Mère dévouée et toujours heureuse de l’être, « fille facile » et harcelée si elle se met rapidement en couple, mais coincée et aussi harcelée si elle refuse, fillette vêtue de rose des pieds à la tête, femmes rivales pour un homme infidèle… Les clichés sexistes se superposent à l’écran.
Dans Téléréalité : la fabrique du sexisme, paru il y a quelques jours aux éditions Les Insolentes, l’essayisteValérie Rey-Robert, spécialiste des questions de genre et de culture du viol, aussi consommatrice de ces émissions – s’en cacher serait du mépris de classe, démontre-t-elle dans l’ouvrage -, analyse cette image stéréotypée des femmes qu’ils diffusent.
Ils ? Les producteurs de téléréalité, qui ont le pouvoir de rendre cette télévision moins misogyne s’ils le souhaitent. En excluant définitivement de leurs programmes les hommes violents, d’abord. En castant et filmant les candidates et les candidats de la même manière, ou encore, en mesurant leur responsabilité lors du montage, lorsqu’ils choisissent de diffuser des scènes de violences sexistes aux répercussions dramatiques.
Entretien.
Marie Claire : La téléréalité existe en France depuis plus de vingt ans. A-t-elle toujours été sexiste ?
Valérie Rey-Robert : Oui, la téléréalité est sexiste et elle l’a toujours été. Mais je ne connais pas de productions culturelles – de la peinture aux comédies romantiques – qui ne le soient pas.
Humilier les femmes des classes populaires
À qui s’adressent ces programmes ? Quel message leur livre-t-ils ? Quelle vision des femmes leurs imposent-ils ?
C’est toute la thèse de mon essai : montrer que les téléréalités de coaching (Belle toute nue, Cauchemar en cuisine…), de vie collective (Les Marseillais, Les Anges…), ainsi que celles de dating (Mariés au premier regard, Et si on se rencontrait…) s’adressent aux femmes, et en particulier, à celles des classes populaires, en leur montrant d’autres femmes de classes populaires, voire très populaires.
Le but de ces programmes est de dire à ces spectatrices : « Vous voyez, quand on veut, on peut. Donc si vous vous débrouillez bien, si vous faites un beau mariage, ou si vous suivez les conseils de Cristina Córdula [présentatrice d’émissions de relooking et des Reines du Shopping, ndlr], vous pourrez changer de classe sociale, grâce à nous. Parce qu’on la générosité de vous montrer comment on doit s’habiller quand on est riche. Donc faites pareil et ça marchera peut-être pour vous ».
Les téléréalités méprisent ces femmes des classes populaires. Elles sont fondées sur des processus d’humiliation et de moqueries etsoufflent au public : « Regardez comme elles s’habillent mal les femmes des classes pop’, comme elles font mal leur mariage, comme elles élèvent mal leurs enfants ».
Dans cet essai, vous analysez différents clichés sexistes récurrents dans les téléréalités françaises actuelles, et notamment, la constante exposition et la sexualisation des corps féminins.
Dans les programmes de vie collective, les hommes sont filmés d’une manière différente que les femmes. La nudité de ces derniers n’est pas sexualisée. Alors que dans la franchise Les Marseillais par exemple, les femmes portent des maillots de bain dès le petit-déjeuner.
Les candidates de téléréalité apparaissent très souvent à l’écran en maillots de bain, même quand les circonstances ne le nécessitent pas.
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) avait justement souligné dans un rapport [intitulé « La téléréalité a 20 ans : évolution et influence », publié en janvier 2021, ndlr] le fait que les candidates de téléréalité apparaissent très souvent à l’écran en maillots de bain, même quand les circonstances ne le nécessitent pas.
Dans Koh Lanta, le maillot de bain deux pièces est même obligatoire, alors qu’il créé un désavantage sportif pour les candidates, une préoccupation – avec la peur qu’il s’enlève – durant l’épreuve.
Autre cliché sexiste qu’entretient vigoureusement la téléréalité : la rivalité féminine.
Dans les téléréalités de vie collective, comme Les Marseillais, il y a la figure masculine du « charo » [l’abréviation de « charognard », qui désigne un homme qui « court » après plusieurs femmes, ndlr], comme ils disent.
Ce rôle-là introduit une rivalité entre les femmes. Parce que les candidates qui ont supporté les infidélités des « charo » – qui ont cessé de les humilier et sont engagés désormais à leurs côtés – vont dire : « Je suis l’élue. Toutes celles avec qui il a couché avant ne comptait pas ». Sous-entendu : les autres femmes sont des « filles faciles ». Comme si cela rehausser leur qualité de femmes.
Des rôles extrêmement stéréotypés
Depuis qu’une génération de stars de la téléréalité française est devenue mère, de nouveaux programmes autour de la famille sont apparus sur nos écrans. Sont-ils aussi sexistes ? Diffusent-ils d’autres stéréotypes sur les femmes ?
Une émission qui s’appelle Mamans et célèbres et non Parents et célèbres – alors qu’un père parmi les candidats est connu dans ce milieu depuis plusieurs années tandis que sa femme était inconnue -, c’est déjà du sexisme.
Ces programmes alignent les stéréotypes de genre, sur la manière dont devraient être éduquer les petites filles et les petits garçons.
Dès la gender reveal [la fête prénatale durant laquelle le genre du futur bébé est annoncé, ndlr] mise en scène, qui est un moment de sexisme absolu, ces programmes alignent les stéréotypes de genre, sur la manière dont devraient être éduqués les petites filles et les petits garçons.
