Quel meilleur nom de scène que « Diam’s » pour coller à la carrière de Mélanie Georgiades ? Ce diamant de talent brut qui, soudainement, s’est évaporé en se brûlant. Lorsqu’elle a cherché sa définition dans le dictionnaire, au début de sa carrière en1993, la jeune fille pleine d’ambition était tombée sur cette description qui l’avait immédiatement séduite : « pierre précieuse, la plus brillante et la plus dure de toutes. »

Icône de toute une génération, avec ce qu’il faut d’ego-trip et de vulnérabilité pour parler au plus grand nombre, la rappeuse a vendu des millions d’albums, faisant « boum boum » dans le coeur de ses (nombreuses) soeurs. Pour beaucoup, elle a été la porte d’entrée vers un genre musical toujours stigmatisé et renié en France, à l’encontre des chiffres.

Pendant des années, de concerts en concerts, Mélanie Diam’s a chanté ses souffrances en ne s’excusant de rien. « J’ai vite compris compris qu’on me prenais pour une conne. (…) Une petite blanche dans le hip-hop », revendiquait-elle dans son titre Banlieusarde (2003).

Sur le même morceau, elle n’imaginait pas l’avenir sans son art et sa plume : « Quoi qu’il arrive, je garderai le meilleur de tout ça / Peu importe l’avenir / C’est tout c’que j’ai à faire / Moi je rappe ». En 2022, ces paroles sonnent différemment. Mélanie Diam’s ne rappe plus, Diam’s tout court n’est plus.

Après des années de silence, elle a refait surface pour raconter sa vérité à son public qui l’a tant adulée. Salam, un documentaire autobiographique qui ne sort en salle que les 1er et 2 juillet 2022, retrace, à l’aide des réalisatrices Houda Benyamina (Divines) et Anne Cissé, les crises existentielles que l’artiste a dû affronter. Disponible dès le mois de septembre sur la plateforme BrutX, le film a d’abord été présenté le 26 mai 2022 en séance spéciale de la Sélection officielle du Festival de Cannes.

Banlieusarde dans les étoiles

Mélanie Georgiades est née le 25 juillet 1980 à Nicosie, sur l’Ile de Chypre, d’une mère Française et d’un père Chypriote. Avec ses parents, elle entretient une relation compliquée, notamment son père Phivo, qui l’abandonne avec sa mère alors qu’elle n’a que quatre ans. Une absence dont elle souffre pendant des années, et à laquelle elle réserve plusieurs de ses rimes.

Sa passion pour le rap, qui débute dès 1990, sa mère n’en semble pas convaincue. « J’sais pas, maman, mais je pense que t’aimerais / Si un jour ta fille faisait la une de tes magazines préférés », lui dédie la jeune femme dans son titre Drôle de bizz (1999).

Pourtant sa mère est du métier, elle travaille même pour une maison de disque. C’est ainsi que la jeune Mélanie l’accompagne sur des tournées à travers le pays, où elle rencontre des grands noms de l’industrie comme George Michael, Tina Turner ou encore Prince. En 1988, elle monte sur scène aux côtés de Michael Jackson, parmi une troupe de jeunes danseurs, pour accompagner son hit Bad.

C’est à trois ans qu’elle arrive en France. Elle grandit dans un quartier pavillonnaire de l’Essonne, pourtant dans plusieurs de ses textes, elle se présente comme une voix des « quartiers », des « cités », englobant la banlieue parisienne dans toutes ses nuances.

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Quatre albums et puis s’en va

« Ah tu veux jouer dans la cour des grands ? (…) », ironisait Maïk Darah, voix française de l’actrice Whoopi Goldberg dans l’intro de son Premier Mandat, album crash-test politique et percutant, « T’as quoi à dire pour tenir tout un album ? ». Visiblement beaucoup de choses, puisque Diam’s offre une fournée d’une vingtaine de titres. Celui-ci trouve un succès relatif : il s’écoule à 20 000 exemplaires. Mais la gloire ne se fait pas trop attendre.

Pour produire son deuxième opus, l’humoriste Jamel Debbouze se propose. Il croit en Mélanie, et la jeune femme le respecte. Elle craint pourtant que le comédien ne puisse pas consacrer assez de temps pour son projet musical, lui qui est une star très demandée à l’époque. Diam’s préfère donc s’entourer d’un spécialiste travaillant pour la maison de disque EMI, Sébastien Catillon. 

Seule femme à poser un couplet sur le titre culte du groupe Sniper, Panam Hall Starz, qui rassemble différents rappeurs d’Ile-de-France, elle a trouvé sa place dans un milieu principalement masculin. Elle y représente le département 91 aux côtés de son ami et mentor Sinik.

