C’est une affaire que la majorité des Français connait presque par cœur : l’assassinat de Grégory Villemin. Une affaire judiciaire controversée que Me Marie-Christine Chastant-Morand a vécue de près. Pour Gala.fr, l’avocate des parents du petit Grégory a partagé quelques souvenirs de cette enquête.

Marie-Christine Chastant-Morand est un personnage phare de l’affaire Grégory Villemin. Pour cause, encore à ce jour, cette dernière représente les parents du jeune garçon, assassiné le 16 octobre 1984. Pour Gala.fr, la femme de loi spécialisée dans le droit pénal a accepté de revenir sur cette affaire mais également sur l’impact que cela a eu dans sa vie. Rencontre.

Gala.fr : Pouvez-vous, en quelques mots, rappeler à nos lecteurs ce qu’est l’affaire Grégory ?

Marie-Christine Chastant-Morand : Résumer en quelques mots une affaire de quarante ans c’est un peu compliqué mais si je devais résumer, je dirais que tout part lorsque le petit Grégory Villemin qui était un enfant de 4 ans et demi, a été assassiné le 16 octobre 1984. On l’a retrouvé mort dans la Vologne avec le corps lié par des cordelettes. À partir de là, il y a eu plusieurs inculpés : il y a d’abord eu Bernard Laroche qui a été mis en détention. Il a ensuite été libéré par le juge Lambert, le juge d’instruction de l’époque, contre la décision du procureur de la République d’Épinal. Ensuite, dans la mesure où les investigations ciblaient la mère de l’enfant – qui adorait son enfant -, Jean-Marie Villemin qui, se disait que la justice faisait fausse route, a craqué et a tué son cousin Bernard Laroche après sa libération. Deuxième drame de ce dossier. Christine Villemin a été inculpée le 5 juillet 1985. Mise en détention alors qu’elle était enceinte de son second enfant, mais n’a été incarcérée que 11 jours puisque nous avons rapidement déposé une demande de liberté qui a été validée par la chambre de l’instruction en appel, le 16 juillet 1985. Christine Villemin, à l’issue d’une longue instruction, a bénéficié d’un non-lieu pour absence de charges. À ce jour, l’assassinat de Grégory Villemin n’a pas été encore élucidé.

Gala.fr : Vous avez représenté les parents Villemin : comment avez-vous été approchée par ces derniers ?

Marie-Christine Chastant-Morand : C’est assez simple ! C’était en 1984 que Christine et Jean-Marie Villemin ont choisi comme avocat pour se constituer partie civile, Maître Henri-René Garaud. Moi j’étais sa jeune associée -, c’était également mon beau-père d’ailleurs – et c’est ainsi qu’il m’a fait entrer dans l’affaire pas en 1984, mais aux alentours de mars 1985, au moment où Jean-Marie Villemin a tué Bernard Laroche. Le premier acte auquel j’ai participé dans cette affaire, c’était l’interrogatoire de Jean-Marie Villemin chez le juge Lambert. C’est là où j’entre dans l’affaire.

Gala.fr : Êtes-vous encore en contact avec eux ?

Marie-Christine Chastant-Morand : Oui, évidemment.

Gala.fr : L’affaire est-elle encore ouverte ?

Marie-Christine Chastant-Morand : Il avait été entendu que Jean-Marie Villemin ne pouvait être jugé qu’une fois que l’affaire du dossier Grégory serait terminée. Finalement, il y a eu donc un arrêt de non-lieu pour absence de charges contre Christine Villemin et le dossier s’est arrêté là. Ensuite, Jean-Marie Villemin a été jugé par la cour d’assises pour la mort de Bernard Laroche. Courant 2000 je crois, Jean-Marie et Christine Villemin qui veulent absolument savoir ce qu’il s’est passé avaient entendu parler des expertises ADN. Il est clair qu’à l’époque, le magistrat chargé du supplément d’info avait diligenté toutes les investigations possibles. Il n’y avait pas encore ces études d’ADN. Donc nous avons demandé en 2000 une réouverture du dossier qui avait été acceptée pour analyser le timbre d’une lettre du corbeau. Ça n’avait rien donné donc le dossier a encore été fermé. Puis, quelques années plus tard, nous avons demandé une nouvelle réouverture car on avait appris que la science de l’ADN avait prodigieusement évolué et le procureur général de Dijon avait fait une étude de faisabilité pour savoir si on avait des chances de faire parler l’ADN (À savoir les vêtements, les cordelettes, les lettres et la seringue retrouvée sur les bords de la Vologne). Il y a eu donc une seconde réouverture et cette même réouverture est toujours en cours. Ce qui veut dire que l’affaire Villemin est toujours en cours.

