“Quand on manage un groupe d’individus, il faut bien les connaître pour bien les manager. Alors, pour coacher une équipe de femmes, il faut bien les connaître. Physiquement et mentalement. Les règles sont un déséquilibre hormonal qui fait partie de notre être et a un tel impact, qu’il faut obligatoirement le maîtriser”, pose Sandrine Gruda, capitaine de l’équipe de France de basket-ball.
Dit ainsi, cela paraît évident. Pour autant, il n’est pas établi que les femmes, a fortiori les sportives de haut niveau, possèdent de solides connaissances sur leur propre cycle menstruel. Les hommes, qui composent majoritairement les encadrements sportifs, en savent généralement encore moins.
Malgré tout, depuis une dizaine d’années, de nombreuses athlètes se sont exprimées, délogeant le sujet de l’intimité où il est habituellement relégué. Ainsi, la judokate Clarisse Agbegnenou, la patineuse artistique Gabriella Papadakis répondaient par exemple à l’Équipe Magazine en février 2017 dans un numéro dédié. La handballeuse Estelle Nze-Minko publiait une tribune, “coup de sang”, en mai 2020. « Je fais du sport de haut niveau depuis plus de 10 ans et l’on m’a posé des questions sur mes menstruations pour la première fois l’année dernière. »
Cet été, les footballeuses anglaises demandaient à leur équipementier de cesser les shorts blancs « pas pratiques quand on a ses règles ». Wendie Renard, capitaine des Bleues, renchérissait : « s’ils peuvent faire de même pour nous, ce serait cool ».
Un tabou serait-il en train de tomber ?
Les langues se délient mais les habitudes peinent à changer
« Il y a eu une sacrée évolution, approuve Mélina Robert Michon, immense championne en lancer de disque depuis vingt ans. Parce que les sportives sont davantage mises en avant, parce que nous avons pris la parole, des études ont commencé à être faites sur les règles, en lien avec la performance. »
Sans pour autant faire évoluer automatiquement les pratiques. Toutes les athlètes ne s’expriment pas aussi facilement à ce propos que sur une entorse à la cheville. Des témoignages recueillis, les entraînements adaptés ou décalés ne sont pas encore rentrés dans les mœurs.
Pour autant, avec l’expérience, certaines ont appris à écouter leur corps. « Juste avant mes règles, je suis plus fragile au niveau de mon dos, partage la discobole. Sur cette période, je récupère moins bien, j’ai plus de chance de me blesser, mes jambes sont plus lourdes. Les bains froids peuvent aider. »
L’impact des menstruations dépend de la personne, de la discipline, du moment. J’ai le sentiment d’être limité dans mes connaissances sensorielles et scientifiques.
Pour la handballeuse tricolore Allison Pineau, la connaissance de soi et la prévention sont salutaires. La championne du monde 2017 porte une bague connectée à son smartphone qui lui fournit de multiples données (qualité du sommeil, température corporelle etc). « Avec l’âge, je sais identifier les différents moments de mon cycle. Je sais quand je vais avoir mal. Je n’attends pas pour agir et je prends un anti-inflammatoire ».
Actuellement, des applications permettant d’évaluer son état de forme pour les communiquer à son encadrement se popularisent dans les clubs, souvent dans les sports collectifs. Mais cet outil ne remplace pas des recherches scientifiques de qualité. “Ce que je déplore, c’est qu’au niveau du staff médical, on est en incapacité d’être précis, témoigne Pablo Morel, entraîneur des handballeuses de Brest, vice-championnes d’Europe en 2021. Les études sont faméliques. L’impact des menstruations dépend de la personne, de la discipline, du moment. J’ai le sentiment d’être limité dans mes connaissances sensorielles et scientifiques.”
Les formations reçues durant l’apprentissage du métier sont bancales. “On aborde les règles de manière biologique, comme tu fais au lycée, mais on ne creuse pas assez sur l’impact musculaire, psychologique” poursuit le tacticien.
La science au service des athlètes et de leurs menstruations
Chaque sportive a sa vérité rendant impossible la mise en place de process, discipline par discipline, dans l’état actuel des recherches. C’est le nœud du problème.
“Il y a de nombreuses variables complexes et individuelles à prendre en compte, confirme Juliana Antero, chercheuse à l’Institut National du Sport de l’Expertise et de la Performance (INSEP). Déjà, il est important d’identifier ce qui est de l’ordre du sportif ou du médical. Si une athlète évolue avec une douleur égale ou supérieure à 3, sur une échelle de 10, elle doit absolument consulter un.e gynécologue. Il n’est pas acceptable de pratiquer ainsi.”
Concernant les sportives aux ressentis moins douloureux, il est possible de s’entraîner et de performer à tous les moments du cycle. Il s’agit alors d’identifier la phase où l’on produit davantage d’oestrogènes, généralement du premier jour des règles à l’ovulation. Le bon moment pour charger sur les exercices pour gagner en masse musculaire. À l’inverse, des phases du cycle provoquent un manque de fer, de la fatigue, nécessitant d’autres types de séances. “Il faut comprendre la physiologie des athlètes car les cycles varient dans la longueur, l’intensité, et la fluctuation hormonale, explique Juliana Antero. Donc pour optimiser l’entraînement, il faut d’abord maîtriser les profils cycliques de chacune. »
À la tête du groupe de recherche Empow’her*, Juliana Antero a créé un compte Instagram de vulgarisation à destination de toutes les sportives. “Les recherches sont encore trop lacunaires. Actuellement, on travaille avec le club de foot du FC Nantes pour tester des stratégies d’adaptation de l’entraînement afin d’en mesurer l’efficacité.”
La scientifique répète que l’important est bien de tirer profit des variations du cycle menstruel plutôt que de considérer cela comme une faiblesse. “On peut battre des records dans toutes les phases”, assure-t-elle.
La performance au très haut niveau se joue sur des détails. Il est temps que l’impact du cycle menstruel n’en soit plus un.
*Pour Exploring Menstrual Periods of Women Athletes to Escalate Ranking, c’est à dire Explorer le cycle menstruel des sportives pour progresser.
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