Installées au rez-de-chaussée, les gardiennes – les femmes représentaient en 2010 85 % de la profession selon les derniers chiffres publics du ministère du logement – font partie intégrante de la vie d’un immeuble. À l’écoute, souvent prêtes à rendre service, elles entretiennent aussi bien les parties communes que le lien social avec les habitants.

Derrière ces visages qui sourient en lançant joyeusement un « bonne journée » chaque matin, se cachent des fragments de vie. Des récits qui s’entremêlent et des parcours qui se font écho d’une loge à une autre. Rencontre. 

Vivre dans une loge à 25 ans, avec un enfant

Elles n’étaient encore que des adolescentes quand elles ont quitté leurs villages respectifs, au nord du Portugal.

À l’aube de ses 17 ans, Olivia pose ses valises dans le quartier du Marais à Paris, en 1987. Elle ne parle pas un mot de français et effectue des ménages ou gardes d’enfants.

En 1989, Maria, elle, recommence sa vie à zéro en Seine-et-Marne, après avoir perdu ses parents. Elle a 18 ans et vend de la volaille sur un marché.

Quelques années plus tard, le hasard des rencontres et le bouche-à-oreille les mènent toutes deux sur le pas d’une loge. « Une connaissance m’a dit qu’une loge se libérait et je suis tombée du ciel ici », aime raconter Olivier, installée avenue Junot dans le XVIIIe arrondissement parisien.

Gardienne dans cet immeuble de grand standing depuis 28 ans, elle se rappelle encore du jour où elle est arrivée dans ce logement exigu de 16 m2, son fils sous le bras. « J’avais 25 ans, c’était horrible », lâche-t-elle.

Maria, quant à elle, prend ses quartiers rue Pouchet dans le XVIIe arrondissement de la capitale, puis rue Caulaincourt, où elle est gardienne depuis 17 ans. « Je voyais mes amies gardiennes, je trouvais ça bien pour m’occuper de mes enfants », rembobine-t-elle. Prendre soin de leur famille tout en travaillant depuis chez elles : voilà ce qui a, en partie, encourager ces femmes à choisir ce métier.

Sur la photo : Olivia et Paula, amies et gardiennes rue Boinod, à Paris.

Des ménages à côté pour compléter ses revenus

« Je réveille Anastasia et je suis à vous », s’excuse Monika, alors qu’elle se retire dans la chambre qu’elle partage avec sa fille.

Il est huit heures. Rue Boinod, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, la loge de cette gardienne bienveillante est allumée. Signe que sa journée de travail vient de débuter et que sa porte est ouverte si besoin.

Certains ont l’impression que nous sommes des serpillières sur lesquelles ils peuvent s’essuyer.

Ce matin, elle nettoiera le hall d’entrée qui doit « toujours rester propre ». C’est elle qui répartit sur la semaine les tâches qui lui sont allouées : nettoyage de la cour, des vitres, de la cage d’escaliers, sortie des poubelles. L’après-midi, sur son temps de pause, comme toutes les femmes que nous avons rencontrées, elle effectue des ménages jusqu’à 16 heures pour arrondir ses fins de mois. Puis endosse de nouveau son rôle de gardienne jusqu’à 20 heures.

Sur la photo : Monika, gardienne rue Boinod, à Paris.

Un métier transformé, une difficile vie privée

Depuis les années 70, le métier a évolué. Marie-Anne était gardienne au 172 Boulevard Magenta, dans le Xe arrondissement parisien. Du haut de ses 75 ans, elle se remémore avec enthousiasme ces belles années.

À son époque, le facteur passait trois fois par jour : 8, 11 et 16 heures. « C’était à moi de trier le courrier et de le distribuer jusqu’au 6e étage. J’étais bien sportive ! ». Depuis, les SMS et les e-mails ont petit à petit remplacé les lettres imprimées. Aussi, à l’exception de quelques immeubles, de nombreux halls disposent dorénavant de boîtes aux lettres. 

Aujourd’hui, être gardienne, « c’est beaucoup d’heures de présence », résume Monika. Enfermées entre quatre murs d’une loge dans laquelle elles travaillent et vivent à la fois, elles occupent leur temps, chacune à leur manière.

« Je rends beaucoup de services, confie Paula, aussi gardienne Avenue Junot. Dans mon contrat je n’ai pas l’obligation de prendre les colis ou les clefs. Mais je l’ai toujours fait ».

Dans leur loge sans cesse exposée, difficile d’avoir une vie privée. À toute heure du jour ou de la nuit, ce sont elles que les habitants joignent. « On m’a déjà appelée à minuit pour une fuite », se souvient Maria.

Bien que la tradition se perde, ce dévouement est parfois récompensé à la fin de l’année par les étrennes. Ce n’est pas tant le montant, mais le geste qui touche Paula : « Un simple merci suffit », glisse-t-elle. Un petit mot lourd de sens et de reconnaissance pour ces femmes dont le métier est si peu considéré. « Certains ont l’impression que nous sommes des serpillières sur lesquelles ils peuvent s’essuyer », déplore Olivia. 

Sur la photo : Marie-Annegardienne dans les années 70 Boulevard Magenta, à Paris.

"Les gardiennes de nos âmes"

Résumer le métier de gardienne aux tâches ménagères et aux services rendus serait passer à côté de l’un des plus grands rôles qu’elle joue dans un immeuble. « Nous sommes un peu des psychologues. Les gens nous racontent leurs soucis de boulot ou leurs problèmes amoureux », relate Monika, fière de pouvoir revêtir cette fonction qui donne du sens à son métier. « Une gardienne doit savoir écouter et ne rien dire parfois », poursuit Maria. Spectatrices d’un quotidien qui se déroule sous leurs yeux, elles se font discrètes tout en veillant au bien-être des habitants auxquels elles se sont attachées. 

Monika fait partie intégrante de notre vie.

« Monika fait partie intégrante de notre vie, c’est comme une maman pour nous », livre Johanna, une habitante du 5e étage. « Tu vas me faire pleurer », réplique la gardienne, émue.

Cet esprit de famille, on le retrouve aussi dans le portrait que Nicole dresse de Fatiha, sa gardienne, une « femme exceptionnelle » avec qui elle partage un café tous les matins.

« Elles nous cuisinent des tchoutchouka, des artichauts farcis, des couscous… Parfois, je suis obligée de lui dire d’arrêter de me nourrir », plaisante cette responsable de la galerie d’art AVM, rue Caulaincourt (Paris, XVIIIe). Nicole parle avec tendresse et reconnaissance de celles et ceux qu’elles surnomment « les gardien·nes de nos âmes ».

Quelquefois, des chemins se croisent de manière inattendue et des liens d’amitié se créent entre deux mondes. Olivia garde en mémoire sa rencontre avec Hermine de Clermont-Tonnerre. « Le lien est passé tout de suite ». La princesse invite Olivia à de nombreux événements, même à la communion de ses enfants, et ne mentionne jamais qu’elle est gardienne dans son immeuble. « Elle disait mon Olivia ou mon amie. C’est quelqu’un qui m’a touchée », confie-t-elle. 

Après une vie dédiée aux autres, certaines des interrogées, immigrées, rêvent d’un retour dans leur pays d’origine, quand d’autres s’imaginent rester dans cette vie parisienne.

À la suite de leur départ, elles laisseront un vide. Petit à petit se tournera la page de l’histoire d’un immeuble, dont elles seules resteront les gardiennes. Témoins d’une époque et d’un métier en voie de disparition.

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