• Les comportements toxiques, dissimulés sous l’étiquette du "divertissement"
  • Intoxiqués à l’amour malsain dès l’enfance
  • Pas tous égaux face à l’identification
  • Les dangers de la glamourisation
  • Prendre de la distance et chercher les bons exemples

L’année de mes 14 ans, je m’installais tous les soirs devant ma télévision pour regarder la quotidienne de la cinquième saison de Secret Story sur TF1. Mes moments préférés ? Ceux où l’on voyait le couple phare, Marie et Geoffrey – surnommés Barbie et Ken – duo que j’adorais détester. 

Malgré un casting cinq étoiles, cette année-là, ils étaient mes favoris, et pour cause : leur histoire d’amour mouvementée, ponctuée de crises de jalousie, de tentative de tromperie et de rabibochage. Leur fonds de commerce : leur “amour passionnel”, qui a même survécu au-delà de l’émission, parce que quelques mois après, je continuais à suivre leurs aventures dans un autre programme, sur une chaîne concurrentielle. 

Et aujourd’hui, les couples comme celui de Marie et Geoffrey pullulent dans les émissions de téléréalité. Parmi les plus connus : Nabilla et Thomas, Maeva et Greg, Carla et Kevin, Adixia et Paga, Vanessa et Julien, Alix et Benji, Virgil et Hilary, Julien et Ilona…. La liste semble sans fin (et a nécessité la participation de plusieurs de mes collègues). 

Amplifiée par les réseaux sociaux et leur immédiateté – qui fait qu’on n’a plus à attendre une quotidienne pour voir des couples se déchirer – la banalisation des comportements toxiques, en couple, est désormais monnaie courante

Mais finalement, il semblerait que ce ne soit que la continuité d’un schéma existant depuis la nuit des temps, au travers duquel la pop culture s’attèle à normaliser et même, à glamouriser, ces comportements. Alors, pourquoi cette formule fonctionne-t-elle ? Et surtout, a-t-elle des répercussions sur notre vision de l’amour (sain) ? 

Les comportements toxiques, dissimulés sous l’étiquette du « divertissement »

La plupart des œuvres de fiction, qu’elles soient racontées dans un livre ou sur un écran, dépeignent les relations amoureuses au travers d’un prisme relativement malsain, brouillant souvent les lignes du consentement, ou faisant passer la jalousie excessive pour de la passion. 

Bien souvent d’ailleurs, les couples qui véhiculent ces mauvais comportements sont des têtes d’affiche : Edward et Bella de Twilight, Big et Carrie de Sex and the City, Joe et Love de You, Chuck et Blair de Gossip GirlIls se sont tous déchirés sous nos yeux, pour finalement avoir leur happy end, balayant toutes leurs manipulations d’un revers de main et établissant ainsi leurs agissements malsains comme la quintessence de la romance

Tout le monde n’est pas en capacité de détecter la toxicité d’un programme. 

Mais si ces noms résonnent chez – quasiment – tout le monde, c’est bien parce que le drama et les relations mouvementées qu’on feuilletonne, déchaînent les foules – il n’y a qu’à regarder la dynamique des télé-réalités, où l’intrigue principale est rapidement oubliée, au profit des clashs et autres rebondissements amoureux. 

Parfois même, ces relations concernent. Certaines personnes pouvant y trouver un effet cathartique. “Le fait de trouver un programme attractif, c’est souvent parce qu’on se reconnaît dans le personnage qui résonne, émotionnellement, en nous. Ce besoin d’intensité relationnelle découle du fait que la personne n’évolue pas dans une environnement stable. Et encore faut-il qu’elle puisse voir la toxicité de ces histoires, parce que tout le monde n’est pas en capacité de la détecter”, analyse Laetitia Bluteau, psychologue clinicienne à Neuilly-Sur-Seine. 

Exemple parmi tant d’autres, l’histoire d’amour entre Rachel et Ross dans Friends. Une love story qui a rendu chèvre les fans de la série pendant dix saisons. Pourtant, quand on y regarde à deux fois, elle apparaît comme une histoire puérile entre deux trentenaires immatures, prêts à tromper leurs divers partenaires, pour leur bonheur personnel.  

Intoxiqués à l’amour malsain dès l’enfance

Le souci, c’est que ces relations, on nous en gave dès l’enfance, à coups de contes et de dessins animés. Pour Girlboss, l’experte en intimité, Allana Pratt, prend l’exemple d’un classique de chez Disney : La petite sirène. 

“La relation entre le prince Eric et Ariel est tout ce qu’il y a de plus superficiel. Quand elle arrive sur Terre, le prince ne se préoccupe pas de ses besoins, du fait qu’elle soit sans famille, parce qu’il est juste charmé par sa beauté et son chant. Et la représentation féminine dans ce film n’est pas mieux, Ariel est dans la volonté de le sauver, pour qu’il veuille bien d’elle”, argue l’américaine. 

Et pour Laetitia Bluteau, cette intoxication aux mauvais traitements ne s’applique pas qu’aux relations amoureuses. “Dans les dessins animés, les contes et les histoires pour enfants, il y a beaucoup de narration autour de la toxicité des relations familiales, quand on voit les marâtres notamment, qui sont des figures maltraitantes. Les relations parentales y sont souvent très caricaturales, avec la belle-mère cruelle et le père aimant”, analyse la psychologue.  

À noter que même en amitié, on n’échappe pas à cette toxicité, il n’y a qu’à regarder du côté des Frères Scott et des meilleures amies Peyton et Brooke qui se déchirent souvent pour les faveurs du protagoniste – encore plus toxique – Lucas, ou encore des frenemies Andy et Emily dans Le Diable s’habille en Prada. 

