• Star Wars est pensée « comme une saga d’apprentissage pour les jeunes hommes fondée sur la déconnexion aux émotions », selon la chercheuse Célia Sauvage.
  • Si l’on trouve des figures de femmes fortes dans les deux premières trilogies, celles-ci sont peu à l’écran, elles discutent le plus souvent avec des hommes et elles ne sont pas de vrais moteurs narratifs.
  • Les deux derniers épisodes viennent cependant changer la donne, avec le personnage de Rey, qui n’est jamais sexualisé et ne dépend pas de l’amour d’un homme.
     

Depuis quelques années, et surtout depuis l’apparition de Rey, l’héroïne du septième opus qui deviendra Jedi dans le 8e, c’est une question lancinante : 
Star wars est-elle une saga féministe ? Les relations entre femmes et hommes y sont-elles égalitaires ? Et s’il faut distinguer entre épisodes, lesquels pourraient décrocher la palme ?

Si on regarde le pitch principal de la série, on peut en douter : Star Wars est le récit de l’affrontement, dans une galaxie lointaine, des chevaliers Jedi contre les seigneurs noirs des Sith, et dans l’un comme dans l’autre camp, il s’agit principalement d’hommes. Une guerre entre mâles ? Pas très féministe. D’autant, explique la chercheuse en cinéma à Paris III Célia Sauvage, que Star Wars est pensé « comme une saga d’apprentissage pour les jeunes hommes fondée sur la déconnexion aux émotions », du moins à certaines émotions : il est conseillé par exemple à Anakin d’oublier sa mère et sa relation amoureuse… « Ce détachement émotionnel est le fondement même de la masculinité toxique », ajoute l’universitaire spécialisée dans la question du genre dans les films américains contemporains.

Pour autant, Célia Sauvage, ainsi que celles et ceux qui ont regardé l’intégralité de Star Wars, savent que la série est plus complexe que ce bref résumé. Elle regorge de figures de femmes fortes, de guerrières et de leadeuses politiques impressionnantes… A commencer par la princesse Leia Organa, sœur de Luke Skywalker, qui dès la trilogie originale (1977 à 1983) se révèle capable de manier les armes, sortant du pétrin à plusieurs reprises le « macho » Han Solo qui lui court après. Elle apparaît aussi comme remarquablement intelligente, dénouant les intrigues et tuant même l’horrible Jabba, qui l’avait réduite en esclave sexuelle, à la fin de l’Episode VI. La trilogie suivante (1999 à 2005), qui se déroule chronologiquement avant la première, fait apparaître une autre figure de femme puissante, Padmé Amidala, reine de Naboo, qui rembarre son prétendant Anakin et porte un discours républicain très ferme, s’affirmant comme une garante de la démocratie, analyse Sandra Laugier, philosophe et autrice de Nos vies en séries. Pour Sandra Laugier, « avant une époque récente, il était très rare de voir des figures de femmes au premier plan » dans les films ou séries.

Hors Leia, 63 secondes de personnages féminins

Si l’on s’en tient aux deux premières trilogies, Star Wars est cependant très loin de décrocher un brevet d’égalité. Ni Leia ni Padmé ne sont les personnages principaux de la série, centrée successivement autour de Luke Skywalker et de son père, Anakin. Si les duels et joutes oratoires entre hommes sont légion, le temps passé par des personnages féminins à discuter ensemble est réduit à quelques rares scènes. Pire : si l’on enlève les scènes et dialogues avec Leia, il ne reste, sur les épisodes quatre à six, que 63 secondes de personnages féminins, selon un décompte effectué par le New York Magazine. Et si le dragueur Han Solo est souvent moqué, ses saillies verbales ont parfois de quoi faire pâlir : « Épatante cette fille, ou je la démolis ou je tombe amoureux », lâche-t-il dans Un nouvel espoir.

Observons plus en détails les deux héroïnes. On s’aperçoit qu’elles se dévêtissent à mesure qu’elles tombent amoureuses, fait remarquer Célia Sauvage. Le costume de Padmé, à sa première apparition, « ressemble quasiment à une armure », commente la chercheuse. A son mariage avec Anakin, elle apparaîtra ensuite en dos nu, et sera souvent légèrement vêtue. Il en est de même pour Leia, qui, si elle quitte à partir du deuxième épisode de la trilogie originelle son vêtement blanc virginal, se retrouve en bikini pour affronter Jabba. En résumé, dans les deux premières trilogies, « on a des éléments féministes mais noyés dans l’obsession d’un récit très masculin », selon Célia Sauvage.

