Marie Trintignant est devenue, malgré elle, un symbole des féminicides et des violences conjugales. À l’écran, elle était une héroïne, comme dans Betty, réalisé par Claude Chabrol, ou encore Lulu dans Une affaire de femmes. Actrice à succès, mère et fille regrettée, Marie Trintignant était femme qui avait encore tant de rôle à jouer.

Retour sur le jour où cette artiste s’est éteinte dans une violence insupportable.

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Une vie brisée un soir de juillet

Printemps 2003. Marie Trintignant s’envole pour la Lituanie, à Vilnius, pour tourner le téléfilm Colette, réalisé par sa mère Nadine Trintignant. Bertrand Cantat, son compagnon depuis environ 18 mois, l’accompagne. Le couple s’installe dans un appartement du Domina Plaza, une résidence hôtelière située au cœur historique de la ville.

Sur ce tournage, plusieurs membres de la famille Trintignant sont présents : son frère, Vincent Trintignant, assistant réalisateur, et son fils aîné Romain Kolinka, acteur également, né de son union avec le batteur Richard Kolinka.

Selon certains témoignages, le chanteur de Noir Désir avait du mal à supporter cette proximité, mais surtout à accepter les relations que l’actrice gardait avec ses ex-compagnons et pères de ses quatre enfants (elle en a eu 4 avec 4 maris différents).

Dans la nuit du 26 au 27 juillet 2003, l’actrice reçoit un SMS de Samuel Benchetrit, son mari, avec qui elle est séparée depuis plusieurs mois. Les deux acteurs doivent assurer la promotion du film Janis et John, réalisé par lui-même. Marie Trintignant joue le rôle de Janis, en binôme, avec François Cluzet, son ex-conjoint et père de leur fils Paul Cluzet. 

Dans ce message, Samuel Benchetrit lui dit “je t’embrasse petite Janis” en référence à son personnage. Ces quelques mots auraient suffi à faire éclater une dispute dans le couple. Particulièrement possessif, Bertrand Cantat devient ultra-violent et assène 19 coups à l’actrice, dont quatre au visage, selon les légistes. Dans leur rapport médico-légal, les professeurs Lecomte et Vorhauer constatent également de nombreuses blessures aux jambes, sur le bas du dos, le ventre et les bras de la victime.

Des secours appelés trop tardivement 

Peu après, Marie Trintignant tombe inanimée sur le sol, et l’homme la porte jusque dans son lit. Dans son ouvrage La nuit avec ma femme (publié en 2016), Samuel Benchetrit raconte que Bertrand Cantat l’aurait appelé juste après. Ce dernier lui raconte la scène en minimisant totalement les faits, expliquant qu’ils se sont “engueulés” et qu’il l’a « giflée ».

Le réalisateur lui demande alors d’aller vérifier si Marie Trintignant va bien : « J’entends les mouvements. J’entends qu’il se penche. J’entends qu’il prononce ton prénom. Doucement. Et puis le mien. Il dit ‘C’est Samuel. Marie, c’est Samuel.’ Je crois entendre ton souffle », se souvient l’auteur, qui s’adresse à son ex-femme dans son récit. Mais Bertrand Cantat lui annonce alors l’impensable : Marie Trintignant ne se réveille pas.

Sous les conseils de Samuel Benchetrit, le chanteur appelle le frère de la comédienne, Vincent Trintignant, qui le rejoint vers 4h30 du matin. À 7h15, ce dernier contacte les secours. Mais entre-temps, plus de cinq heures se sont écoulées… Ce dernier affirmera plus tard que Bertrand Cantat l’avait dissuadé de les appeler.

Le 29 juillet 2003, une équipe médicale française pratique l’opération de la dernière chance à l’hôpital de Vilnius, mais le pronostic vital de Marie Trintignant est extrêmement engagé. L’actrice est alors rapatriée en France, le 31 juillet 2003, en état de mort cérébrale. Elle souffre d’un œdème suivi d’un coma profond provoqué par les coups.

Malgré les efforts du neurochirurgien Stéphane Delajoux, Marie Trintignant décède le lendemain, le vendredi 1 août 2003, à Neuilly-sur-Seine.

Bertrand Cantat, un homme violent

Le documentaire Affaire Bertrand Cantat, le document inédit, diffusé le 24 novembre 2019 dans l’émission Enquête exclusive, présente des images de l’audition de Bertrand Cantat devant les juges de Vilnius. L’accusé s’exprime sur la nuit où il a tué Marie Trintignant, expliquant « être rentré dans une colère noire ».

Bertrand Cantat déclare à la justice avoir mis « des grandes claques très fortes » à sa compagne, en portant des bagues à ses doigts. S’il ne nie pas sa responsabilité, il plaide l’accident et refuse « le terme de crime intentionnel ».

Le chanteur dit éprouver la culpabilité d’avoir tué la personne sans laquelle, selon ses mots, il est incapable de vivre. Il décrit Marie Trintignant de femme « agressive, hystérique » ce soir-là, et dit avoir été frappé par elle « d’un coup de poing au visage ».

