• A l’occasion de VivaTech, Eric Larchevêque, derrière Coinhouse et Ledger, revient sur son parcours hors norme qui l’a mené jusqu’à la crypto et le Web 3.
  • Il en profite pour aborder les grandes problématiques liées au Web 3 et cet hiver nucléaire de la crypto qui s’installe.
  • Rencontre avec un poids lourd du monde de la crypto.

Son nom est derrière Coinhouse, la première crypto-banque européenne, et surtout derrière Ledger, poids lourd de l’univers crypto qui propose une solution de stockage des actifs numériques. A l’occasion de VivaTech, Eric Larchevêque, entrepreneur touche-à-tout, revient pour 20 Minutes sur son parcours hors norme et en profite pour aborder les grandes problématiques liées au Web 3 : de la décentralisation à la protection des données personnelles en passant par le coup de projecteur inattendu d’Eric Zemmour pendant la dernière campagne présidentielle. Rencontre avec une des grandes figures de l’univers crypto en France.

Pouvez-vous revenir sur votre parcours qui vous a mené jusqu’au monde des cryptos ?

J’ai eu mon diplôme d’ingénieur en micro-électronique en 1996 et j’ai créé ma première entreprise un peu avant d’être diplômé. C’était le tout début d’Internet, on faisait des sites, de l’hébergement, l’équivalent d’une agence Web. On a fait ça deux ans et ensuite, on a voulu passer du service au produit avec mon associé. On a développé des moyens de paiement en ligne. On a développé cette entreprise qui est montée à 20 millions d’euros de chiffre d’affaires, on l’a vendue à Rentabiliweb qui était à l’époque un gros pilier du Web. En 2008, je suis tombé par hasard sur le poker. J’y ai joué au niveau international pendant deux ans. Ça m’a été utile pour ma carrière d’entrepreneur notamment. A mon retour en France en 2010, j’ai créé Prixing, une application qui comparait les prix pour savoir où acheter le moins cher grâce aux codes-barres. On a revendu en 2013 et en cherchant ma prochaine aventure, je me suis intéressé au bitcoin. J’ai été frappé par la foudre et je me suis dit que le bitcoin allait tout changer. Internet avait changé la manière dont on communique et la cryptomonnaie, la blockchain, allait modifier la manière dont on allait échanger des valeurs directement sur Internet. Pour moi c’était une révolution aussi importante que celle que j’avais vécue en 1996 avec l’arrivée d’Internet. On a décidé d’ouvrir un espace physique à Paris qui s’appelait la Maison du bitcoin [rebaptisée Coinhouse aujourd’hui]. On était les premiers à essayer de créer l’écosystème en France, d’évangéliser, de rassembler les ressources.

Et comment est arrivé Ledger ?

Dans le cadre de la Maison du Bitcoin, on a croisé la route de deux autres startups, ChronoCoin et BTChip, qui développaient des produits cryptos. On a fusionné pour créer Ledger fin 2014. Aujourd’hui, la Maison du bitcoin, devenue Coinhouse, vit sa vie indépendamment de Ledger. On a développé la boîte avec des périodes de croissance, des périodes compliquées pour arriver à cette grande entreprise, aujourd’hui. Une licorne avec un très beau développement. On apporte des solutions de sécurité mais aussi de gestion et d’accès de façon décentralisée. Aujourd’hui, les marchés cryptos sont secoués, de nombreuses places de marché sont en train de couler, ce qui renforce la croyance qu’il est important de bien garder une décentralisation et que chaque personne doit bien posséder ses clés. Tout ce type d’événements où des entreprises se rapprochent trop près du soleil, renforce la position de Ledger qui est là depuis longtemps et qui continue à asseoir sa position dans l’écosystème.

« Se mettre en retrait n’est jamais facile, mais Pascal Gauthier, le PDG actuel de Ledger, est plus à même d’assurer la transformation vers de nouveaux objectifs »

Dans un monde dématérialisé comme celui de la crypto, il est presque contre-intuitif de proposer un portefeuille physique d’actifs numériques comme Ledger.

