- Monstre – L’histoire de Jeffrey Dahmer, série en dix épisodes, est disponible sur Netflix.
- Plusieurs proches de victimes du tueur en série ont déploré la mise en ligne de cette série, affirmant qu’elle ravive leurs traumatismes. D’autres personnes, non concernées par l’affaire, estiment sur les réseaux sociaux que le projet est sensationnaliste.
- « C’est une histoire différente de celles qui ont été déjà racontées. Certes, il est question de Dahmer, mais aussi des victimes et de la communauté, a expliqué le producteur Rashad Robinson dans une vidéo. Ce n’est pas une affaire de loup solitaire contrairement à ce qui est raconté à chaque fois. »
Elle était ce week-end la série la plus visionnée sur Netflix, en tête du top 10 dans plus de 70 pays. Ce lundi, Monstre – L’histoire de Jeffrey Dahmer est toujours numéro 1. Pourtant, sa mise en ligne s’est faite en catimini, mercredi dernier, sans grand effet d’annonce ni zèle publicitaire. Etonnant, étant donné que l’un des co-créateurs de la série n’est autre que Ryan Murphy, l’un des showrunners les plus puissants, lié avec la plateforme par un contrat à 300 millions de dollars.
Cette visibilité réduite n’a donc pas empêché les dix épisodes de trouver leur (large) public. Ce n’est pas tout à fait une surprise car les contenus liés aux true crimes, aux faits divers, font régulièrement les belles audiences de Netflix. Et puis, Jeffrey Dahmer est l’un des tueurs en série les plus tristement célèbres des Etats-Unis.
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Entre 1978 et 1991, il a tué dix-sept jeunes hommes et adolescents. Les détails provoquent l’écœurement. Il a drogué plusieurs de ses victimes qu’il envisageait de transformer en « zombis ». Il finissait par les tuer, puis les démembrait. Il menait aussi des « expériences » en dissolvant les chairs avec de l’acide, et son entreprise criminelle comportait aussi des viols et des actes de cannibalisme. Sordide.
Evan Peters, glaçant
Le spectateur qui se décide à lancer le visionnage est-il mû par un voyeurisme macabre ? Peut-être. Le premier épisode est d’une noirceur glaçante. Contrairement aux autres séries de Ryan Murphy, y compris The Assassination of Gianni Versace retraçant l’odyssée criminelle d’Andrew Cunanan, aucune séquence clinquante, camp, ou humoristique ne vient désamorcer la tension. Evan Peters, dans le rôle-titre, est glaçant. Il livre ce que l’on appelle une performance.
« On est tentés d’essayer de comprendre et de savoir définitivement pourquoi quelqu’un comme Jeffrey Dahmer est ce qu’il est. Ou l’était. On ne connaîtra jamais la raison de ses actes. C’est une vérité désagréable, mais il faut l’accepter », déclare un personnage de juge dans un des derniers épisodes. La série nous dit ainsi explicitement qu’elle ne peut prétendre à expliquer pourquoi le tueur a agi ainsi.
La colère des proches des victimes
Était-il bien nécessaire, alors, de replonger, à travers la fiction, dans l’horreur de cette affaire qui a déjà été racontée dans une profusion d’articles, d’ouvrages et de documentaires ? Non répondent les proches des victimes. « Ma famille est en colère contre cette série. Cela fait revivre le traumatisme encore et encore, et pour quoi ? », s’est indigné sur Twitter Eric, le cousin d’Errol Lindsey, assassiné en avril 1991. « Cela ravive un certain traumatisme pour la communauté LGBT de Milwaukee [dans le Wisconsin, où Jeffrey Dahmer a commis la majorité de ses crimes] », a confié à la Fox Scott Gunkel, qui travaillait dans un bar gay de la ville à l’époque.
Des reproches qu’il faut entendre et que la série semble anticiper lorsqu’elle évoque la manière dont le tueur en série a été glamourisé par la pop culture : il était devenu « un costume d’Halloween », apparaissait sur des cartes de Noël humoristiques, était le héros d’une série de bandes dessinées telles que Dahmer contre Jésus. Hollywood a aussi un temps envisagé de porter à l’écran l’histoire à travers le livre écrit par le père de Jeffrey Dahmer…
Le tournant de l’épisode 6
« Ce n’est pas une histoire d’Halloween, c’est ma vie ! », s’écrie Glenda Cleveland, la voisine de Jeffrey Dahmer – campée à merveille par Niecy Nash –, quand ses proches lui parlent d’essayer de retrouver une existence paisible une fois le criminel derrière les barreaux.
