Originaire de Clichy-sous-Bois où il est né le 16 mai 1982, Mathias Lévy a mis la musique au centre de sa vie dès son adolescence ébranlée par un deuil. Après une formation classique et un détour par le rock, il a trouvé sa voie dans le jazz.

Remarqué pour ses hommages discographiques au violoniste Stéphane Grappelli (Revisiting Grappelli, 2017) et au compositeur hongrois Béla Bartók (Bartok Impressions, 2018), le musicien trentenaire à l’univers aussi singulier que sensible a lancé à la fin de l’été son quatrième album, Uni vers (Harmonia Mundi/Pias). À la tête du trio qui a fait merveille sur le projet Grappelli – le guitariste Sébastien Giniaux et le contrebassiste Jean-Philippe Viret (qui joua autrefois avec Grappelli) -, Mathias Lévy propose ses propres compositions et deux morceaux signés par ses complices. Un très beau programme qui met en avant la force des mélodies, le contrepoint, la polyrythmie.

Le violon de Stéphane Grappelli

Mardi 17 décembre à la Philharmonie de Paris, côté Cité de la Musique, le trio proposera ce nouveau répertoire avec deux invités présents sur le disque : le violoncelliste Vincent Ségal et l’accordéoniste Vincent Peirani. Mathias Lévy jouera avec le violon « Hel » de Stéphane Grappelli que le Musée de la Musique lui prête à chaque fois qu’il joue dans ce temple musical.

Vidéo teaser de l’album « Uni Vers »
Franceinfo Culture : À quand remonte votre premier contact avec la musique ?
Mathias Lévy : Ma mère était comédienne et jouait de différents instruments. C’est elle qui m’a initié à la musique et à l’art en général. Je suis allé à beaucoup de spectacles, j’ai commencé le piano et le violon très tôt.

Est-ce vous qui avez choisi ces instruments ?
Les raisons remontent à loin : mon grand-père voulait faire du piano, or on lui avait fait étudier le violon. Du coup, il a fait faire du piano à ma mère qui voulait faire du violon… Alors moi, j’ai fait les deux ! C’était décidé avant ma naissance ! Il se trouve que je me suis pris au jeu. J’étais doué, j’aimais l’être et j’adorais jouer. Évidemment, comme pour tous les gamins, le travail quotidien m’ennuyait mais je me souviens avoir ressenti assez rapidement le plaisir de jouer, de me produire en public, avec d’autres enfants. Quand je faisais des stages de musique classique, il m’arrivait de rester à la récré pour travailler…

Votre formation de base est classique. À quel moment avez-vous découvert d’autres musiques ?
Vers l’âge de 11 ans, j’ai eu des modèles un peu plus âgés, des cousins éloignés, qui faisaient de la guitare, du blues, du rock… J’ai eu envie de leur ressembler ! J’ai commencé à apprendre la guitare en autodidacte. Assez rapidement, j’y ai consacré de plus en plus de temps, j’ai monté mon premier groupe en 5e, vers 12-13 ans. On jouait à la Fête de la Musique, aux concerts dans la cour du collège… C’est devenu quelque chose de primordial dans ma vie car c’est le moment où, à 13 ans, j’ai perdu ma mère et j’ai commencé à décrocher à l’école. J’ai recruté des camarades de ma classe de musique pour former mon premier groupe de rock. Ensuite j’ai fait deux tentatives de 2nde au lycée, mais c’était fini, je n’y allais plus.

Comment le jazz est-il entré dans votre vie ?
J’ai connu au lycée un nouveau cercle de musiciens qui m’a ouvert sur le jazz et avec lequel j’ai aussi joué du reggae, du hip-hop, j’ai chanté dans la rue… Par la guitare, j’ai découvert le jazz manouche, puis au gré des rencontres, le jazz plus largement, la musique contemporaine, l’improvisation. J’ai joué dan un groupe, Caravan Quartet, qui faisait du jazz manouche – c’était très en vogue au début des années 2000 – avec des compositions originales et de l’improvisation libre. Ça a plutôt bien marché : on a joué dans des théâtres, dans de grandes salles à Genève, on a enregistré à Cuba un disque produit par un mécène suisse qui voulait faire de la fusion avec des musiciens cubains extraordinaires… Ça se passait vers 2005 et on a été nommé aux Grammy Awards cubains ! Ça a été le début de la vraie professionnalisation.

Mathias Levy joue « Nuages » (Django Reinhardt) sur le violon de Stéphane Grappelli – qui fut le complice musical de Django -à l’auditorium du Musée de la Musique (2018)
Comment a démarré votre carrière de jazzman professionnel en leader ?
J’ai produit un premier disque en quintet [ndlr : en 2007], 
Âme & Ouïe – qui n’a pas été édité – avec Vincent Peirani à l’accordéon, Samuel Strouk à la guitare… Il faudrait que je le mette sur les plateformes un jour ! À l’époque, je n’étais pas préparé car je ne m’étais jamais occupé de savoir comment ça marchait. Depuis mes 15 ans j’errais dans cet univers avec un peu d’insouciance et une certaine confiance en mon talent. Mais une fois que vous devenez porteur du projet, tout est différent. J’ai proposé l’album à une maison de disques qui n’en a pas voulu. Ça m’a tellement blasé que je n’ai pas cherché plus loin ! Je ne savais pas comment m’y prendre, c’est tout un apprentissage d’aller taper aux portes. On a fait deux dates au Duc des Lombards, quelques petits concerts…

