« Galadriel agit comme une ado frustrée et en manque d’attention. » Ces dernières semaines, de nombreux internautes se sont montrés très critiques à l’égard d’une des protagonistes principales de la série Amazon Prime, Les Anneaux du Pouvoir, diffusée depuis septembre 2022. Galadriel, elfe guerrière et personnage incontournable du show inspiré des écrits de Tolkien, est un coup trop arrogante, puis trop sévère, mais surtout, elle pas crédible aux yeux d’une partie des spectateurs.
Ces critiques font écho à celles déjà avancées pour d’autres personnages féminins majeurs de la pop culture, comme Katniss Everdeen, symbole de la révolution malgré elle dans Hunger Games, Cersei Lannister reine impitoyable dans Game of Thrones, ou plus récemment Miss Hulk super-héroïne de la série Marvel She Hulk.
Cette nouvelle représentation des personnages féminins « bouscule les normes de genre », explique Héloïse Van Appelghem, doctorante en Études Cinématographiques et Audiovisuelles. Ces femmes sont des héroïnes « qui déjouent pas mal les codes de la féminité classique. Elles vont être enragées, parfois prétentieuses, manipulatrices », ajoute Anaïs Bordages, co-autrice avec Marie Telling du livre Petit Éloge des anti-héroïnes de série. Et ça ne plaît pas à tout le monde.
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Des hommes qui se sentent menacés
Terminée leur unique fonction d’être douces, sensibles, femme trompée ou mère de famille, ces personnages féminins ne sont plus seulement les faire-valoirs de leurs homologues masculins. « Le succès de la série Orange is the new black [qui a pour décor une prison pour femmes, ndlr] a été un vrai signal pour dire qu’on a besoin de plus de femmes qui soient complexes, compliquées, qui ne soient pas parfaites », analyse Anaïs Bordages.
Malgré la multiplication de ces représentations, la pilule ne passe pas toujours auprès du public masculin. Dans le film Mad Max sorti en 2015, Charlize Theron tient le rôle principal d’une femme d’action avec le crâne rasé et le visage sévère. Ce film a été perçu comme une menace : « Des activistes du mouvement masculiniste américain, MRA (Men’s Rights Activists) ont qualifié ce Mad Max comme un cheval de Troie des féministes d’Hollywood qu’il fallait boycotter », raconte Héloïse Van Appelghem.
Les femmes sont jugées dans tous les domaines de la société et de la fiction.
À contrario, Scarlett Johansson en Black Widow ou Gal Gadot en Wonder Woman dérangent beaucoup moins… Pour cause, ce sont des « personnages féminins montrés comme forts mais qui ne remettent pas complètement en cause les normes de genre », analyse la doctorante, « elles conservent un glamour et une désirabilité qui ne remet pas totalement en question le patriarcat. »
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La quête impossible de la perfection
Quant à la critique facile et systématique des personnages féminins, ce n’est qu’un reflet de la société pour Anaïs Bordages : « Les femmes sont jugées dans tous les domaines de la société et de la fiction. Ce n’est pas surprenant, mais juste le prolongement de cette tendance qu’on a à toujours vouloir qu’elles soient parfaites ». Vision partagée par Héloïse Van Appelghem : « La réception de ces œuvres révèle un rejet misogyne d’une partie du public. »
Cette exigence de perfection n’est évidemment pas appliquée de la même façon aux personnages masculins, Anaïs Bordages : « On a tendance à être beaucoup plus indulgents avec des anti-héros masculins qui vont parfois tuer, manipuler, mentir, tromper… et eux, on les adore quand même. » Elle cite par exemple les célèbres Tony Soprano (Les Soprano) et Don Draper (Mad Men).
Le comble, c’est que même cette « perfection » est critiquée chez les femmes. Alors qu’on est admiratif des capacités surhumaines de l’elfe Legolas qui défie la gravité dans Le Seigneur des Anneaux, on juge invraisemblables les mêmes capacités de l’elfe Galadriel dans Les Anneaux du pouvoir. Certains internautes voient en elle une « Marie Sue », un personnage féminin jugé trop parfait, trop intelligent, trop courageux, remarque l’internaute Phobos sur Twitter. Ce concept est utilisé pour critiquer les héroïnes avec des capacités hors-normes. « Tous ces super-espions polyglottes aussi doués en arts martiaux qu’en géopolitique ou en pilotage d’avion n’ont jamais déclenché de telles vagues de cynisme et de haine à leur encontre », souligne-t-elle dans son thread.
Un progressisme cliché
Pour Anaïs Bordages, ces parfaites héroïnes manquent surtout de profondeur et paient le simplisme des showrunners : « Il n’y a pas d’expression pour qualifier leurs équivalents masculins car on va naturellement plus les développer, avec de multiples facettes ». Ainsi les héroïnes qui bousculent les codes de la féminité pâtissent de nouveaux clichés scénaristiques, devenant « des personnes qui sont juste dures, téméraires et fortes mais à qui on oublie de donner de la vulnérabilité, et une psychologie intérieure riche », ajoute l’autrice.
Elle insiste : « C’est super d’avoir des personnages féminins qui savent se battre, qui montrent qu’on est pas obligé de correspondre aux clichés du sexe faible mais si on se contente uniquement de les représenter comme ça, on reproduit des clichés virilistes rejetant la vulnérabilité. » Pourtant, note Anaïs Bordages, « le processus d’identification est beaucoup plus fort avec des gens qui sont imparfaits, comme nous. »
Au-delà de ces critiques, le nouvel âge des séries intègre de plus en plus des personnages féminins hors-normes et complexes. Une tendance optimiste soutenue par Héloïse Van Appelghem : « Il y a quelques années encore, il n’y avait pas du tout ce genre de représentation donc il y a un vrai effort. Chaque décennie on avance malgré tout. »
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