Après avoir colonisé notre quotidien, le numérique s’est immiscé dans l’art. Les vidéos ou les projections émaillent les expos, quand elles ne sont pas 100 % virtuelles. Mais est-ce bien utile ?
Restez informée
Bien sûr, on peut encore visiter les musées » comme avant « … mais la majorité des sites culturels proposent désormais de nouvelles façons d’accéder aux œuvres, de les comprendre. L’art vit un tournant ! L’adoption du numérique par les institutions culturelles a connu une croissance exponentielle avec la crise du Covid. On pouvait déjà explorer le MoMA de New York ou la Galerie des Offices de Florence sans bouger de son canapé, mais c’est bien le confinement qui a fait la différence. Déserts et condamnés à l’obscurité, les musées ont trouvé très vite le moyen d’intéresser un public coincé à la maison : les visites virtuelles. Aujourd’hui, les supports numériques sont aussi fréquemment intégrés aux expositions et la réalité augmentée nous procure une expérience nouvelle. Propulsé au cœur de l’œuvre d’art, on s’échappe bien loin du quotidien.
Le réel… en mieux !
Michèle est sortie émerveillée du Collège des Bernardins, à Paris. » J’ai redécouvert Notre-Dame comme si j’étais plongée dans un documentaire historique, raconte-t-elle. On est transporté à travers les époques, c’est passionnant ! » Notre-Dame de Paris : l’exposition augmentée fait, comme son nom l’indique, appel à la réalité augmentée en mélangeant réel et virtuel. Équipé d’une tablette, le visiteur découvre au fil du parcours des reconstitutions de la cathédrale en trois dimensions grâce à des contenus qui le font voyager dans le temps. » On en apprend davantage sur l’histoire de l’édifice et aussi sur les différents corps de métiers qui participent à sa restauration « , poursuit Michèle.
La magie du numérique est encore plus puissante avec des casques de réalité virtuelle. Une fois l’accessoire bien ajusté sur les yeux, on bascule dans un univers parallèle où la reconstitution historique se superpose aux pièces existantes. Le musée de la Libération de Paris est le tout premier à proposer en permanence une visite de ce type. On revit l’insurrection de 1944 dans le poste de commandement du colonel Rol-Tanguy, grâce aux lunettes Hololens qui détectent les mouvements de la rétine du visiteur. À 20 mètres de profondeur, on découvre son décor parfaitement conservé aux côtés d’acteurs (virtuels) de la résistance. La réalité augmentée permet également de reconstituer des sites historiques dont il ne reste parfois plus que des vestiges, et de les parcourir comme si l’on était projeté dans l’Histoire. Versailles propose ainsi de revivre le château tel qu’il était aux XVIIe et XVIIIe siècles, et de voir des salles aujourd’hui disparues.
La culture en s’amusant
De telles manifestations auraient été bien difficiles à organiser avec des moyens classiques. Grâce aux technologies numériques, l’enfilade ardue de panneaux et d’explications se transforme en une expérience immersive, dans laquelle le plaisir et l’amusement portent les connaissances. Si l’usage des casques de réalité virtuelle demeure exceptionnel – leur coût rebute les institutions culturelles –, de plus en plus d’expositions proposent des dispositifs qui enrichissent les œuvres et divertissent le spectateur. Au détour d’une allée, on tombe sur la captation d’un artiste en train de peindre ou la projection d’une danseuse sur un mur, on attrape au vol des bribes d’interview ou de la musique.
Aux Baux-de-Provence, les Carrières des Lumières projettent des tableaux en grand format sur les parois de pierre du centre d’art, plongeant le visiteur dans un bain étourdissant de couleurs et de formes. Après les paysages lumineux, les portraits et les natures mortes de Cézanne, c’est aujourd’hui le bleu d’Yves Klein ou Venise qui hypnotisent le public.