Cela a un impact psychologique fort. Depuis que Ledger existe, on a vu que proposer quelque chose de physique dans un environnement virtuel joue un rôle de démocratisation. Ce n’est pas une construction de l’esprit. Quand on possède des bitcoins ou des NFT, ce qu’on possède vraiment c’est une information, cette fameuse clé privée. Cette représentation de la propriété rassure les utilisateurs. On a l’impression de posséder quelque chose, de l’avoir dans sa main. Ledger permet de posséder ses cryptos.

Pourquoi vous êtes-vous mis en retrait de Ledger ?

J’ai quitté mon poste opérationnel en 2019. L’entreprise a beaucoup grandi, on était une vingtaine au début et on s’est retrouvé à 300-400 salariés. Ce n’est pas les mêmes entreprises. On n’a pas besoin du même type de PDG. Je suis utile et pertinent pour sortir des projets de terre, mais quand il s’agit de les manager dans un cadre d’entreprise plus importante, il faut se rendre compte de ses limites et faire des choix qui ne sont pas faciles. Se mettre en retrait n’est jamais facile, mais Pascal Gauthier, le PDG actuel de Ledger, est plus à même d’assurer la transformation vers de nouveaux objectifs.

Qu’est-ce que ça fait de compter parmi les grandes figures de la crypto ?

Je suis heureux d’avoir cru en mon instinct et ma vision. Cela fait plaisir de voir que j’ai bien fait de m’accrocher et de ne pas écouter ceux qui disaient que je perdais mon temps et que j’allais ruiner tout ce que j’avais réussi à bâtir. Il y a des personnes bien plus importantes dans l’univers de la crypto que moi, je ne me dis pas chaque jour, « Tiens je suis quelqu’un ».

« On va traverser un nouvel hiver nucléaire de la crypto qui pourrait durer dix-huit mois »

Quand on regarde votre parcours, vous semblez avoir la bougeotte, non ?

J’ai besoin de changer, de faire de nouvelles choses. Aujourd’hui, je suis plus impliqué dans l’école Algosup qui forme des développeurs généralistes en cinq ans. J’aime bien m’intéresser à des choses différentes, il y a des cycles. Cela correspond à mon caractère, je ne suis pas le genre à rester vingt ans sur le même truc.

En parlant d’Algosup, quelle est votre position par rapport au manque de femmes dans le milieu des cryptos et de l’informatique en général ? Est-ce une question dont Algosup se saisit pour inverser la tendance ?

On ne peut pas se permettre de se priver de 50 % de la population mondiale. Les logiciels ne peuvent pas être conçus uniquement par des hommes. Quand Apple a développé son Apple Watch, les ingénieurs n’avaient pas intégré la notion de menstruation dans la partie santé parce qu’ils étaient des hommes. On ne peut pas développer des bons produits si on n’a pas de femmes. Evidemment Algosup se saisit de ce sujet. C’est difficile parce que d’un point de vue structurel et traditionnel, on doit aller à l’encontre de dizaines d’années où les femmes n’allaient pas vers des filières scientifiques ou technologiques parce qu’on leur a dit que ce n’était pas pour elles. Le recrutement de l’école se fait via un jeu vidéo et l’objectif est de le mettre entre toutes les mains, dont celles des femmes. Ce jeu analyse la capacité de la personne à créer et à répondre à des problématiques de développeurs. Par l’intermédiaire de ce jeu, on essaie d’attirer des talents de manière indirecte et d’améliorer la diversité.

Comment voyez-vous le futur du Web 3 et de la crypto ? Pensez-vous que le grand public adhérera à ces technologies ?

