- Les femmes, toujours celles qui trinquent
- Qui est réellement protégé par les programmes de prévention des grossesses ?
- "C’est pour votre bien madame"
- Que peuvent faire les femmes ?
Le 14 juin dernier, @Celine_at_Paris décrit dans une série de tweets l’histoire d’une de ses amies. Après « des années d’errance diagnostic », cette dernière découvre qu’elle souffre de polyarthrite rhumatoïde. Le médecin lui prescrit alors des médicaments. Mais arrivée à l’officine, le pharmacien refuse catégoriquement de la servir. Pourquoi ? Parce qu’elle n’est ni sous pilule ni stérilet.
C’est là qu’elle découvre que les traitements prescrits contre sa pathologie – dont des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) – sont contre-indiqués lors d’une grossesse, car considérés comme toxiques pour un foetus (fœtotoxiques) ou tératogènes (substances ou autres facteurs susceptibles de causer des anomalies congénitales, ndlr). Justement, « ça fait 38 ans que je parviens à ne pas être enceinte et je compte bien continuer », réplique l’amie de Celine_at_Paris. Face au pharmacien, elle tente de négocier, arguant qu’elle avorterait sans hésiter si cela devait arriver, mais en vain. Au téléphone, l’Agence régionale de santé (ARS) soutient le refus du professionnel de santé. Elle n’aura pas accès à ses médicaments sans être sous contraceptif.
Réglementés par l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM), certains traitements bien connus comme la Dépakine pour l’épilépsie, Roaccutane pour l’acné, des médicaments indiqués dans le traitement de cancers, de la sclérose en plaque ou d’un psoriasis grave, ne sont délivrés aux femmes que si elles peuvent prouver – et pas qu’une fois – qu’elles ne tomberont pas enceintes pendant le traitement. On appelle ces protocoles, les « programmes de prévention des grossesses ».
Les femmes, toujours celles qui trinquent
Cassandra fait partie de ces nombreuses adolescentes à qui l’on a vendu Roaccutane comme étant le Graal contre l’acné. Alors à 15 ans, elle était prête à sauter le pas. Mais à la pharmacie, c’est la douche froide. « Je n’avais encore eu aucun rapport sexuel, mais on m’a quand même forcée à prendre la pilule. On m’a aussi dit qu’il fallait que je fasse une prise de sang tous les mois pour prouver que je n’étais pas enceinte ».
Bien qu’il ne soit plus le traitement de référence aujourd’hui, Roaccutane figure en effet dans la liste des médicaments encadrés par un programme de prévention des grossesses, aux côtés des Contracné, Procuta et autre Curacné. Et pour cause : leur substance active, l’isotrétinoïne, entraîne « un syndrome malformatif dans environ 20% des cas », peut-on lire dans un document du Centre de Référence sur les Agents Tératogènes (CRAT). En clair, si une femme tombe enceinte pendant son traitement, il y a chances que son bébé souffre de malformations ou de troubles neurodéveloppementaux.
Pour l’ANSM, les programmes de prévention des grossesses n’ont qu’un objectif : protéger les femmes. Du côté du prescripteur et du pharmacien, des brochures et des guides sont mis à disposition afin d’ »assurer une information la plus claire possible pour permettre à la femme en lien avec son professionnel de santé d’avoir connaissance de l’ensemble des risques et de prendre une décision éclairée », comme nous le détaille par mail l’agence de sécurité sanitaire.
Mais du côté des femmes, ce n’est pas la même histoire. Il n’est plus seulement question d’information et de sensibilisation : c’est tout un protocole qui est mis en place pour l’empêcher de tomber enceinte pendant son traitement. L’ANSM parle alors de « conditions particulières de prescription et de délivrance ».
Ces conditions sont propres à chaque médicament, certaines moins souples que d’autres. Dans la majorité des cas, la femme devra signer un formulaire de soins où il est notamment expliqué qu’elle sera obligée de se faire poser un implant ou un stérilet. « Préférentiellement, la patiente doit utiliser 2 méthodes complémentaires de contraception, incluant une méthode locale« , peut-on lire dans la notice de Roaccutane. Et ce n’est pas tout. En plus de cette double contraception, elle devra aussi présenter des tests de grossesse négatifs chaque mois, mais aussi avant et plusieurs mois après la fin de son traitement. Une charge mentale de plus à assumer.