Pour avoir tué Marie Trintignant, Bertrant Cantat risquait 15 ans de prison, il a écopé de huit années d’emprisonnement. Mais avec l’application des remises de peine, il n’en a purgé que quatre, dont 14 mois à la prison de Vilnius et le reste à la maison d’arrêt de Muret, aux alentours de Toulouse.

Libéré sous contrôle judiciaire, il sort de prison le 16 octobre 2007. Le 28 juillet 2010 marque la fin de son contrôle judiciaire. Six mois plus tôt, son ancienne compagne et mère de ses deux enfants, Krisztina Rady, est retrouvée pendue à son domicile, par son fils Mylos, 12 ans.

Lors de son procès en 2004, elle avait apporté son soutien au chanteur et avait assuré n’avoir jamais subi de violences de sa part. Mais en novembre 2017, Le Point révèle que la défunte aurait menti au moment du procès et aurait demandé aux membres de Noir Désir de mentir également, pour que ses enfants ne découvrent pas « que leur père était un homme violent ».

« Nous avons tous décidé de mentir. Nous étions tous sous son emprise », confiait l’un des membres du groupe à l’hebdomadaire. Selon lui, Marie Trintignant et Krisztina Rady n’étaient pas les seules victimes de Bertrand Cantat : « Je savais qu’il avait tenté d’étrangler sa petite amie, en 1989. Je savais qu’il avait frappé Kristina. (…) Beaucoup de gens dans le milieu bordelais savaient que Kristina avait été battue avant l’affaire Vilnius, mais ils se sont tus. »

Violences physiques et psychologiques contre Krisztina Rady

D’autres sources interrogées par Le Point ont aussi témoigné de comportements violents de la part du leader de Noir Désir à l’encontre de Krisztina Rady. Dans une vidéo publiée sur Facebook à la suite de cette enquête, d’anciens membres du groupe française, Denis Barthe et Jean-Paul Roy, ont vivement contestés l’article et ses allégations.

Plusieurs personnes soupçonnent le chanteur d’être la cause du suicide de Krisztina Rady. À commencer par Yaël Mellul, ancienne avocate et féministe, qui a porté plainte deux fois en 2014 et 2018 contre Bertrand Cantat pour « violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Pour autant, le parquet de Bordeaux a jugé qu’aucun lien ne permettait de lier son suicide à des violences physiques ou psychologiques. 

Dans le documentaire d’Enquête exclusive, les parents de Krisztina Rady affirment que leur gendre aurait frappé leur fille avant la mort de Marie Trintignant : « Quand Krisztina est tombée enceinte de son premier enfant, c’est à ce moment-là qu’elle m’a avoué pour la première fois que Bertrand l’avait frappée, je ne sais pas pourquoi, je n’ai jamais demandé d’explication. »

Ils ajoutent : « Il est allé jusqu’à la menacer de se suicider si elle le quittait, il était jaloux, c’est sûr et certain. Savez-vous ce qu’il faisait ? Bertrand mutilait son bras pendant le dîner devant ses enfants. Il a fait du chantage émotionnel. Ce n’est pas normal. »

Six mois avant sa mort, les parents ont trouvé un message de leur fille sur leur répondeur (que l’on entend dans le documentaire) : « Bertrand est fou ! Hier, j’ai failli y laisser une dent. Mon coude est complètement tuméfié et malheureusement un cartilage s’est même cassé. Avec un peu de chance, si j’en ai la chance et s’il n’est pas trop tard, je déménagerais dans un autre pays et je disparaîtrais simplement car je dois disparaître. »

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En mémoire à Marie Trintignant

Le 6 août 2003, Marie Trintignant est enterrée au cimetière du Père Lachaise à Paris, en présence d’une assistance vêtue de blanc, comme l’avait demandé sa famille. Son cercueil est recouvert de tournesols, une fleur qu’elle aimait tant. Le matin, un hommage avait réuni des proches et plus d’un millier d’anonymes au Théâtre Édouard VII pour des lectures de textes et chansons joués ou appréciés par Marie Trintignant, un événement mené par Jacques Higelin en maître de cérémonie.

Le 4 septembre 2010, le réalisateur Alain Corneau, compagnon de Nadine Trintignant, la mère de Marie, a été inhumé dans le même caveau. Leur sépulture porte en épitaphe une citation signée de Percy Shelley : « Paix, paix, ils ne sont pas morts, ils ne sont pas endormis, ils se sont réveillés du rêve de la vie. »

Depuis sa mort tragique, plusieurs livres ont été publiés et des documentaires réalisés en l’honneur de la grandeur de Marie Trintignant. En 2022, sa mère lui a rendu hommage dans un documentaire bouleversant et édifiant Tes rêves brisés. Celui-ci évoque sa carrière, mais aussi sa beauté, sa sensibilité, son regard sur la vie et les gens qui l’entouraient. Dans un long monologue, Nadine Trintignant déclare : « Je me souviens de ce matin, vers la fin du tournage, où tu arrivas si joyeuse, ce que tu n’étais plus depuis plusieurs semaines… Tu avais enfin rompu avec ton amant. Tu croyais qu’il avait admis votre rupture, tu te trompais mon innocente. » Ici, elle évoque évidemment Bertrand Cantat, sans jamais le citer au cours du film dédié à sa fille disparue.