Depuis la création de bitcoin, il y a des cycles. Aujourd’hui, on parle d’un crash de la crypto, ce n’est pas le premier et ce ne sera pas le dernier. Ces cycles permettent d’assainir le marché mais ils recréent aussi des freins temporels. On va traverser un nouvel hiver nucléaire de la crypto qui pourrait durer 18 mois. La notion de temporalité est toujours difficile à définir, c’est compliqué de donner des enjeux de date et de temps. Mais, il ne fait aucun doute que cette révolution, à la fois technologique et monétaire, va continuer de suivre sa propre dynamique. Et il ne fait aucun doute que les cryptomonnaies, la notion de décentralisation, de Web 3, vont s’intégrer dans les business models classiques. On pourra parler de démocratisation de ces technologies le jour où le grand public les utilisera sans le savoir. On aura de plus en plus de couches d’abstraction qui viendront faciliter la gestion de l’utilisateur vers le Web 3. Cela implique aussi que Ledger continue de développer des solutions d’accès de plus en plus faciles. Quand on parle de l’avenir du Web 3, je pense que le modèle où l’utilisateur est le produit va s’essouffler. Il y a une prise de conscience des gens. Ils ont envie d’être impliqués dans le produit, d’avoir accès à un minimum de gouvernance, de pouvoir gérer et contrôler leur donnée et ne plus être exploité par le produit lui-même. La promesse du Web 3, c’est de remettre l’utilisateur au cœur du système de valeurs et de lui permettre de participer et de prendre une part de cette valeur. Cette évolution du modèle me paraît inéluctable.

« Avec le poker, j’ai beaucoup appris sur la nature humaine et sur moi-même, sur mes limites »

Vous avez dit que le poker vous a aidé dans votre carrière d’entrepreneur, comment vous en êtes-vous servi ?

En réalité, j’ai beaucoup appris sur la nature humaine et sur moi-même, sur mes limites. On peut parler du bluff mais c’est surtout négocier. Qu’est-ce que le bluff si ce n’est raconter une histoire ou changer les paramètres d’une conversation pour la replacer différemment. Ce sont les mêmes principes qu’une négociation. Ça apprend à gérer son risque et ses émotions, parfois à masquer ses émotions. Ça apprend à lire son adversaire, comprendre ce qu’il veut raconter. Ce sont des compétences qui peuvent se révéler très utiles. Dans certaines négociations et certaines levées de fonds, il y a des risques à prendre, on se met en danger. Parfois, je vais me rappeler de certaines parties de poker, de certaines situations dont j’avais tiré des enseignements et je les réutilise. Il y a un parallèle assez important entre le joueur de poker et l’entrepreneur. Il y a une dose de gestion de risque, un peu d’inconscience, une dose d’esbroufe. Je suis certain que d’avoir joué deux ans au poker m’a aidé dans ma carrière d’entrepreneur.

Lors de la campagne présidentielle, on a beaucoup entendu parler de Ledger lorsque le candidat d’extrême droite Eric Zemmour est venu visiter l’entreprise. Pourquoi ce rapprochement avec un candidat à la présidentielle ?

L’objectif de Ledger et de Pascal Gauthier était d’interroger les différents candidats à la présidentielle sur le sujet de la souveraineté et de la cybersécurité, qui sont des enjeux importants. Il se trouve qu’Eric Zemmour est la personne qui a répondu le plus rapidement et avec le plus d’empressement. Même en interne, le fait qu’Eric Zemmour soit venu chez Ledger a pu faire grincer des dents. Pascal Gauthier a dû se plier à l’exercice et gérer la situation. La solution n’était pas non plus de dire : « Je change d’avis, j’interromps tout ». D’autres candidats avec beaucoup moins d’exposition médiatique sont venus, mais c’est surtout Eric Zemmour qui a retenu l’attention. Le but n’était pas de faire une opération de communication sur Eric Zemmour. Cela a eu au moins le bénéfice de mettre un coup de projecteur sur les sujets que Ledger voulait aborder. On verra ce qu’on fera pour la prochaine élection…

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