Dans Brut de Femme, sorti en 2003, Diam’s s’affirme hors des clous (Dj), revendique son franc-parler (Cruelle à vie). Sans tabous, elle évoque son passé de femme battue dans le titre douloureux Souffrance. Ce deuxième album se vend bien mieux, à 200 000 exemplaires, et décroche le prix du meilleur album hip-hop en 2004. L’année suivante, il devient double disque d’or, porté par le single Dj qui envahit les charts.

Février 2006, le phénomène se confirme. Diam’s sort son troisième album, un classique vendu à plus de 800 000 exemplaires et certifié disque de diamant. Aujourd’hui encore, Dans ma bulle reste un incontournable dont les tubes résonnent dans les airpods ou les soirées karaoké. Ce n’est pas rare, et encore moins démodé, que l’on s’époumone encore sur les tubes de La Boulette ou Confessions Nocturnes en duo. Avec cet opus, Diam’s a réussi le pari de séduire un public très large. 

À la manière d’une grande soeur, elle parle d’être une femme, fière et hors des injonctions, de la famille et de l’amour. Elle « emmerde Marine » de la part des jeunes, se dressant contre l’extrême droite, le racisme, et, à nouveau, les violences conjugales. La tournée qui suit rassemble plus d’un demi-million de spectateurs. C’est la consécration.

Son ultime projet musical, S.O.S, sortira dans les conditions particulières et polémiques. Très attendu, il ne rencontre pas son public et cristallise les contradictions qui animent alors une Diam’s en rédemption.

Autrefois l’idole, Diam’s devient la cible

Objet de la discorde ? En 2008, la rappeuse s’est convertie à l’Islam. Une photo volée fuite dans Paris Match, alors qu’elle est en pleine promo de S.O.S. À cette époque, le public ne sait pas encore que la star du rap s’est tournée vers la foi et la nouvelle est mal reçue dans la presse. 

« Je pense que ç’a été vu comme une trahison par son public car elle se livrait tout le temps à lui. Cette fois-ci, elle avait fait le choix de ne pas le dire directement. La photo [de Diam’s portant le voile à l’île Maurice, ndlr] est parue au moment de la promotion de son dernier album, S.O.S, dans lequel elle racontait tout », estime Anne Cissé, co-réalisatrice du documentaire Salam, à GQ.

« On l’a défendue à une époque ou la terre entière était contre elle. Y’a eu des périodes très très difficiles. Le succès en soi c’est difficile et son succès à elle était encore pire, parce que c’était un succès à autre niveau… », avait également confié Sinik lors d’une interview à Rapunchline le 2 novembre 2020.

Tout ce qui m’a liée à mon public était fort. Quoi que l’on ait dit de moi, et même lorsqu’on m’a traînée dans la boue.

Après 2009, et son ultime opus, Diam’s passe en quasi silence radio. Quand elle donne quelques rares interviews, c’est pour tenter d’expliquer son choix incompris, mais les réactions sont virulentes. La trentenaire est alors considérée telle une traîtresse, fantasmée comme une femme autrefois libre qui aurait été endoctrinée par un croyant abusif.

À raison, Mélanie Diam’s se protège et se verrouille. Puis, quelques années plus tard, le 27 septembre 2012, elle publie une première autobiographie, sobrement titrée Diam’s, autobiographie. Dans ses pages, elle évoque sa retraite salvatrice et la relation complexe qu’elle entretenait autrefois avec son alter ego sur scène : « Tout ce qui m’a liée à mon public était fort. Quoi que l’on ait dit de moi, et même lorsqu’on m’a traînée dans la boue, des milliers de personnes n’ont jamais cessé de m’aimer et de me témoigner leur soutien. Mon public était ce que j’avais de plus cher. Sur scène, à travers mes textes, je passais des messages. Je me livrais. »

À propos de son départ inattendu, elle l’assure, ce n’était pas « du dédain » envers ses fans. « Nous étions si proches », se souvient la rappeuse. Mais une nécessité.

Démontant les idées reçues sur sa conversion, Diam’s décrit également le jour où elle a embrassé la religion musulmane, seule : « Je me souviens m’être mise au milieu de la plage, j’ai levé la tête vers le ciel et pris Dieu à témoin : ‘O, mon Dieu, sois témoin que je veux me convertir à l’islam. J’ai lu Ton livre et je suis prête à tout suivre et tout pratiquer, pardonne-moi pour mon passé car je ne savais pas. Sois témoin que je dis du plus profond de mon cœur : ‘Achhadou an La illaha illa LLAH, Wa achhadou ana Mouhammad Rassoul Allah.' »

Cette profession de foi, elle l’a choisie pour survivre. « Si je n’avais pas ouvert le Coran un soir sur une plage de l’île Maurice et trouvé un sens à ma vie, je pense que je me serais vraiment foutue en l’air », a-t-elle assuré au Parisien en mai 2022. 