Et comme si ce n’était pas suffisant, cette « police » de la procréation demande aux pharmaciens d' »identifier les femmes n’offrant pas assez de garanties de sérieux vis-à-vis de leur capacité à éviter une grossesse », peut-on lire également. Une armada de règles strictes qui sous entendent que les femmes ne savent pas ce qu’elles font et peuvent mettre intentionnellement leur santé et celle d’un hypothétique foetus en danger.
Qui est réellement protégé par les programmes de prévention des grossesses ?
Selon Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, il ne faut pas nier les dégâts psychologiques que peut laisser derrière elle une grossesse qui se déroulerait mal. Pour cela, « diffuser une information fiable et complète » est primordial, estime-t-elle.
Menés à bien par les ARS, les programmes de prévention des grossesses peuvent être demandés aux laboratoires aussi bien au niveau national par l’ANSM, qu’au niveau européen, par l’Agence européenne des médicaments (EMA). « Ils représentent une partie des plans de gestion des risques encadrant certains médicaments, informe Vincent Daël, doctorant en droit de la santé à l’Université Paris Cité. La quasi totalité des laboratoires en déposent au niveau européen ».
Instaurés en 2005, ces plans de gestion des risques sont destinés à « renforcer les mesures de base qui encadrent le bon usage du médicament », précise Vidal.fr. Lorsque le programme de prévention grossesse n’est pas mis en place au moment de l’autorisation de mise sur le marché du médicament, il peut aussi être ajouté plus tard « au regard des nouvelles données de sécurité d’utilisation chez la femme enceinte issues de la littérature ou des déclarations de pharmacovigilance », détaille l’ANSM à Marie Claire.
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Ce qui n’est évidemment pas sans évoquer le scandale de la Dépakine, dont les retentissements ont dû « probablement » peser fortement dans la prise de décision de renforcer ces programmes de prévention des grossesses, estiment Carine Wolf-Thal et Vincent Daël.
En mai 2022, le laboratoire Sanofi a été condamné à verser la somme de 450 000 euros à une famille dont la fille est née avec une malformation. Il était reproché au laboratoire de n’avoir indiqué la tératogénicité du valproate de sodium (un médicament antiépileptique qui appartient à la famille des anticonvulsivants non barbituriques, ndlr) que des années après sa mise sur le marché.
Mais avant que le scandale Dépakine explose, des centaines de milliers d’enfants sont nés malformés, avec des troubles autistiques ou psychomoteurs. À l’époque, les laboratoires ne jugeaient – visiblement – pas nécessaire de prévenir les femmes que leur traitement à la Thalidomide (anti-nauséeux) ou au Distilbène (oestrogène de synthèse pour prévenir les fausses-couches) provoqueraient les mêmes effets que ceux de l’alcool ou du tabac sur leur futur enfant.
Pour la présidente de l’Ordre des pharmaciens, ces programmes de prévention des grossesses représentent une véritable avancée pour les femmes. « Cela a permis de renforcer la pharmacovigilance, de faire davantage d’études sur la fœtotoxicité. C’est aussi une façon de limiter la responsabilité de la femme si elle va au terme d’une grossesse à risque ».
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« C’est pour votre bien madame »
L’une des principales leçons à tirer des scandales évoqués est sans équivoque : le manque d’information des patientes peut causer des dommages irréversibles. Les pharmaciens ont donc désormais l’obligation d’informer les patient.es sur les effets indésirables de leurs traitements, comme il est précisé dans le Code de santé publique.
« Un pharmacien qui délivre un médicament sans informer peut être en danger pénalement », informe Vincent Daël. Si un enfant naît malformé, la femme pourrait l’attaquer pour mise en danger de la vie d’autrui. Il pourrait aussi être obligé de compenser les dommages subis et serait sanctionné par l’Ordre des pharmaciens, poursuit-il. « La femme pourrait aussi se retourner contre les laboratoires », ajoute Carine Wolf-Thal.
