Le 10 mai 1968, alors que des barricades se dressent dans Paris, stars et starlettes se pressent au 21e Festival de Cannes. Mais le vent de la contestation rattrape bientôt la Croisette. Un petit groupe de cinéastes, Jean-Luc Godard en tête, va bientôt débouler au festival et forcer son arrêt.

Le cinéma était sous tension depuis l’affaire Langlois à la Cinémathèque

« Les manifestations estudiantines et ouvrières en France avaient, depuis plusieurs jours, créé un malaise chez les cinéastes et critiques du festival qui, disaient-ils, offraient aux étrangers une image fausse de la France par ses réceptions mondaines et son insouciance », écrit l’envoyé spécial de l’AFP le 18 mai 1968. La veille, se sont ouverts à Paris de bouillonnants États généraux du cinéma français avec pour but de « transformer le système » qui avait abouti à un cinéma hexagonal « coupé de toute réalité sociale et politique », résument alors les Cahiers du cinéma, auxquels Godard collabora un temps.

Trois mois plus tôt, en février, un comité de défense de la Cinémathèque française a été créé pour soutenir son fondateur Henri Langlois limogé par le ministre de la Culture André Malraux. C’est donc déjà échauffés par ces mobilisations que Jean-Luc Godard et ses amis contestataires vont mener leur action cannoise. Le 17 mai au soir, est décidé la grève des ouvriers du film et l’envoi sur la Croisette d’une motion appelant tous les professionnels concernés à « s’opposer à la continuation » du Festival.

Dépêchés à Cannes, Jean-Luc Godard, François Truffaut et Claude Lelouch – dont deux films sont en compétition – vont « créer le choc » qui permettra ce coup d’arrêt, écrit à l’époque l’AFP.

Godard aux récalcitrants à la fronde : « Vous êtes des cons ! »

« Nous devons démolir les structures de Cannes », lance Godard lors d’une réunion publique le 18 mai. Face aux récalcitrants, il s’écrie : « Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers et vous me parlez travelling et gros plan ! Vous êtes des cons ! ». Truffaut renchérit, Lelouch propose que les films programmés soient « transportés à Paris afin d’y être projetés gratuitement ». Circonspect, le réalisateur polonais Roman Polanski juge, lui, « enfantin » d’occuper la grande salle du Palais, comme le sont l’Odéon ou la Sorbonne à Paris.

Il s’ensuit un beau « chaos » relaté en direct par l’AFP. On investit la grande salle où doit être projeté le film de l’Espagnol Carlos Saura Peppermint frappé. On s’invective, on se bouscule, Godard s’accroche aux rideaux rouges pour empêcher la séance de débuter. Tout s’enchaîne. Après Louis Malle, l’Italienne Monica Vitti, l’Anglais Terence Young et Polanski démissionnent du jury, qui « se saborde », écrit l’AFP. Des cinéastes étrangers (Saura, Milos Forman, Richard Lester…) retirent leurs films, comme tous les Français programmés, Alain Resnais, Dominique Delouche et Claude Lelouch.

Délégué général du festival, Robert Favre Le Bret assure que « Cannes n’est ni bourgeois, ni prolétaire », et en appelle à ce qu’il « reste ce qu’il est, le plus important des rendez-vous annuels du monde du cinéma ». Mais le 19 mai à midi, il s’incline et proclame « la clôture définitive du festival ». Traité de « saboteur » par une partie de la presse, Jean-Luc Godard est fêté en héros par ses amis à son retour à Paris. Il utilisera des images de Mai 68 dans plusieurs petits films.

De cette époque, Anne Wiazemsky, qui l’épousa en 1967 et joua la jeune révolutionnaire de son film La chinoise (1967), tirera un roman autobiographique (Un an après), adapté en un film volontiers piquant à l’égard du réalisateur (Le Redoutable) par Michel Hazanavicius en 2017. Elle y dit son grand regret de n’avoir pas été présente lors de l’épisode cannois.

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