Le 21 mai 2015, elle sort un deuxième livre autobiographique, Mélanie, Française et musulmane, dans lequel raconte son parcours religieux et sa nouvelle condition de femme voilée en France. « Mon corps m’appartient, au même titre que toutes les femmes, et je l’habille comme bon me semble », souligne-t-elle dans l’ouvrage.

Sur scène, elle est respire un peu, en coulisses elle meurt à petit feu

Depuis quelques temps, le succès ne l’enivrait plus et la dévorait même de l’intérieur. La jeune artiste a souffert en silence, et s’est battue contre des problèmes de santé mentale. Ses concerts étaient des moments de répit, puis la dépression reprenait le dessus.

Un jour, après un concert, son amie et acolyte Vitaa l’a retrouvée en pleurs dans les vestiaires, raconte la chanteuse dans Salam : « [En tournée, ndlr], je l’ai vue passer de moments d’euphorie à des moments de grande tristesse. » Toujours dans le film-documentaire, sa manageuse Nicole Schluss, explique avoir remarqué que la rappeuse s’infligeait des scarifications sur les bras, et puis sur le visage « pour que ce soit visible de tous. »

Au sommet de sa gloire, Diam’s a soudainement mis fin à sa carrière en 2010. Son coeur est « meurtri », sa « course haletante » et « trépidante », l’a « finalement usée et déçue », confie-t-elle deux ans après avoir disparu des radars, via un post Facebook dans lequel elle s’adresse à ses fans.

On t’aime Diam’s.

En janvier 2008, Mélanie Diam’s séjourne dans une clinique psychiatrique située en banlieue parisienne, un passage discret. Là- bas, elle évoque ses envies suicidaires, et inquiète le personnel soignant. Durant son internement, l’artiste est diagnostiquée bipolaire et développe une addiction aux médicaments.

Quinze jours plus tard, c’est la 23e cérémonie des Victoires de la musique. Diam’s remporte le prix de la chanson originale de l’année pour son titre Ma France à moi. Après une prestation longuement acclamée par le public, la rappeuse craque et verse quelques larmes. « On t’aime Diam’s », lui lance Nagui, qui animait l’émission en direct ce soir-là.

« Je ne connais pas l’avenir de mon prochain disque. Ce sont peut-être mes dernières Victoires de la musique », glisse-t-elle à la fin de son passage sur scène, remerciant son public.

Sa détresse est à son pic, elle fait une tentative de suicide. « À ce moment-là, je suis au sommet de ma gloire et les gens pensent que tout va bien », souligne-t-elle dans une interview pour Brut.

Ce n’est pas la première fois que la rappeuse a tenté de mettre fin à ses jours, dans une interview télévisée pour Sept à Huit, diffusée le dimanche 26 juin 2022 sur TF1, elle expliquait que cela lui était déjà arrivé à l’âge de 14 ans. En 1995, elle a ingéré une forte dose de médicaments.

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Mélanie Diam’s se recentre et se retrouve

Des années plus tard, la rappeuse se dit apaisée. Elle vit aux Émirats arabes et a pu se consacrer aux chose qui lui sont chères : la bienveillance et la famille. Elle poursuit ses activités au sein de son association Big Up Project, fondée en 2009, et qui vient en aide aux jeunes orphelins d’Afrique. 

Mélanie Diam’s a également renoué avec son père, envers qui elle avait développé une certaine rancoeur à cause de son absence pesante. « Je m’étais un peu fâchée pour rien. Pour des choses qui finalement n’en valaient pas la peine. J’ai vraiment eu envie de retrouver mon père. De faire table rase du passé et d’avancer, de vivre l’instant présent. Parce que finalement, à trop lui en vouloir pour le passé, je ne profitais pas de l’instant », raconte-t-elle dans son film.

Mère de trois enfants, Maryam, 10 ans, Abraham, 7 ans, et Luqman, 5 ans, Mélanie Diam’s partage sa vie avec le rappeur et auteur-compositeur d’origine franco-tunisienne Faouzi Tarkhani depuis 2015. Il s’agit de son second mariage. En 2009, elle avait épousé un certain Aziz, père de sa fille Maryam, de qui elle a divorcé en 2012.

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