- Les utilisations incorrectes du langage psy
- L’autodiagnostic, du manque de ressources, à la mode des réseaux sociaux
- Victimes de l’effet Barnum : nos cerveaux à la recherche d’auto-validation
- Ce n’est pas parce qu’on a certains symptômes d’une pathologie qu’on en souffre
- De l’importance des ressources, pour se sortir de la spirale de la banalisation
Schizophrène, bipolaire, anorexique… Ces mots sont aujourd’hui des qualificatifs – parfois même des insultes – plus que des termes qui désignent des troubles psychiques.
Déclinable à toutes les pathologies mentales, l’utilisation de ces derniers, tirés de la psychologie et de la psychiatrie, est devenue courante. Et bien qu’elle paraisse inoffensive, cette banalisation n’est pas sans conséquences, que ce soit pour les personnes qui sont réellement concernées par ces troubles, ou pour celles qui les utilisent à tire-larigot.
“Le vocabulaire psy est passé dans la culture populaire à travers de nombreuses œuvres de fiction. Encore aujourd’hui, tous les feuilletons télévisés comportent une bonne part de psychologie, pour ‘donner de l’épaisseur’ aux personnages”, expliquait le sociologue et sémiologue, Robert Ebguy, à Psychologies en 2017.
Et désormais, ce sont les réseaux sociaux qui nourrissent le phénomène. Le langage psy n’y est plus seulement banalisé, on se l’est réapproprié, au service de l’autodiagnostic. Dre Janick Coutu, psychologue à Chambly (Québec), nous explique pourquoi il est important d’en finir avec cette banalisation.
Les utilisations incorrectes du langage psy
“Aujourd’hui, il y a deux façons de mal utiliser ces termes, qui ne sont plus exclusifs à nous, professionnels, expose la psychologue. Il y a ceux qui, pour la blague, font des raccourcis du type, qualifier quelqu’un de bipolaire, car il change d’humeur en quelques heures, et puis, il y a ceux qui font de l’autodiagnostic”, souligne Dre Janick Coutu.
Dans les deux cas, le vocabulaire utilisé est incorrect, mais surtout, vient invalider les « vraies » pathologies, minimisant ainsi la réalité de celles et ceux qui en souffrent réellement.
Pour la psychologue, cette banalisation reste cependant compréhensible. “Les gens aiment googler leurs problèmes et je le comprends, parce que c’est dur d’avoir un diagnostic de nos jours. Les services sont saturés”, regrette-t-elle.
Il est vrai que nous sommes tous.tes coupables d’avoir visité, au moins une fois, les sites spécialisés, à la recherche d’une pathologie pouvant expliquer une douleur ressentie à l’instant T. Au-delà de mettre un – faux – nom sur ses symptômes, il est aussi question d’évaluer leur degré.
“Des personnes peuvent vraiment souffrir d’anxiété, mais ne ressentent pas ce que vivent celles touchées par le trouble de la personnalité anxieuse, qui doivent apprendre à vivre avec, quotidiennement”, indique pour exemple notre psychologue.
L’autodiagnostic, du manque de ressources, à la mode des réseaux sociaux
Le souci, c’est qu’aujourd’hui, il n’y a qu’à ouvrir Instagram ou TikTok pour s’identifier à une pathologie. Depuis quelques mois, l’essor des vidéos “baisse ton doigt si” est fulgurant. Si, dans certains domaines elle est inoffensive, quand cette mode est utilisée sous l’angle psychologique, elle pose problème.
Les vidéos sur TikTok, c’est dangereux, parce que les gens ne font pas la distinction entre les vrais professionnels et ceux qui reprennent des informations.
Le pitch ? Présenter en quelques secondes des symptômes caractéristiques de troubles mentaux. L’utilisateur est invité à tenir une main ouverte et à baisser un doigt dès qu’il se reconnaît dans un de ces derniers. Au bout de quelques secondes, il se retrouve avec un diagnostic : si plus aucun doigt n’est levé, il souffre du trouble indiqué en fin de vidéo.
“Les vidéos sur TikTok, c’est dangereux, parce que les gens ne font pas la distinction entre les vrais professionnels et ceux qui reprennent des informations”, indique Janick Coutu, elle-même présente sur le réseau social pour debunker ces vidéos, qui « incitent les gens à s’auto-proclamer souffrant de telle ou telle pathologie”.