« Ce n’est pas une histoire d’Halloween, ce sont des vies brisées », pourrait être la note d’intention de la série. A mi-parcours, le scénario, délaisse le criminel pour se focaliser sur ses victimes et leurs proches. L’émouvant épisode 6 est ainsi consacré à Tony Hugues, un jeune trentenaire sourd et muet, montré comme un être solaire et plein d’amour, dont la fin fut tragique. Un peu plus tard, c’est le traumatisme de la famille Sinthasomphone qui est ausculté. L’un de leur fils, Konerak, a été tué à l’âge de 14 ans par Dahmer alors qu’il avait réussi à s’enfuir. Deux policiers l’ont retrouvé dans la rue, dévêtu, la tête en sang, visiblement sous substance. Malgré les protestations de Glenda Cleveland, ils ont préféré croire le vingtenaire blanc qui leur expliquait qu’il s’agissait de son petit ami, qu’il avait bu, qu’ils s’étaient disputés. Les forces de l’ordre n’ont pas cherché à en savoir plus et ont livré l’adolescent au prédateur avant de tourner les talons.
« Plus j’en ai appris sur l’affaire et plus j’ai réalisé qu’il s’agissait de davantage qu’un spectacle d’horreur. C’est une métaphore des maux qui affligent la nation », déclare, dans l’épisode 7, le révérend Jesse Jackson, figure de la lutte pour les droits civiques. La majorité des victimes de Dahmer étaient des hommes racisés, issus de milieux défavorisés, qu’il attirait chez lui avec la promesse de leur verser 50 dollars en échange de photos. Jesse Jackson pointe du doigt « la mauvaise police, la communauté mal desservie, la faible valeur accordée aux jeunes hommes de couleur, surtout s’ils sont gays. Les gens de couleur n’ont toujours pas de voix et, quand on parle, on est trop souvent ignorés. »
« Vous croyez davantage un blanc qui a un casier qu’un noir qui n’en a pas »
Sur ces aspects, le scénario est édifiant, il rappelle les nombreuses fois où la police aurait pu arrêter Jeffrey Dahmer, mais qu’elle ne l’a pas fait. Par exemple, le fait que Ronald Flowers ait été retrouvé drogué dans un champ au lendemain de sa rencontre avec le criminel n’a pas débouché sur une investigation approfondie. « Si je comprends bien, vous croyez davantage un blanc qui a un casier qu’un noir qui n’en a pas », s’agace le jeune homme face à un policier.
« C’est une histoire de profonde injustice systémique, de personnes qui ont été meurtries et que la société a lâchées de plusieurs manières, explique Rashad Robinson, producteur de la série et président de Color of Change. » Dans une vidéo utilisée pour la promotion du programme, il plaide en faveur des bonnes intentions de la série : « C’est une histoire différente de celles qui ont été déjà racontées. Certes, il est question de Dahmer, mais aussi des victimes et de la communauté. Et de l’effroyable impact qu’ont eu, non seulement les actes dont Dahmer a été capable, mais aussi la façon dont ont été complices la police, qui a le leadership à Milwaukee, les médias et beaucoup d’autres dans la société. Ce n’est pas une affaire de loup solitaire contrairement à ce qui est raconté à chaque fois. »
Glenda Cleveland, héroïne
Les récits de l’affaire ont généralement tendance à occulter le rôle de Glenda Cleveland. Vivant dans un immeuble voisin de celui de Jeffrey Dahmer, elle a appelé, à plusieurs reprises, les policiers pour leur dire ses inquiétudes quant au sort de Konerak Sinthasomphone. En vain.
La série lui redonne toute sa place. Elle y est montrée comme vivant dans l’appartement jouxtant celui du meurtrier, entendant les cris et sentant les odeurs pestilentielles émanant du logement attenant. Selon, le Milwaukee Sentinel, elle serait amalgamée, pour les besoins de la fiction, à Pamela Bass, la véritable voisine directe de Dahmer. « Elle incarne la manière dont on ne traite pas comme tels les gens qui devraient être les protagonistes de l’histoire, en conséquence de quoi nous prenons les mauvaises décisions en ne prêtant pas attention aux personnes que l’on devrait écouter », estime Rashad Robinson.
Ce n’est donc pas un hasard si Glenda Cleveland est le premier personnage à apparaître dans l’épisode 1 et si l’ultime épisode s’achève sur son départ. Sa dignité, sa force d’indignation et le refus de rester impassible face à l’horreur triomphent. C’est elle, l’héroïne que célèbre la série.
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