Pas tous égaux face à l’identification 

Mais, selon la psychologue, nous ne serions pas tous égaux.les face à cette identification. La preuve, les degrés d’intérêt pour ces programmes diffèrent, selon les personnes. Et celles et ceux qui s’y retrouvent le plus, n’établissent pas de distance entre les histoires racontées, et la réalité

Ainsi, quand il n’est pas un plaisir coupable, l’attrait pour ces histoires d’amour proviendrait de notre environnement familial et affectif. 

“Quand on a connu de la violence dans sa famille, ou dans une relation amoureuse, très jeune et qu’il y a eu de la manipulation, ou des grosses histoires de jalousie, le curseur va être difficile à poser, sur le spectre des relations. On va prendre l’intensité et la toxicité comme des preuves d’amour. Et quand cette réalité est renforcée par la pop culture, impossible de voir les choses différemment”, prévient Laetitia Bluteau. 

Les dangers de la glamourisation

Et ce flou, entre réalité et fiction, est particulièrement perturbant pour les jeunes enfants et adolescents en construction. Impressionnable, c’est souvent vers ce public que sont marquetées les émissions de télé-réalité et autres séries « romantiques ».

Laetitia Bluteau alerte, « ne pas vraiment comprendre la différence entre une relation saine et une relation malsaine, augmente la possibilité pour les personnes d’en être les victimes« .  

Violences verbales et physiques, dépendance affective, manipulation, « amour interdit » excitant… Souvent, dans la pop culture, l’agresseur, voit son comportement justifié par le fait qu’il serait un romantique excessif – s’il ne veut pas lâcher l’affaire, c’est parce qu’il t’aime, s’il est plus âgé – coucou Aria et Ezra de Pretty Little Liars – c’est qu’il est attiré par ta maturité… Alors que c’est souvent un personnage qui cherche à avoir l’ascendant, et qui démocratise l’idée que l’homme doit avoir du pouvoir sur la femme, dans la relation amoureuse hétérosexuelle.  

La glamourisation maintient une musique de fond : les relations sont dangereuses, on va être trompé.es. Et cette version explosive de l’amour rend la relation saine et ‘secure’, ennuyeuse.

Toujours pour Girlboss, Allana Pratt démystifie ainsi le film d’amour par excellence : N’oublie Jamais. 

« Je pense qu’ici, le plus grand malentendu est que la passion, c’est de l’amour. Dans le film, vous voyez que Noah envahit l’espace personnel d’Allie à plusieurs reprises, ce que nous pourrions qualifier de harcèlement. Il menace de se suicider, ce qui est la manipulation ultime. Et puis il est violent verbalement, et physiquement. Mais ces accès de colère sont si représentés dans le film, qu’ils en sont minimisés ou normalisés. Mais finalement, nous préférons penser que le véritable amour, se traduit par les 365 lettres qu’il a pu lui écrire, au lieu de lâcher prise et de la laisser passer à autre chose”, explicite-t-elle.

Et, bien qu’on puisse se dire que, ce n’est « qu’un film », il faut voir le problème dans sa globalité : ces représentations des relations amoureuses façonnent notre conception d’une histoire saine.

Abreuvées de pop culture, est-ce que les adolescentes ne vont pas trouver normal qu’un garçon qui les apprécie soit un peu méchant, voire poussif ? Et les adolescents, ne vont-ils pas comprendre la notion de consentement comme quelque chose de secondaire, quand dans tous les films, le garçon finit souvent par avoir la fille, parfois à l’usure ?  

« Là où cette glamourisation est mauvaise, c’est qu’elle maintient une musique de fond : les relations sont dangereuses, on va être trompé.es, on va devoir se méfier des autres. Et cette version explosive de l’amour rend la relation saine et ‘secure’, ennuyeuse », confirme Laetitia Bluteau.

Prendre de la distance et chercher les bons exemples

Mais finalement, on ne pourra jamais vraiment échapper à cet intérêt, l’industrie du divertissement répondant à une demande, presqu’inconsciente de l’humain.

« Cette passion pour les histoires des autres, ça fait partie de nous, se créer une narration, au sujet de son existence et questionner son rapport aux autres, c’est dans notre ADN. La relation, c’est une façon de se raconter, et de comprendre qui est l’autre« , analyse la psychologue. 

Il ne faut pas vouloir ressembler à ces protagonistes, mais prendre leurs expériences comme exemples de ce que nous ne voulons pas dans notre vie. 

Aussi, comme pour les faits divers, il y a un côté voyeur à scruter les émissions de télé-réalités. Voir les autres se déchirer peut nous rassurer, nous faire sentir supérieur.e. Laetitia Bluteau persiste et signe : « on cherche constamment à se jauger, à se comparer ». 

Mais, si la connotation positive des relations toxiques par la pop culture, semble inévitable, il est important de pointer du doigt, de quelle manière cette représentation est dérangeante. « Il ne faut pas vouloir ressembler à ces protagonistes, mais bien prendre leurs expériences comme exemples de ce que nous ne voulons pas dans notre vie », conseille la psychologue. 

Enfin, heureusement, la pop culture nous offre aussi pléthore de relations saines, desquelles on peut – dans la limite du raisonnable – s’inspirer. Pour ne citer qu’eux :  Pam et Jim, de The Office, Eleanor et Chidi, de The Good Place, ou encore Cameron et Mitchell, dans Modern Family, chez qui, certes, les disputes sont moins spectaculaires, mais la communication et le consentement sont érigés comme des valeurs inhérentes au couple. 

  • Pourquoi le film "365 jours" n’aurait jamais dû avoir de suite
  • L’ex toxique : faux romantique, vrai harceleur

Source: Lire L’Article Complet