Mais alors, puisque ce sont des laboratoires, certains médecins et des pharmaciens qui ont fauté par le passé, pourquoi ce sont encore aux femmes à qui l’on demande de faire des efforts ? Pourquoi ne pas leur faire confiance lorsqu’elles assurent qu’elles ne tomberont pas enceinte ? La signature, par la femme, d’une décharge ne pourrait-elle pas suffire à dédouaner le pharmacien et le laboratoire en cas de grossesse à risque ?
« On signe des tas de papiers de consentement. Il y a toujours cette crainte que, malgré sa décharge, la femme ne soit pas assez bien informée. Symboliquement, ce serait comme décharger la responsabilité sur les patientes qui n’ont pas toujours tous les éléments pour prendre la juste décision. Mais la situation traumatisante, ce sont elles qui la subiront », argumente la présidente de l’Ordre des pharmaciens, qui martèle que la priorité des professionnel.les de santé est d’accompagner au mieux les patients.
Quant à l’hypothèse d’une déclaration sur l’honneur rédigée et signée par la femme, elle reste sceptique. « Je ne pense pas que cela puisse avoir de légitimité au niveau du droit ». Selon Aide-sociale.fr, une attestation sur l’honneur n’a en effet pas de valeur juridique.
Malgré tout, en imposant ce protocole, les institutions laissent à penser qu’il faut choisir pour les femmes ce qui est mieux pour leur santé. Ce qui n’est pas sans rappeler certains arguments des anti-avortements, qui brandissent sans vergogne la carte du préjudice moral infligé aux femmes pour justifier la nécessité d’interdire l’interruption volontaire de grossesse (IVG). « Vous avez raison, cela y ressemble. C’est un vrai débat », concède Carine Wolf-Thal.
« Je ne pense pas que l’objectif de ces programmes de prévention des grossesses aient été mis en place dans l’objectif de déposséder les femmes de leur choix. Mais en fin de compte, c’est vrai que l’on protège davantage l’enfant à naître que la femme », avoue le doctorant en droit.
Que peuvent faire les femmes ?
Qu’elles soient lesbiennes, abstinentes, trop jeunes, contre la prise d’hormones ou simplement contre l’idée que l’on puisse décider pour elles, les raisons de refuser une contraception sont multiples et propres à chaque femme.
Carine Wolf-Thal en est certaine : « Il y a sûrement des pharmaciens qui donnent le traitement malgré tout en leur disant ‘C’est à vos risques et périls’. Ces femmes peuvent aussi prétendre prendre leur contraception et ne pas la prendre en fin de compte. Libres à elles, car personne ne peut les attaquer ». En effet, depuis l’arrêt Perruche de 2000, le « préjudice d’être né » n’est plus reconnu par la loi. Un enfant né malformé ne peut pas porter plainte contre sa mère, même si elle connaissait les risques liés à sa grossesse.
Mais pour celles qui veulent rester dans les clous, Carine Wolf-Thal ne voit que peu de solutions. Elle pense que leur seul moyen d’être soignées sans passer par cette case relève du dialogue avec leur médecin. « Si elles ne discutent pas avec le prescripteur, elles se privent de connaître les autres alternatives (quand elles existent). Car le pharmacien ne pourra pas changer la prescription, ce n’est pas lui qu’il faut blâmer en cas de refus de délivrance d’un médicament ».
De son côté, Vincent Daël n’est pas plus optimiste. Selon lui, la seule issue pour ces femmes est de faire un retour à l’Ordre où elles expliquent leur requête, ou de contacter des associations de malades. « C’est un débat qui devrait effectivement avoir lieu entre les associations de patients et les laboratoires », renchérit Carine Wolf-Thal.
Et c’est la conclusion aussi rendue par l’ANSM : « Dans le cadre du dialogue singulier avec son professionnel de santé, la femme peut obtenir des informations sur le médicament, ses bénéfices et ses risques, les alternatives existantes, mises au regard de sa situation et de son état de santé, afin de prendre les décisions les plus éclairées dans le choix d’un traitement ou non ». Encore faut-il que la prise du traitement lourd – et parfois vital – puisse encore relever d’un choix.
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