Le documentaire raconte aussi les valeurs et les engagements de l’actrice disparue. Comme les droits des femmes, qu’elle défendait corps et âme sur les plateaux télévisés, notamment lorsqu’elle jouait le rôle principal dans Victoire ou la douleur des femmes en 2000. Un film écrit avec sa mère, dans lequel elle incarne une femme qui a tenté d’avorter.

Marie Trintignant plaidait pour le féminisme, mais aussi la tolérance et l’anti-racisme. En 2002, l’actrice avait pris le micro lors d’une manifestation contre Jean-Marie Le Pen, séquence intégrée au documentaire de sa mère : « C’est pour les générations futures, auxquelles nous n’avons pas le droit de léguer un monde de haine et d’exclusion. »

Le 13 mai 2007, Bertrand Delanoë, maire de Paris, inaugure le square Marie-Trintignant (ou jardin Marie-Trintignant) situé entre l’hôtel de Sens et la Seine, rue de l’Ave-Maria, dans le 4e arrondissement de la capitale. Il existe également une rue Marie-Trintignant à Brest et une allée Marie-Trintignant à Rezé (Loire-Atlantique).

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La réhabilitation contestée de son bourreau

Sorti de prison, Bertrand Cantat poursuit sa carrière. Fin 2017, il sort son premier album solo. Pour célébrer son retour, le magazine culturel Les Inrocks l’affiche en Une : « Cantat en son nom ». Cette couverture a provoqué l’indignation et fait réagir de nombreuses personnalités. Comme Marlène Schiappa, à l’époque secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, qui avait réagi sur Twitter : « Et au nom de quoi devons-nous supporter la promo de celui qui a assassiné Marie Trintignant à coups de poings ? ».

Les concerts organisés par le chanteur entraînent eux aussi leur lot de manifestations et de contestations. Sur les pancartes des manifestantes, aux abords des salles qui le programment, on peut lire « la musique adoucit les meurtres ». Le retour sur scène de l’auteur du féminicide relance le débat sur « la séparation entre l’homme et l’artiste » et la supposée cancel culture.

Face à la pression des militantes, plusieurs dates de festivals et deux Olympia sont annulés. Sous les vidéos de la chaîne YouTube du chanteur, les commentaires sont également désactivés pour éviter que les internautes s’offusquent par vagues. Malgré cela, le Bertrand Cantat persiste et effectue une tournée, qui s’achève en mars 2018, alors que le chanteur révèle qu’il s’agit de « la dernière date de la tournée et la dernière date tout court ». Ainsi, le tueur de Marie Trintignant annonce mettre fin à sa carrière.

En 2021, Bertrand Cantat a été désigné pour composer la musique d’une pièce qui s’appelle Mère au théâtre de la Colline. Sur les réseaux sociaux, cette programmation avait une nouvelle fois fait réagir. Roselyne Bachelot, à l’époque ministre de la Culture, avait déclaré au micro de France Inter, sans trop se mouiller : « Il y a deux choses : la liberté de création, bien entendu, et la question est à poser à Wajdi Mouawad (le directeur du théâtre) qui ne peut pas dans ce domaine être accusé de la moindre complaisance dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Je n’ai pas à intervenir dans la gestion de la Colline, je regrette néanmoins que Bertrand Cantat ait été invité. »

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Marie Trintignant, une femme de cinéma exceptionnelle

Marie Trintignant est la fille de Jean-Louis et Nadine Trintignant, deux réalisateurs français aussi célèbres que talentueux. C’est donc naturellement qu’elle débute sa carrière très tôt, à l’âge de 4 ans, dans Mon amour, Mon amour, un film réalisé par sa mère, et dont son père est l’acteur principal.

En 1979, alors qu’elle n’a que 17 ans, elle joue dans le film Série Noire, réalisé par Alain Corneau. Et l’année suivante, la jeune femme joue remarquablement bien dans Une Affaire de Femmes, un film réalisé par Claude Chabrol. Elle y incarne une prostituée torturée, aux côtés d’Isabelle Huppert. Films à succès et prestations remarquées, Marie Trintignant sera nommée cinq fois aux César.

Jean-Louis Trintignant, son père, est décédé récemment à 91 ans, le vendredi 17 juin 2022. Anéanti par la disparition brutale de sa fille adorée, il avait déclaré ceci à Catherine Ceylac, dans son livre À la vie, à la mort (publié en 2018) : « Je suis mort le 1er août 2003, le jour où Marie est morte. »

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