Gala.fr : Comment avez-vous été rémunérée lors de cette affaire ?

Marie-Christine Chastant-Morand : C’est extrêmement compliqué et je ne parle pas seulement des honoraires des avocats, il y avait aussi des frais de justice. Maintenant, les parties peuvent avoir les copies de la procédure, c’est gratuit, c’était le cas à l’époque pour les inculpés, mais pas pour les parties civiles. Au début, Jean-Marie et Christine Villemin étaient partie civile parce qu’on avait tué leur enfant. Il a fallu assumer le coût de deux gros dossiers criminels puisqu’ils ont été tous les deux inculpés. Sans compter le prix des concours scientifiques, il a été nécessaire aux Villemin de faire appel à des experts, parfois aux honoraires parfois coûteux. Ensuite, ils ont dû faire face à des procédures mais ont dû aussi en engager – pour diffamation, droit à l’image etc. -. Qui dit procédures civiles, au-delà des procédures pénales, dit huissiers, avoués à l’époque, parfois avocats à la cour de cassation… Donc des frais supplémentaires. On s’est retrouvé face à cette problématique. La première chose qui a été faite, c’était la création d’un comité de soutien qui a donné un peu. Ensuite, il y a eu des arrangements en parallèle des procédures. Il y a eu des contrats avec des médias pour des photos. Concernant le couple Villemin, une transaction est intervenue avec Paris Match au moment de la naissance de leur second enfant. Il faut reconnaître qu’ils étaient dans une situation dramatique : Jean-Marie était incarcéré, Christine ne travaillait plus. L’argent ne rentrait plus et les frais s’accumulaient. Nous concernant, il y a eu des honoraires, évidemment, mais le travail était quand même conséquent. On travaillait surtout pour le côté humain parce que ce petit garçon, à 4 ans et demi, n’avait fait de mal à personne mais surtout contre l’erreur judiciaire. Il n’y a rien de pire que l’erreur judiciaire et on a agi au mieux.

Gala.fr : Comment avez-vous vécu tout l’engouement médiatique ?

Marie-Christine Chastant-Morand : C’était dramatique ! Je me souviens d’un jour où j’étais dans les embouteillages parisiens, je passe devant les vendeurs de journaux et à la Une il avait plein d’articles sur l’affaire. Tous les jours il se passait quelque chose ! La presse a fort heureusement reconnu ses erreurs, a fait amende honorable mais les journalistes traquaient les déplacements de Christine quand elle visitait Jean-Marie en prison. Ils étaient également au cimetière avant l’incarcération de Jean-Marie : on est même allé jusqu’à voler la photographie de Grégory de sa tombe… Il y a eu des choses véritablement sordides. Après c’est vrai que les Français ont grandi avec l’affaire, moi je croise souvent des gens qui me disent qu’ils ont grandi avec elle. Et il faut aussi rappeler qu’il y avait des clans : les pro-Laroche et les pro-Villemin. Mais ils n’étaient pas équilibrés en nombre et en informations, certains vraisemblablement avaient plus d’informations que les autres. Mais globalement, l’engouement médiatique ne nous a pas facilité la tâche, c’est sûr !

Gala.fr : Avez-vous été sollicité par des inconnus à l’époque des faits ?

Marie-Christine Chastant-Morand : On a reçu des tas de lettres, des appels téléphoniques. Il y a toujours des gens qui nous écrivent, évidemment il y en a moins maintenant mais il y avait des lettres dans tous les sens. Le palais d’Épinal et la cour d’appel de Dijon en recevaient aussi. Il y a des cartons de lettres, écrites parfois par des gens qui ne sont pas bien informés, qui croient dans l’occulte… Vous avez de tout !

Gala.fr : Même des lettres de menaces ?

Marie-Christine Chastant-Morand : Il y en a eu aussi oui, bien sûr ! Je n’ai pas de menaces précises en tête, mais il y en a eu.

Gala.fr : Vous n’avez pas eu peur pour votre sécurité suite à toutes ses menaces ?

Marie-Christine Chastant-Morand : Non, je ne me suis pas sentie particulièrement menacée. Les gens écrivaient à tort et à travers…

Gala.fr : Votre famille a-t-elle été impactée par l’affaire ?

Marie-Christine Chastant-Morand : Ma vie de famille… non. En réalité, en tant qu’avocats on avait l’impression d’être dans une bonne et grande cause judiciaire.

Gala.fr : Ce n’était pas déroutant à l’époque de devoir faire face constamment à tant de rebondissements ?

