• Les équipes de Plus belle la vie ont tourné cette semaine les derniers épisodes de la série dans les studios du feuilleton à Marseille.
  • Un clap de fin chargé en émotions pour certains protagonistes qui travaillaient pour le feuilleton depuis sa création, il y a dix-huit ans.

De notre envoyée spéciale dans les studios de Plus belle la vie,

La place du Mistral est entièrement vide, plongée dans la pénombre. Assise sur une chaise sur la terrasse plus vraie que nature du bar du Mistral, Caroline Riou fixe ce décor qui a été son quotidien pendant huit années. Julien traverse la place, pour préparer la prochaine scène. Le technicien fait un détour, s’approche de la comédienne, et l’enserre tendrement. « Au revoir, Caro. On se voit bientôt hein ? » Les yeux clairs de Caroline Riou deviennent humides, comme quelques heures plus tôt, pour la dernière scène de celle qui est connue pour son rôle de Laetitia Belesta dans la série Plus belle la vie. Un quotidien qui n’est plus : ce jeudi, la série a tourné sa toute dernière scène, avant la diffusion des derniers épisodes le 18 novembre. Il y a quelques mois, France Télévisions a en effet annoncé la fin du célèbre feuilleton tourné dans la cité phocéenne.

Depuis, dans les studios de la série nichés dans le Pôle Média de la Belle de Mai à Marseille, les équipes vivent des « au revoir » en forme de comptes à rebours. « Et toi, c’est quand ton dernier jour ? » Entre deux prises, on entend cette phrase, inlassablement. A intervalles réguliers, le réalisateur crie le nom d’un comédien récurrent qui vient de vivre « son dernier clap », comme ils disent. Alors fusent des bravos, des applaudissements, des embrassades, des bouquets de fleurs, des promesses de se revoir, des remerciements pour ce qui a été vécu. Les plus pudiques tentent quelques plaisanteries. Les comédiens les plus téméraires se risquent à un discours. La scène se répétera trois fois ce jour-là. « Je ne vais pas tenir à ce rythme-là », souffle un technicien.

« On ne rattrapera pas l’explosion d’une famille »

Les selfies qui se multiplient entre deux prises et l’enthousiasme un peu trop prononcé dans une scène chorale sont autant de petits détails qui rappellent que ces jours de tournage ne sont pas des jours comme les autres. Pour égayer l’ambiance pesante, la production a fait appel à Jason Roffé, qui se décrit lui-même comme un réalisateur « qui manie la blague plutôt que le fouet ». Celui qui a commencé simple assistant réalisateur au tout début de la série tente de masquer sa tristesse derrière la « responsabilité de tenir la barre jusqu’à la fin, en essayant de contenir les derniers moments à vivre ensemble ». Et la tâche est ardue. « J’ai l’impression d’être dans une machine à laver émotionnelle, souffle Jérôme Bertin, acteur récurrent dans la série depuis une dizaine d’années. Je dors mal. Plus ça va, plus je vois que mon tour approche bientôt. Chaque départ, c’est un déchirement. »

« Qu’une série s’arrête, c’est la vie d’une série, estime Michelle Podroznik, productrice historique du feuilleton. Mais quand le tournage de Plus belle la vie s’arrête, c’est une famille qui explose. Et on ne rattrapera pas l’explosion d’une famille. On a créé un groupe WhatsApp pour qu’on se donne des nouvelles et qu’on s’envoie des photos. » Entre deux prises, Magalie est inconsolable. Il faut venir sur le tournage de Plus belle la vie pour voir une policière pleurer, après avoir feint une banale conversation avec une collègue sous l’œil de la caméra. Dix-huit ans que la comédienne est figurante dans la série. Et ce jour-là, c’est aussi son dernier jour. « Je suis rentrée, j’avais 27 ans, explique-t-elle, les larmes aux yeux. Vous vous rendez compte ? Je me suis mariée, j’ai divorcé, j’ai acheté un appartement, vendu mon appartement. On se voit à l’extérieur avec les figurants. Lui, c’est mon coach de cœur, par exemple ! » « On a l’habitude de se dire à la semaine prochaine, poursuit son collègue Gilles. Mais, là, on ne se dira plus à la semaine prochaine… »

« Au clap de fin, je me rase la tête »

L’après a des airs de vide abyssal pour ces intermittents du spectacle « qui avaient parfois oublié ce que c’était qu’être intermittent du spectacle », comme le glisse dans un sourire Michelle Podroznik. Un après que Laurent Kérusoré, rendu célèbre pour avoir campé depuis le début de la série le rôle de Thomas, ne peut même pas envisager. « Ma vie a toujours été tournée vers Plus belle la vie, confie-t-il. C’est la planeuse qui a géré ma vie pendant dix-huit ans. En dix-huit ans, le métier a tellement changé. Je sais plus ce que c’est que de passer un casting. Il paraît maintenant il faut faire des « self tapes » : tu te filmes et tu envoies ! » Pour ces acteurs emblématiques de la série, outre un nouveau travail à trouver, cet après se trouve marqué d’une mission pour certains bien compliquée : celle de faire oublier cette vie d’avant, et ce personnage qui leur colle à la peau. Pour y remédier, Laurent Kérusoré a pris une décision radicale. « Au clap de fin, je me rase la tête ! »

Une fin que Caroline Riou ne veut pas voir. Voilà plusieurs heures la comédienne devrait être dans sa voiture, si ce n’est chez elle, après avoir tourné sa dernière scène. Oui mais voilà : « J’ai du mal à rentrer », confie-t-elle sur la place du Mistral déserte. Alors, pour retarder ce moment fatidique, Caroline Riou préfère s’improviser guide dans les décors, s’enthousiasme devant les détails. « Je suis triste et en colère qu’on arrête une série avec autant d’audience. Ce qui me fait chier, c’est qu’on laisse autant de téléspectateurs. Ils sont beaux ces décors, non ? On se dit merde. Tout ça pour ça. Moi en tout cas, je ne retournerai pas ici. C’est fini ! Il n’y a plus de série, donc c’est fini. Je dois dire au revoir à Laëtitia Balesta, et je m’en rends compte en vous parlant. » Les techniciens arrivent de plus en plus nombreux. Une dernière scène va se tourner. Sans Caroline Riou. La comédienne prend son sac, et se résout. « Il faut y aller. Salut les copains », lance-t-elle, doucement. Caroline Riou marche lentement devant le célèbre bar de la série. Après quelques embrassades, elle avance sans se retourner, et disparaît, emportée par le Mistral qui, définitivement, n’ouvrira plus ses portes. Et ne soufflera plus sur sa vie.

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