Dans Inceste : le dire et l’entendre, le film manifeste d’Andrea Rawlins-Gaston diffusé sur France 3 le lundi 26 septembre, Loubna Méliane a évoqué l’enfer imposé par son père, de ses 8 à 17 ans. Elle raconte pourquoi elle a choisi de témoigner.

Aviez-vous déjà parlé publiquement de l’inceste que vous aviez subi enfant ?

LOUBNA MÉLIANE :J’en ai parlé pour la première fois le 1er décembre 2012, à mon compagnon. Quelques jours auparavant, France 2 diffusait Viol : elles se manifestent, un documentaire d’Andrea Rawlins-Gaston qui m’avait vraiment retournée. C’est grâce aux témoignages de ces femmes que j’ai compris ce qui m’était arrivé. Plus tard, j’ai écrit quelques tweets sous le hashtag #MeTooInceste.

Vous aviez 8 ans quand tout a commencé. Comment décririez-vous votre vie familiale à l’époque ?

J’avais 6 ans quand ma mère est morte. Après deux années au Maroc, auprès de ma grand-mère, je venais de rentrer en France avec mon petit frère pour habiter avec mon géniteur dans son petit studio, à Dijon.

Vous avez un souvenir très précis de la première fois où votre géniteur vous agresse.

C’est un viol. Il n’y a pas eu pénétration, car il voulait préserver ma virginité pour pouvoir me marier plus tard. Une nuit, je l’ai réveillé parce que j’avais fait pipi au lit. J’étais perturbée par la mort de ma mère. Il m’a lavée et ensuite portée sur la table de la cuisine. Je suis nue, j’ai froid, il a sa tête entre mes jambes, c’est ce qui se passe.

En parlez-vous à quelqu’un ?

Je me dis «c’est mon papa, il est là pour me protéger». Et ma belle-mère, quand elle s’installera avec nous, sera très brutale et malveillante. Je n’ai que lui.

Vous dites qu’un déclic se produit à l’adolescence ?

Oui, car ma propre sexualité commence à s’épanouir. Je comprends que ce qu’il m’impose est anormal. Mais lui rejette toute la culpabilité sur moi. Il me dit en pleurant : «Tu ressembles tellement à ta mère.» C’est si pervers de dire ça à une petite fille qui fantasme complètement la mère qu’elle a perdue.

Vous a-t-il isolée du monde ?

Ah oui. Je faisais maison-école-maison, je m’occupais de mon frère et de mes petites sœurs, je faisais le ménage, mes devoirs… C’est tout. Pas d’activités sportives, pas de copines à la maison.

L’école, de vos 8 à vos 17 ans, n’a fait aucun signalement ?

Si, une fois, pour suspicion de maltraitance, à cause des coups de ma belle-mère. Mais personne n’a creusé plus loin. J’étais une élève qui ne faisait pas de vagues, j’étais en sécurité à l’école, je pleurais quand les vacances arrivaient.

C’est finalement vous qui allez vous sauver la vie…

À 17 ans, je me retrouve à l’hôpital après un énième coup de ma belle-mère. C’est le déclic. Je demande au proviseur du lycée, qui est à cinq kilomètres de la maison, de me prendre en interne. Mon géniteur a laissé faire, probablement parce que je devenais trop vieille pour lui.

Il a été condamné en 2018 à quatre ans de prison pour agression sexuelle*. Que vous a apporté ce verdict ?

Le soulagement d’être crue par la justice. Mais pas l’apaisement. J’ai toujours des crises d’urticaire, des moments où il ne faut pas me toucher. Cet homme a cassé quelque chose en moi qui ne se réparera pas.

Que préconisez-vous quand on estime à un sur dix le nombre de Français victimes d’inceste** ?

Je suis maman de deux petites filles, et la première chose que je leur ai apprise, c’est que leur corps leur appartenait. Mais j’aimerais que l’école en prenne sa part et parle d’intégrité physique aux enfants, dès le plus jeune âge. Il faudrait aussi former les enseignants à reconnaître des symptômes de maltraitance, et leur donner les moyens de faire ce suivi.

*Il est en fuite au Maroc et n’a pas exécuté sa peine.

**Ipsos 2020.

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