Le deuxième projet a été Playtime en 2013, sur le label JMS du producteur Jean-Marie Salhani qui avait travaillé avec Didier Lockwood. J’ai pensé : « C’est bon, ça va le faire ! » [il rit] En fait c’est passé un peu inaperçu, il n’y avait pas d’attaché de presse, pas d’équipe pour faire tourner ce projet. On a pu passer sur France Musique mais on a fait très peu de concerts. Si j’ai étudié la musique de manière sérieuse dans ma jeunesse, je suis quand même autodidacte. Je reconnais que mes deux premiers albums étaient empreints de tout cet apprentissage par lequel je passais. Le jazz a représenté un très gros apprentissage pour moi qui avais cette expérience mi-classique, mi-rock, mi-chanteur de rue. Malgré une allergie aux institutions, j’ai étudié à l’école de Didier Lockwood où je donne des cours aujourd’hui. Il m’a appris plein de choses notamment sur la question du placement rythmique, essentiel pour le jazz. J’y allais un peu en free-lance, je venais quand je voulais et les écoles n’aiment pas ça ! J’ai travaillé aussi avec les frères Belmondo [ndlr : le saxophoniste Lionel et le trompettiste Stéphane Belmondo] à l’école de jazz IACP.

Mathias Lévy a glissé « Wish you were here » (Gilmour/Waters) de Pink Floyd dans l’album « Revisiting Grappelli », ce dernier ayant joué en 1975 sur une version de la chanson restée longtemps inédite
Comment est né votre trio avec Jean-Philippe Viret et Sébastien Giniaux ?
Après l’album de 2013, j’ai pris des décisions. Je me suis formé au Studio des Variétés pour apprendre le métier du côté technique, la conception d’un projet musical. J’ai pris du recul par rapport à ma relation au jazz, à la musique, à qui je pouvais être, à ce que j’avais à proposer. Cela a abouti à Revisiting Grappelli qui marquait un retour vers quelque chose de fondateur : le jazz manouche qui représente l’adolescence, ma découverte du jazz, la possibilité d’utiliser l’instrument de manière acoustique. J’ai pu mettre sur pied un projet bien pensé. Paradoxalement, avec ce répertoire, j’ai développé un truc esthétiquement beaucoup plus personnel. J’avais formé un trio très soudé avec le guitariste Sébastien Giniaux que je connaissais depuis l’époque manouche et le contrebassiste Jean-Philippe Viret que j’avais connu à un moment où je travaillais pour le théâtre. Je savais qu’il avait joué avec Stéphane Grappelli. Au début, j’ai invité Jean-Philippe à assurer la direction musicale. Il m’a poussé à aller loin dans l’orientation que j’avais prise, et finalement, comme une évidence, il a pris le poste de bassiste au sein du trio.

Les deux disques qui suivent, Bartok Impressions [2018] avec le contrebassiste Matyas Szandai et Uni Vers, s’inscrivent dans ce processus pour trouver mon expression. J’ai écouté des podcasts sur Claude Nougaro qui expliquait ses axes d’inspiration : le bel canto de son père chanteur d’opéra, le rythme africain du jazz, le cinéma. Je me suis reconnu dans cette volonté de faire cohabiter le lyrisme du violon de mon enfance – celui d’Itzhak Perlman et tout ce qui m’a fait vibrer – et le rythme que j’ai découvert dans le rock, puis le jazz, la liberté, l’imaginaire, la recherche d’espaces… C’est ce que j’essaye de creuser sur ces trois derniers albums.

Mathias Lévy, Matyas Szandai (basse), Miklós Lukács (cymbalum) : « Bartok Impressions » au Triton (14 décembre 2018)
Le titre du nouvel album, Uni Vers, est-il un hommage à l’esprit de groupe ?
Depuis que j’ai douze ans, ce qui me motive le plus, c’est de former des groupes, me faire des copains, finalement ! [il rit] Plus sérieusement, c’est ce mélange entre « me faire des copains » et créer une entité à plusieurs, avec un son reconnaissable. Je trouve ça magique. On trouve cela dans la musique de chambre et très fortement dans le jazz. A Priori, dans le jazz, deux gars qui jouent du même instrument n’auront pas le même son, pas la même intonation, pas le même phrasé. Je suis fasciné par l’idée que chaque groupe de jazz puisse avoir un son très unique. Ce son se forme aussi avec la confiance qu’on peut acquérir les uns dans les autres, pour qu’il n’y ait pas de bagarre d’ego mais une vraie synergie se forme.

Qu’est-ce que cela fait de jouer avec le violon de Grappelli ?
Je n’y ai droit que pour l’enregistrement des disques et les concerts à la Philharmonie, car il ne peut pas en sortir. C’est un violon monstrueux ! Il a un son très direct, qui sort vite et part loin, parfait pour le jazz. Un violon très souriant, solaire, charmant, ce qui n’est pas ma nature car j’ai fondamentalement quelque chose de plus sombre, de plus brut, dans mon jeu. Mais j’adore ça, ça me fascine tellement c’est différent !

Mathias Lévy en concert Uni Vers
> Mardi 17 décembre 2019, Cité de la Musique de la Philharmonie de Paris, 20H30
(Avec les invités du disque Vincent Ségal au violoncelle, Vincent Peirani à l’accordéon)
> L’agenda-concert de Mathias Lévy

Mathias Lévy : violon, composition
Jean-Philippe Viret : contrebasse
Sébastien Giniaux : guitare, violoncelle
Vincent Ségal : violoncelle
Vincent Peirani : accordéon

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