mèche de cheveux blancs que de mon travail. J’accepte ce jeu de l’exposition, le fait que les gens ont parfois envie d’en savoir un peu plus qu’une chanson.
Je regrette aussi l’époque où les émissions de radio n’étaient pas filmées. On pouvait arriver minables, en jogging, avec le cheveu gras ou en sortie de boîte et faire une émission qui était souvent plus intéressante qu’aujourd’hui parce que plus spontanée. Là, on doit faire un peu attention, c’est de la radio télé. Il y a une espèce d’immédiateté pornographique et voyeuriste qui ne me va pas. Peut-être qu’elle ne me va pas parce que je suis de moins en moins jeune et que ça ne m’arrange pas (rires), mais je ne pense pas.
Quand je refuse de faire quelque chose, on me dit : « Mais ça fait tant de vues. » Certes, mec, mais est-ce que ce sont des gens qui vont acheter – si c’est ça la finalité de la promotion – le disque ? Le meilleur marketing d’un album, c’est l’album. Après, on peut en faire des tonnes autour mais est-ce que Cabrel passe son temps sur les réseaux ? Non. Souchon non plus, et ça ne les empêche pas de vendre. Il faut parfois prendre un peu de recul et dire « Ça, je ne vais pas le faire ». Parce que si c’est pour parler de la recrudescence des vols de sacs à main, je ne suis pas la spécialiste.
Vous serez, pour la première fois, le 12 novembre, sur le plateau de « Star Academy ». En 2015, vous étiez très critique envers l’émission que vous jugiez « humiliante ». Vous avez changé d’avis ?
Non ! (rires) Je n’ai pas changé d’avis sur le principe de la téléréalité. J’ai un peu affiné la chose, depuis que je fais The Voice, en me disant qu’outre cet aspect téléréalité, ces émissions parlent de musique. On y fait notre métier, on va chanter notre chanson. Vaut-il mieux faire une émission très classe, très journalistique, qui vous fait parler de tout et n’importe quoi ou faire son métier dans une émission populaire, un peu bizarre ? Et en plus, on va chanter avec une petite nana ou un petit gars qui va être mort de trouille, on va l’aider, être pédagogue, ça, c’est quand même une rencontre humaine. A partir du moment où on ne me demande pas d’aller au château de Star Academy et de participer au fait qu’ils sont filmés H24, ça me va.
Avez-vous hésité à accepter l’invitation ?
Pas tellement parce que, à force de me retrouver en promo sur des plateaux où on me fait parler de politique ou de choses dont je ne suis pas spécialiste, je me dis que tant qu’on me demande de faire mon métier, je vais plutôt dire oui.
Vous retrouverez votre fauteuil de coach pour la prochaine saison de « The Voice ». C’est un rôle que vous tiendrez avec entrain ?
Oui. Au moment où on me l’a proposé, j’étais au bout du rouleau de la fatigue, en train d’essayer de finir mon album, de gérer les pochettes, je n’en pouvais plus. J’étais à deux doigts d’un petit burn-out. Il y avait la moitié de mon visage qui décédait à l’idée d’ajouter encore plus de travail et l’autre moitié qui souriait comme un enfant de 8 ans qui a piscine. J’ai dit oui en cinq minutes. A The Voice, il y a aussi beaucoup d’humain, de chaleur. On est aux premières loges pour voir des gens qui vont émerger, qui seront peut-être les artistes de demain. J’aime bien la transmission. Un boulanger peut avoir un apprenti. Pour une autrice, compositrice et interprète, c’est plus compliqué. De temps en temps on me demande de faire des masterclass dans des écoles de comédies musicales. C’est toujours intéressant, mais c’est compliqué parce qu’il faudrait faire du cas par cas. Dans The Voice, le cas par cas, il est là. C’est, en toute humilité, gratifiant d’aider quelqu’un, de le mettre sur les bons rails.
Ma première question portait sur la liberté. Ma dernière sera de savoir quelle liberté aimeriez-vous pouvoir vous octroyer ?
Celle de sortir un album sans faire de promo ! (rires) Sortir un album, ce n’est pas vouloir vendre un album, en fait. Comme j’ai la chance de bien gagner ma vie, je pense que de plus en plus je vais essayer de me diriger vers ça. Je pense que c’est pas mal de laisser le choix aux gens, même si on en vend moins. C’est aussi une politesse à avoir dans ce monde de sollicitations, de consommation constantes. Cela ne veut pas dire que je ne ferai plus de scène et qu’on ne me verra plus mais qu’on me verra moins. Je vais aller me faire voir ailleurs (rires).
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