Même après une longue thérapie, elle a toujours des flashbacks. Elle n’a pas oublié les humiliations, les claques et coup de poing visant sa mère, les menaces de son père avec son arme de service ou sa matraque… Il était policier : 30 ans de carrière, du gardien de la paix au brigadier-chef dans différents services de région parisienne.

Fabienne, 45 ans aujourd’hui, docteure en Histoire, fait partie des enfants de membres des forces de l’ordre ayant subi des violences. Il n’est pas question pour elle de faire des généralités sur les policiers et gendarmes, mais de faire entendre qu’ils peuvent être auteurs de violences intrafamiliales, et ce, parfois dans l’impunité. C’est ce sur quoi la quadragénaire veut alerter à présent, en témoignant de son histoire, dans l’espoir que les autorités se saisissent du problème.

Le chantage au suicide paralysait la famille

Elle évoque plusieurs facteurs déclencheurs de sa prise de parole publique : « D’un côté, le déni systématique de la parole des victimes de violences policières ou la minimisation de la gravité des faits malgré les preuves accablantes, de l’autre, les affaires récurrentes de violences faites aux femmes. »

Fabienne a assisté aux violences de son père jusqu’à ses 15 ans. Puis, un jour, elle a fui aux côtés de sa mère et de son grand-frère. Son père a été hospitalisé en psychiatrie dans la foulée, alors qu’il était en pré-retraite de la police.

Avant cela, dit-elle, il y a eu tant d’épisodes de violences. Certains mènent sa mère à l’hôpital, comme en 1988, pour une opération à la suite d’un hématome au cervelet, provoqué par les coups. Il y a aussi ce jour où son père tire avec son arme de service une balle dans le mur de leur maison. Fabienne n’a même pas dix ans. « J’ai rien compris, j’ai juste entendu ce boucan monstrueux », confie-t-elle.

Pétrifiée, la petite observe alors les regards terrorisés de son grand-frère et de sa mère. Puis, elle voit cette dernière se mettre à quatre pattes pour regarder sous la porte de la chambre de son père, d’où venait le tir. « Mon père a fini par sortir, il s’est foutu de sa gueule, humiliant ma mère. » D’après le récit de Fabienne, cet épisode était à entendre comme cette même menace, qui revenait en boucle : « Il disait à ma mère que si elle partait, il nous retrouverait et nous tuerait avant de se suicider. L’accès à son arme de service, c’était pour nous l’impossibilité de partir. »

Il ne m’est jamais venu à l’idée d’aller voir la police, car la police était déjà là, c’était mon père.

Les années passent et la jeune Fabienne s’attriste, ne voit pas d’issue : « À partir de mes 12-13 ans, j’ai arrêté de croire que ma mère allait partir, j’ai arrêté d’avoir de l’espoir. Pour trouver une porte de sortie, j’ai commencé à rechercher l’arme de mon père pour savoir si j’étais capable de le tuer et ainsi pouvoir faire cesser la situation ». Elle finit par trouver les munitions, mais jamais l’arme. « Tant mieux », dit-elle aujourd’hui simplement. « C’est quelque chose qui reste assez douloureux de se dire qu’une gamine de 13 ans a pu penser à ça. »

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Traumatisée par l’uniforme

Fabienne assiste aux tentatives de départ de sa mère, ne sait vers qui se tourner. « Il ne m’est jamais venu à l’idée d’aller voir la police, car la police était déjà là, c’était mon père, ça ne faisait pas partie des options, c’était pas synonyme de protection, de respect de la loi. » Encore aujourd’hui, Fabienne a peur quand elle voit un policier en uniforme, une arme au ceinturon : « Je me crispe c’est physique, c’est lié au psychotraumatisme je sais, mais je ne me sens pas du tout en confiance. »

Une confiance abîmée également par les menaces entendues : « Mon père avait une espèce de discours d’impunité mais aussi de légitimité parce qu’il savait que ce serait compliqué pour nous d’aller voir ses collègues, que l’esprit de corps était très fort dans son département. »

En 1993, alors que Fabienne a 15 ans, c’est le départ, sans prendre aucune affaire. La plus grande crainte de sa mère, comme celles de nombre de survivantes de violences, est que son père demande sa garde. Elle dépose une main courante pour laisser une trace. « Elle avait peur que sa parole de flic ait plus de de poids aux yeux d’un?e juge », se souvient Fabienne.

Quand il a fallu que Fabienne récupère ses livres scolaires, la rentrée approchant, sa mère était désemparée. Une collègue de son travail l’a entendue parler de son désarroi. Coïncidence, elle était mariée à un commissaire de la direction de la Surveillance du territoire (DST), un service de renseignements, qui lui a permis d’avoir une escorte policière pour se rendre dans leur ancienne maison. « Sans ce piston, puis l’arrestation de mon père lorsqu’il a frappé un des policiers de l’escorte, et par la même occasion son traitement en hôpital psychiatrique pour sa paranoïa, je pense qu’il aurait mis ses menaces à exécution pour nous retrouver et nous tuer. On a eu énormément de chance de s’en sortir vivants. C’était certes grâce à des policiers, mais à des individus, pas à l’institution… Il n’y avait aucune procédure officielle pour aider les familles de policiers et gendarmes violentées et trente ans plus tard, il n’y a toujours rien. »

Invisibilisation systémique des victimes de policiers violents

Avec le recul, Fabienne déplore que l’institution n’ait pas repéré la maladie mentale de son père : « S’il avait eu un vrai suivi, il aurait peut être pu être traité plus tôt. Et c’est un métier très éprouvant au niveau psychologique avec des conditions de travail infectes, mais aussi violent par essence. On ne peut pas absorber tant de violences au quotidien sans être affecté. »

Fabienne aimerait que l’État lance une réflexion sur le recrutement, les conduites violentes et les pathologies mentales chez les forces de l’ordre. « C’est l’État qui a donné son arme à mon père et l’a formé à l’utilisation de la violence, autrement dit, qui lui a donné les moyens de sa violence sans aucun garde-fou »

Quand Fabienne a entendu parler d’Arnaud Bonnefoy, ce policier mis en examen pour « meurtre » sur sa conjointe Amanda Glain, alors qu’il avait déjà été condamné pour violences conjugales, elle a été très affectée. Elle rêve une meilleure prise en charge de la problématique, mais regrette : « Il n’y a pas eu de prise de conscience au niveau de l’État. On voit surtout des politiciens auto-satisfaits parce qu’ils ont un peu parlé de formation des policiers au Grenelle [des violences conjugales, ndlr] en 2019, où la situation spécifique des femmes et enfants de policiers et gendarmes a été oubliée dans les débats. Cela contribue à notre invisibilisation et au déni de la problématique. »

Pour Fabienne, il n’y a tout un système à revoir : « Il faut un encadrement des policiers violents et des mesures pour les familles victimes de flics et aussi pour les violences sexistes et racistes entre policiers. Sinon ils seront toujours protégés pas l’absence de procédures et l’habitus de travail très corporatiste. »

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