Marie-Christine Chastant-Morand : Évidemment, surtout que l’affaire était lourde. C’était une affaire chronophage rythmée en parallèle par tout le côté médiatique – qui n’arrangeait rien -. Ce qui me contrariait aussi, c’était de lire des journaux différents, hebdomadaires ou encore radios, et de voir que le fond était le même car en réalité, il y avait des journalistes qui écrivaient sous différentes plumes.

Gala.fr : L’affaire Grégory Villemin a-t-elle eu un impact dans votre carrière ? Positif comme négatif ?

Marie-Christine Chastant-Morand : En tant que jeune avocate, cette affaire m’a fortement convaincue de faire du droit pénal. L’avocat est là pour se battre, envers et contre tout. Se battre dans l’intérêt de ses clients mais surtout contre l’erreur judiciaire. Ce qui m’a fondamentalement marquée dans cette affaire d’ailleurs, c’est le caractère monstrueux de l’erreur judiciaire. C’est pourquoi j’ai continué à œuvrer dans la justice pénale afin de faire en sorte qu’il n’y en ait plus. C’est ça le vrai impact que ça a eu.

Gala.fr : Pensez-vous que cette affaire va encore durer de nombreuses années ?

Marie-Christine Chastant-Morand : Ça me fait penser à ce que m’avait dit un procureur général. Il m’avait dit, avant que Jean-Marie Villemin ne soit jugé : « Je pense que je prendrais ma retraite avant que l’affaire ne soit finie« . Je n’en sais rien à vrai dire.

Gala.fr : Pensez-vous qu’il y aura une véritable fin à cette affaire ?

Marie-Christine Chastant-Morand : Pour l’instant, nous sommes dans le cadre du supplément d’information. Il y a plus d’un an, on a fait une nouvelle demande d’acte à la chambre d’instruction de Dijon pour qu’on fasse de nouvelles expertises d’ADN car on n’avait pas encore examiné l’ADN de parentèle. Et il faut savoir que l’ADN de parentèle permet de résoudre des affaires très anciennes car ça donne beaucoup plus de chances. Cette demande-là a été acceptée, la décision doit d’ailleurs remonter à janvier 2021, et ces expertises sont encore en cours. Car il faut encore prélever de l’ADN mais on manque encore de moyens. Il faut laisser du temps au temps.

Gala.fr : Est-ce qu’avec le recul, c’est plus simple de travailler sur cette affaire qu’à l’époque ?

Marie-Christine Chastant-Morand : Déjà le dossier, je le connais parfaitement bien, depuis 1985. Je l’ai vécu, j’ai un acquis. Par ailleurs, j’ai un contact avec les parents de Grégory qui eux aussi, connaissent parfaitement l’affaire. On m’avait d’ailleurs rapporté, et c’est totalement vrai, que le meilleur connaisseur du dossier c’est Jean-Marie Villemin. C’est un garçon parfaitement intelligent qui a fini dans l’encadrement de sa société avant de prendre sa retraite et qui maintenant peut consacrer plus de temps à ce dossier qu’il connaît parfaitement bien. Il a tout. Moi, si j’ai besoin de quelque chose – que ce soit pour faire un acte judiciaire ou pour une demande – je l’appelle et j’ai le document immédiatement. Aujourd’hui, il y a une facilité par la connaissance du dossier et par le fait que Christine et Jean-Marie n’abandonneront jamais. Ils veulent connaître les dernières heures de leur enfant. Ils sont prêts à aider leurs avocats et la justice. La paix viendra vraiment le jour où ils connaîtront ce qu’il s’est passé. Ils ne sont pas vindicatifs, ils veulent juste savoir.

Gala.fr : Enfin, vous êtes régulièrement présente sur les plateaux de télévision pour parler de cette affaire. Est-ce une chose qui dérange les parents de Grégory Villemin ?

Marie-Christine Chastant-Morand : Les parents ne veulent plus s’exprimer. Ils n’étaient pas préparés à une affaire comme celle-ci, ils étaient traumatisés. Au départ, on les poursuivait, on les interviewait, ils répondaient. Dès le moment où l’affaire a été terminée, ils se sont dit qu’ils feraient un livre et ont accepté d’aller sur un plateau de télévision pour expliquer aux Français ce qu’ils ont enduré. Mais ensuite, pour eux, c’était terminé. Ensuite, il y a eu un moment où un film est sorti sur l’affaire il y a déjà 20 ans. Ils avaient répondu aux questions de La Croix. Depuis que c’est terminé, ils ne veulent plus et comptent sur leurs avocats pour occuper la place qu’ils ne veulent plus occuper vis-à-vis des médias. Peut-être un jour, si tout est fini…

Crédits photos : Agence / Bestimage

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