Et puis, ces nouvelles émissions expliquent en permanence que les pères et les mères ont des rôles différents. Ces candidates ont un travail, mais ce n’est jamais ce qui est mis en avant. Leur plus beau travail ? Celui de mère et d’épouse. Bien sûr, cela n’est jamais dit et montré pour les pères.
Sur les réseaux sociaux, ces candidates sont la cible de beaucoup d’attaques sur leur rôle de mère. Elles sont scrutées. Une prise de poids trop rapide durant la grossesse est critiquée. Trop lente ? Critiquée aussi. Toutes ont été accusées d’être une mauvaise mère.
Pour mieux lutter contre ces scènes sexistes, que devrait faire davantage, mieux ou différemment l’Arcom (ex-CSA, qui a fusionné avec Hadopi) ?
Il faudrait que l’Arcom ait une possibilité de réagir de manière rapide, puis que la sanction soit immédiate et lourde. Une punition d’une semaine de diffusion, par exemple.
Quand le CSA avait menacé la chaîne NRJ12 d’interdire Les Anges aux moins de 12 ans [en raison des propos stéréotypés, dégradants et sexistes, ndlr], la production avait commencé à faire attention à ce qu’elle diffusait.
En réalité, la majorité des programmes sont aujourd’hui sur les réseaux sociaux. En stories, chaque jour, les candidats font leur propre téléréalité. Là, il n’y a pas de CSA. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent.
Du casting au montage : la responsabilité des sociétés de production
Quelle est la responsabilité des sociétés de production ?
Quand les productions continuent à engager des candidats qu’ils savent misogynes et violents, ils sont responsables. Julien Guirado [candidat qui a débuté la téléréalité en 2013 et est apparu dans de nombreux programmes sur diverses chaînes, ndlr]a avoué en 2020 avoir été violent avec son ancienne compagne, aussi candidate de téléréalité, pourtant, il est revenu dans trois programmes depuis.
Ces sociétés de production sont aussi responsables de ne pas sanctionner de manière claire et immédiate les scènes violentes. Quand, dans Les Anges, un candidat met son sexe sur la tête d’une candidate, il ne se passe rien. La production ne condamne pas.
Leur responsabilité est aussi celle des choix éditoriaux. Quand, dans La Villa des cœurs brisés, la problématique d’une candidate [chaque candidat est « brisé » en amour et débute le programme avec une problématique à régler, ndlr] est résumée par « J’ai tout accepté par amour », alors qu’elle a en fait été victime de violences conjugales, par exemple. Ou quand, dans Dix couples parfaits, la production organise un jeu qui consiste à ce que les femmes devinent le nombre de partenaires des hommes, mais qu’elle ne propose pas aux candidats masculins l’inverse. Tout ça, ce sont des choix qui président.
L’immense responsabilité des productions réside dans le montage, leur choix de conserver et diffuser des scènes sexistes. De faire même du buzz dessus.
Les productions sont aussi responsables des coachs qu’ils engagent et apparaissent à l’écran, qui ont parfois poussé les candidates à avoir des relations sexuelles avec des hommes. Leur consentement n’est pas du tout respecté. Nous sommes totalement dans la culture du viol.
Et enfin, leur immense responsabilité réside dans le montage, leur choix de conserver et diffuser des scènes sexistes. De faire même du buzz dessus, quitte à ce que les candidates soient cyber-harcelées. Je pense à Léna, une ancienne candidate des Marseillais, qui, lors de sa première télévision, a été poussée par ses camarades à embrasser un candidat. Elle a dit « non » et a subi un important harcèlement sur les réseaux sociaux.
L’an passé, quelques candidates ou ex-candidates ont dénoncé, ensemble, des violences sexistes et sexuelles au sein de la téléréalité. Croyez-vous à l’émergence d’un réel #MeToo dans ce milieu ?
Un tel mouvement peut difficilement avoir lieu car la peur règne dans ce milieu. Tout ce système est verrouillé par les agents et les productions qui ont des rapports tout à fait troubles avec les candidats. Quand un producteur va liker des publications postée par un candidat, après que ce dernier ait dit être violent… Il devient compliqué pour la candidate victime de violences conjugales de parler.
Je pense que seules celles qui ne sont plus dans ce monde vont oser dénoncer ces violences. Ou alors les candidates les plus puissantes, mais elles accuseront les moins puissants des agresseurs.
Et puis, la plupart des candidates viennent de milieux extrêmement populaires. Quand vous sortez d’un quartier pauvre, que vous n’aviez pas un sou, pas un diplôme, et que, possiblement, vous vous êtes endettée pour des opérations de chirurgie afin d’entrer dans ce milieu, vous n’allez pas parler. Vous avez trop peur de perdre votre situation.
Tant que les médias ne s’empareront pas de ce sujet, il n’y aura pas de #MeTooTéléRéalité.
Depuis plusieurs années, je documente les violences rapportées par certaines candidates. Quelques unes parlent depuis longtemps, mais c’est vrai que leurs paroles ont explosé l’an dernier. À cette époque, j’ai informé plusieurs rédactions, qui m’ont répondu ne pas être intéressés, alors qu’ils avaient relayé toutes les vagues #MeToo : #MeTooThéâtre, #MeTooPolitique… Tant que les médias ne s’empareront pas de ce sujet, il n’y aura pas de #MeTooTéléRéalité.
Que, d’une part, les victimes de violences dans la téléréalité soient des femmes des classes populaires et certaines racisées, et que, de l’autre, personne ne s’intéresse à leur #MeToo, sont pour moi, deux évènements liés. Ce manque d’intérêt à ce qu’elles subissent n’est pas anodin. Il y a beaucoup d’indifférence. Beaucoup de mépris.
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