Et si on ne peut pas se déplacer, ce n’est pas grave ! On peut aussi vivre la culture à son rythme, de chez soi. Même s’il a dû annuler son voyage en Italie, Patrice a tout de même profité du confinement pour redécouvrir la chapelle Sixtine. Il suffit d’un écran d’ordinateur et d’une souris pour accéder aux célèbres fresques de Michel-Ange. » Je connaissais déjà les œuvres mais je n’avais jamais eu l’occasion de m’approcher d’aussi près et d’observer les détails, comme on peut le faire avec la visite virtuelle « , dit cet ancien libraire, passionné d’art. Chez soi, on s’épargne en plus la fatigue, la chaleur, la foule… » Je peux passer l’après-midi devant la Création d’Adam si je le souhaite, en chaussons et sans personne pour m’embêter « , conclut-il. On peut désormais profiter des musées et des sites du monde entier, même si l’on est malade ou handicapé. Les plus pointus iront jusqu’à visiter sur internet le Museum of Other Realities, l’une des premières plateformes d’art 100 % numérique. On y entre avec un casque de réalité virtuelle. On plane ou on sautille dans cet univers parallèle sans barrière, sans craindre les remontrances des gardiens, et on plonge littéralement dans les œuvres… la tête la première.
Moins de lecture, plus d’informations
Les dispositifs numériques facilitent la transmission des données. Certaines expositions proposaient déjà une petite vidéo au début du parcours, afin de replacer les œuvres dans leur contexte. C’est un fait : la connaissance se diffuse mieux lorsque le spectateur est sollicité par de l’image et du son, qui sont davantage pourvoyeurs d’émotions et captent donc mieux l’attention. Pour les musées, c’est également un bon moyen d’attirer un public moins habitué aux institutions culturelles. Le jeune entrepreneur Faouzi Teboulbi a ainsi créé une application et un site web qui centralisent les musées et les plateformes disponibles en réalité virtuelle. » J’ai créé Explor Visit pour casser des barrières, précise-t-il. Je voulais ouvrir la culture aux personnes qui vivent loin de tous ces lieux, comme c’était mon cas au début, ou qui n’en ont pas les codes. » La plateforme ouvre un immense choix de visites et on peut aussi bien passer l’après-midi dans un musée américain qu’à arpenter le Machu Picchu ou les alignements de pierres de Stonehenge.
Si les visites virtuelles rencontrent un certain succès, leurs concepteurs s’aperçoivent que rien ne remplace la passion et les anecdotes délivrées par un vrai guide. » C’est ce que nous cherchons à intégrer dans la nouvelle version d’Explor Visit, abonde Faouzi Teboulbi. Les gens auront le choix entre une visite autonome sur internet, une visite guidée en vidéo, avec la possibilité de poser des questions via un tchat, ou une visite guidée individuelle, au cours de laquelle on interagit à loisir avec le guide. » La technologie a- t-elle malgré tout besoin d’une dose de réel ? Certainement assurent un certain nombre d’esprits critiques.
Et l’émoi dans tout ça ?
Une œuvre originale a le pouvoir de nous toucher. La froideur de l’ordinateur ne peut pas lutter avec l’émotion que l’on ressent devant un tableau ou une sculpture. » Ce qui compte est la profondeur picturale, la vibration de l’œuvre et la manière dont elle produit un effet sur le spectateur « , estime Norbert Hillaire, spécialiste des relations entre l’art et les nouvelles technologies. Les musées et les lieux culturels ont aussi leur atmosphère propre, avec parfois des odeurs et des sensations qui participent à l’expérience et créent des souvenirs. Enfin, la réalité virtuelle est aussi dépendante d’une technologie encore loin d’être parfaite. Rares sont ceux qui peuvent se targuer d’une connexion internet sans ratés à la maison, et l’image offerte par les casques de réalité virtuelle n’est pas toujours à la hauteur.
Autre reproche fait au numérique : l’overdose d’explications. Si celles-ci guident le spectateur, elles perturbent parfois son rapport à l’œuvre, l’empêchent de se forger son opinion, d’avoir son propre regard. On nous explique ce qu’il faut voir dans le tableau et pourquoi cet aspect est intéressant… mais que nous disent nos émotions ? Si on ne lit pas toujours les panneaux dans un parcours d’exposition classique, c’est pour une bonne raison : on n’en a pas forcément besoin pour comprendre ou pour ressentir. » Rien ne remplace le contact direct, sans intellectualisation, souligne Norbert Hillaire. L’œuvre s’inscrit bien sûr dans une histoire, mais elle doit également être perçue dans une sorte d’immédiateté. » Les informations peuvent venir ensuite, pour répondre à la curiosité suscitée par cette première expérience.
» Le numérique ne remplacera jamais le réel, c’est une évidence, conclut Michèle. Mais c’est tout de même une belle expérience ! » Les technologies vont s’améliorer et prendre une place de plus en plus importante. La réalité augmentée deviendra complémentaire, un outil précieux pour sublimer l’art.
Source: Lire L’Article Complet