Cette actrice audacieuse fut à la fois star hollywoodienne et figure du néoréalisme, changeant de rôles et de pays d’adoption au gré de ses passions.
D’abord nouvelle Cendrillon suédoise, marchant sur les traces de Greta Garbo, Ingrid Bergman a su dépasser le mythe pour devenir un symbole. Sa rupture éclatante avec Hollywood et son choix de l’aventure du cinéma moderne avec le néoréaliste Roberto Rossellini ont fait d’elle la synthèse absolue entre la fascination qu’exercera toujours le septième art américain et son dynamitage.
En choisissant Rossellini contre Hitchcock – qui ne le lui pardonna jamais –, elle tourna le dos à une carrière toute tracée pour se lancer dans l’inconnu. Surtout, elle quitta l’Amérique de l’opulence pour une Italie en pleine reconstruction. Un choix pour le moins aventureux pour l’une des plus belles histoires d’amour entre un cinéaste et une actrice.
Une enfance ballottée
Ingrid Bergman naît le 29 août 1915 à Stockholm, en Suède. Sa mère, allemande, meurt lorsque la fillette n’a que 3 ans. Son père, un Suédois, l’élève jusqu’à son propre décès : elle a alors à peine 14 ans. Elle est confiée à l’une de ses tantes, puis à un oncle, qui s’engage à lui payer des études à l’école d’art dramatique du Théâtre royal de Stockholm.
Pour l’audition d’entrée, elle décide d’interpréter, à l’inverse des autres candidates, un rôle comique. Et elle emporte l’adhésion du jury ! Dès 1932, elle apparaît dans des films suédois, comme figurante puis dans des petits rôles, avant de crever l’écran dans Intermezzo, de Gustaf Molander, en1936, où elle interprète une jeune professeure de piano dont tombe amoureux le père de son élève. Elle est alors remarquée par le producteur d’Autant en emporte le vent, David O. Selznick, qui l’invite, en 1939, à traverser l’Atlantique pour reprendre son propre rôle dans le remake hollywoodien d’Intermezzo, réalisé par Gregory Ratoff. Le succès du film la propulse. Hollywood, complètement sous le charme de la belle Suédoise, la fait tourner à plein pot : elle enchaîne Quand la chair est faible, La Famille Stoddard, La Proie du mort, Docteur Jekyll et M. Hyde…
“Casablanca » l’installe
En 1942, elle campe une héroïne déchirée entre sa loyauté et ses sentiments face à Humphrey Bogart, archétype du solitaire blessé et faussement cynique, dans Casablanca, chef-d’œuvre cinématographique signé Michael Curtiz et étendard de la campagne américaine antinazie. Le film crève tous les plafonds (il remporte trois Oscars !), bénéficiant du débarquement yankee en Afrique du Nord et de l’entrée des troupes alliées au Maroc. Elle devient la troisième actrice la plus populaire des États-Unis ! De haute lutte, elle obtient ensuite le rôle de Maria, la fille souillée par la guerre de Pour qui sonne le glas.
Le clic était presque parfait
L’année suivante, elle s’essaie au thriller avec Hantise, de Georges Cukor, pour lequel elle reçoit l’Oscar de la meilleure actrice en 1945. Alfred Hitchcock la repère, elle enflamme son imaginaire. Son obsession des blondes va faire d’Ingrid Bergman la première d’une série d’actrices à la chevelure platine ! Elle tourne avec lui La Maison du docteur Edwardes, aux côtés de Gregory Peck, et, surtout, Les Enchaînés, l’un des chefs-d’œuvre du maître du suspense. Dans ce film, elle échange avec Cary Grant ce qui est alors le plus long baiser de l’histoire du cinéma ! Troublant la beauté lumineuse de son actrice, Hitchcock fait d’elle un être qui expérimente toutes les formes du vice et qui court après une impossible rédemption, à la fois politique et amoureuse. Ainsi, et plus encore dans Les Amants du Capricorne, il crée son versant sombre avec de longs plans-séquences qui renforcent la tension.
Orpheline de mère à 3 ans, elle n’a que 14 ans quand son père meurt à son tour.
Entourée de Roberto Jr et d’Isabella, deux des enfants de Rossellini.
Avec Humphrey Bogart dans Casablanca, de Michael Curtiz.
Magma mia !
Fascinée par le film Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini, sorti en 1945, Ingrid Bergman entre en contact avec le maître du néoréalisme italien. « Si vous avez besoin d’une actrice suédoise qui parle très bien l’anglais, qui n’a pas oublié son allemand, qui n’est pas très compréhensible en français, et qui, en italien, ne sait dire que ti amo, je suis prête à venir faire un film avec vous », lui écrit-elle. Pour réponse, il lui propose le rôle d’une réfugiée mariée à un pêcheur et prise au piège sur l’îlot volcanique de Stromboli.
Rossellini, pourtant alors en couple avec l’impétueuse actrice Anna Magnani, tombe sous son charme… Par vengeance, Magnani se lance dans le tournage, sur une île voisine, de Vulcano ! Ingrid Bergman, elle, décide de quitter son mari, Petter Lindström, et de rejoindre son Italien. Cette passion éruptive choque l’Amérique puritaine, on la surnomme « l’apôtre de l’avilissement de Hollywood » ! Elle s’exile donc, et ce coup de dés est l’instrument de sa réinvention. Rossellini la révèle, la filme au naturel… Une opposition radicale à l’école hollywoodienne dont elle est issue ! De cette union naissent des chefs-d’œuvre (Europe 51, Voyage en Italie, La Peur…), et trois enfants, dont l’actrice et mannequin Isabella Rossellini. Pourtant, après sept ans de vie commune, leur couple est en cendres.
Elle échange avec Cary Grant le plus long baiser de l’histoire du cinéma !
Retour en grande pompe
En 1956, Ingrid Bergman signe son retour à Hollywood grâce à Anastasia, d’Anatole Litvak, en héritière putative des Romanov, la famille impériale massacrée lors de la révolution russe, qui lui permet de remporter son deuxième Oscar ! Revenue au zénith, elle alterne alors les films américains et européens. Elle obtient le troisième Oscar de sa carrière (en tant qu’actrice dans un second rôle, cette fois), en 1975, pour Le Crime de l’Orient-Express, de Sidney Lumet. En 1978, elle éblouit avec le personnage de Charlotte, pianiste virtuose mais mère déficiente, dans Sonate d’automne, d’Ingmar Bergman (aucun lien de parenté !). Ce dernier rôle est considéré comme l’une de ses prestations les plus abouties. Ingrid Bergman décède d’un cancer du sein le jour de son soixante-septième anniversaire, en 1982, à Londres, et est incinérée en Suède. Une partie de ses cendres est dispersée en mer, vers Fjällbacka, l’autre est inhumée à Stockholm. Et c’est à titre posthume qu’elle est honorée d’un Emmy Award en tant que meilleure actrice pour le feuilleton télévisé Une femme nommée Golda, relatant la vie de la Première ministre israélienne, Golda Meir.
Grâce au Crime de l’Orient-Express, de Sidney Lumet, elle obtient son troisième Oscar en 1975.
Dominique PARRAVANO
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