Cosplayers de Darth Maul et Padme Amidala, à Mexico en 2016.

« L’évolution majeure c’est l’arrivée de Rey »

Une vraie rupture se produit cependant dans la dernière trilogie, avec l’arrivée du personnage de Rey, une pilleuse d’épaves qui vit dans le désert de la planète Jakku, et semble rompue à la débrouille et à la survie. Indépendante, Rey n’a pas besoin de Finn, déserteur du Premier Ordre qui vole vainement à sa rescousse, et qui persiste à vouloir lui tenir la main visiblement pour la protéger, ce qui insupporte Rey. Elle sait aussi piloter, se battre et surtout, maîtrise la Force, ce qui fait d’elle, à la mort de Luke, la dernière des Jedi.

« L’évolution majeure c’est l’arrivée de Rey, qui n’est jamais sexualisée, et qui n’est jamais soumise à sa relation avec Finn. On a enfin un personnage de femme agissante d’un point de vue athlétique. C’est aussi le personnage le moins soumis à des impératifs de costumes féminisés, si on la compare avec les costumes de Leia et Padmé », commente Célia Sauvage, pour qui cette évolution est largement dûe au fait que c’est une femme, Kathleen Kennedy, qui a pris la succession en 2012 de Lucasfilm, la société du créateur de Star Wars, George Lucas.

Des pilotes, des guerrières et une sage

Outre le personnage de Rey, les deux derniers épisodes font la part belle aux femmes : Leia, toujours, qui enfin utilise la Force, dont elle semblait privée au départ, bien qu’elle soit issue de la même lignée que Luke. Parmi les pilotes on voit de nombreuses guerrières, et ce sont elles qui souvent font basculer le combat. C’est une femme, Paige Tico, qui largue par exemple les bombes qui détruisent le cuirassé du Premier Ordre, au début de l’épisode huit. Et c’est encore une femme, la vice-amirale Amilyn Holdo, qui se sacrifie en restant seule à bord du vaisseau principale pour permettre à ses troupes de s’enfuire en cachette. On y trouve aussi le personnage de Maz Kanata, pirate âgée de plus de 1000 ans qui apparaît comme sage et expérimentée.

Beaucoup plus féministe, à n’en pas douter, que ses prédécésseuses, la dernière trilogie n’est pas non plus sans taches, aux yeux de la chercheuse en cinéma. Particulièrement Les Derniers Jedi, notamment à cause des scènes finales, qui voient s’affronter Luke Skywalker et Kylo Ren, qui n’est autre que Ben Solo, le fils de Leia et de Han Solo. « Luke reste à la fin celui qui sauve l’humanité, la légende sacrificielle qui revient et se réserve le clou du spectacle, pendant que Rey fait tout un travail admirable mais en coulisses », se désole Célia Sauvage (qui avait quand même apprécié que la carapace de Luke se fissure et qu’il avoue avoir échoué dans sa formation de Ben Solo : « C’est un aveu d’échec assez rare »).

Un public qui aspire à être représenté

La dernière trilogie apporte malgré tout un rééquilibrage bienvenu en termes de genre, d’autant que les films dérivés comportent généralement plus de personnages féminins, fait remarquer notre collègue Mathilde Loire, mais cela suffit-il à qualifier tout Star Wars de « féministe » ? Nos deux chercheuses apparaissent partagées… Difficile à dire, d’autant qu’on regarde aussi les vieux épisodes avec nos yeux actuels, et qu’il serait tout de même assez injuste de juger un film de 1977 comme un film de 2017… On pourra quand même objecter qu’il existait déjà à l’époque des films à grand budget avec des personnages féminins très forts, comme Alien, ou Carrie, mais ces films étaient rares et souvent des films d’horreur, fait remarquer Sandra Laugier, autrice de Nos vies en séries, le féminin gênant d’un coup beaucoup moins lorsqu’il s’agit de l’associer à la monstruosité…

On aurait pu aussi se demander si Star Wars doit offrir une vision équilibrée en termes de genre, certains ou certaines plaidant pour que les œuvres soient protégées de toute considération morale. « Ce n’est pas par exigence morale, mais pour correspondre aux attentes du public, qui aspire à être représenté », évacue Sandra Laugier. « Le cinéma est un formidable véhicule de leçons de vie, Star Wars est fondé sur cette vision-là, et la place des femmes et du féminin y est aussi un impératif », estime Célia Sauvage. Admettons que pour Star Wars, qui se pique peut-être plus que toute autre œuvre de régler la question du bien et du mal, il serait incongru de faire l’impasse sur la question de l’égalité.

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