Victimes de l’effet Barnum : nos cerveaux à la recherche d’auto-validation
“Tout ça, mélangé à l’effet Barnum, ça ne fait pas bon ménage”, souligne Dre Janick Coutu. L’effet Barnum (aussi appelé effet Forer ou effet de validation subjective) est “un biais cognitif qui consiste à avoir tendance à se reconnaître dans des descriptions générales”, comme le définit Psycho Media. “C’est typiquement pourquoi les horoscopes fonctionnent d’ailleurs”, sourit notre spécialiste.
Pourtant, quand on s’y intéresse vraiment, on comprend que nos autodiagnostics ne tiennent pas debout. “Quand on regarde le nombre de personnes souffrant réellement de troubles bipolaires, par exemple, c’est de l’ordre de quelques pourcents seulement, donc on ne peut pas partir du principe que presque toute la population en est victime”, remarque Dre Janick Coutu.
On a l’impression que s’il n’est pas désigné, le mal-être est moins valide. Avec cette dénomination, on va pouvoir bénéficier de l’empathie des autres.
Seulement, pour notre cerveau en recherche de validation de son idée première, c’est une tout autre histoire. “Forcément, tout ce qui vient le conforter, devient une vérité vraie”, continue-t-elle.
Car, ce besoin de mettre une étiquette sur un mal-être est humain. « On a l’impression que s’il n’est pas désigné, le mal-être est moins valide. Avec cette dénomination, on va pouvoir bénéficier de l’empathie des autres, ce qui va en retirer aux personnes qui souffrent réellement de ces pathologies”, prévient l’experte.
Ce n’est pas parce qu’on a certains symptômes d’une pathologie qu’on en souffre
À tous ces facteurs, s’ajoute aussi l’effet de mode. “Souvent, il y a des vagues où tout le monde s’auto-proclame ci ou ça. En ce moment c’est l’hypersensibilité – qui, on le rappelle, n’est pas une pathologie, ndlr – qui à la cote, surtout en Europe », reconnaît Dre Janick Coutu, qui raconte avoir publié un TikTok à ce sujet et s’être fait lyncher en commentaires. « Dès qu’on retire les étiquettes, les personnes angoissent », réagit-elle.
Mais la psychologue est formelle, ce n’est pas parce qu’on répond à une ou plusieurs caractéristiques d’une pathologie, qu’on en souffre.
“Par exemple, quand on a du mal à se concentrer, on va vite vers le trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, mais ça peut être beaucoup d’autres choses, comme la dépression, l’anxiété, un manque de sommeil… », explique-t-elle.
Et cette pathologisation excessive n’est pas à prendre à la légère. “Si cela invalide les personnes réellement atteintes, parce qu’on va avoir tendance à se comparer et à minimiser leurs réactions, il y a aussi un vrai danger pour les personnes qui se persuadent d’être malade”, alerte la psychologue.
En effet, l’étiquette va venir inhiber le souci premier, qui va rester sous-jacent, mais surtout, l’autodiagnostic entraîne l’automédication.
“Même les traitements forts peuvent être accessibles. Si la personne arrive dans le cabinet de son médecin et demande tel ou tel médicament, parce qu’elle est TDAH, le professionnel ne va pas forcément demander des preuves, surtout que les personnes se documentent tellement bien qu’elles sont incollables sur le sujet”, prévient Dre Janick Coutu.
De l’importance des ressources, pour se sortir de la spirale de la banalisation
Toutefois, notre experte rappelle qu’il ne s’agit pas de culpabiliser les personnes, mais de valider la demande, pour que des changements sociétaux s’opèrent.
« C’est très dur de ne pas aller sur Internet pour avoir des réponses. Je comprends que le manque de ressources amène à ce type de comportements, voilà pourquoi il est important de sensibiliser”, nuance-t-elle.
Janick Coutu confie même que pendant ses études de psychologie, ses professeurs évoquaient déjà ce phénomène. “On nous disait qu’on allait se reconnaître dans beaucoup de cours, parce que notre cerveau cherche constamment à s’identifier, c’est normal, mais il faut le savoir”.
“Quand on a des gens qui viennent en thérapie, c’est un travail de déconstruction auquel il faut s’atteler, mais il y a déjà une volonté derrière. Sur les réseaux sociaux, les gens sont moins ouverts”, termine-t-elle.
Si poser un diagnostic en quelques clics peut être rassurant, il est important de toujours se référer à un professionnel de santé, qui saura déterminer l’origine du mal-être. Cela nous permettra d’abord, d’obtenir des réponses justes, et si besoin un traitement adapté, mais surtout d’arrêter de nous approprier des pathologies dont certain.es souffrent, souvent en silence, étouffé.es par la sur-utilisation de termes qui devraient rester la propriété des professionnel.les et des patient.es.
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