Entre père et fils, ç’a toujours été “je t’aime, moi non plus”. Dans un livre confessions, Anthony Delon raconte ces années parfois violentes et ce chemin, pavé d’obstacles, qui l’a amené sur la voie de la résilience. Une introspection émouvante.

« J’avoue que je me sens un petit peu en décalage. Parce qu’à cause des évènements actuels, la guerre en Ukraine, ces gens qui souffrent, cette misère qui nous renvoient aux moments les plus sombres de notre histoire, c’est vrai que mes ambitions personnelles semblent un petit peu légères et un peu superflues. Mais, je n’ai pas le choix, je suis obligé de le faire parce qu’il y a un calendrier. Voilà, j’ai écrit un livre. Seul. Tout seul. C’est important de le dire parce que j’en suis fier. […] Et le livre sort aujourd’hui. » Samedi 12 mars, Anthony Delon a choisi Instagram pour dévoiler le projet intime, personnel, qui l’occupe depuis des mois. Son livre. Son témoignage sur cette famille qui l’a tant fait souffrir, mais qu’il n’a jamais cessé d’aimer. Encore et toujours. Avec ce questionnement, universel. Comment dépasser ses peurs, ses blessures, ses déceptions. Comment ne pas reproduire le schéma imposé par une famille, où l’amour serait la première victime d’une malédiction qui se transmettrait de génération en génération.

À travers Entre chien et loup, Anthony Delon, 57 ans au compteur, dresse le bilan d’une vie avec ses mots à lui, soutenu dans l’épreuve et encouragé par sa fiancée, la comédienne italienne Sveva Alviti, à qui il rend hommage. Une introspection entre drames et joies, omerta et négation, amour et mépris. Entre violence et moments suspendus, inattendus. Entre chagrin et résilience. Et cette phrase de son père, lourde de sens, prononcée comme un couperet alors qu’il était encore enfant : « Tu sais, Tony, ma vie s’est brisée le jour où ta mère m’a quitté. » Sa mère, c’est Nathalie Delon, son coup de foudre rencontré dans une boîte de nuit en 1962, la seule qu’il a épousée. Mais qui a fini par le quitter en 1968 à force d’avoir été trompée. Sans réclamer une partie de sa fortune, tient-il à préciser. Un esprit libre comme il aime à le rappeler. À partir de là, « en laissant la frustration et la rancœur s’installer, délogeant ainsi l’insouciance de la jeunesse, il laissa le champ libre à une lente dépression qui commença à faire son lit insidieusement », écrit-il dans son livre.

Les fantômes du passé l’ont rattrapé, lui, Alain Delon, l’enfant abandonné, alors qu’il fondait tant d’espoir dans cette famille dont il avait tant rêvé. Mireille Darc avec qui il vécut une belle histoire d’amour par la suite (Anthony avait alors 5 ou 6 ans) l’avait bien cerné. Et ne cessa de protéger son « Tomino » comme elle l’appelait parfois. Une médiatrice quand le matin à Douchy, elle était contrainte d’envoyer Anthony faire un tour dans le parc car « il n’aimait pas me voir au réveil ». Des jours avec, comme quand il faisait des blagues pour « nous faire peur le soir » ou des goûters d’anniversaire, rue François Ier, avec un programme unique : projection d’un film… d’Alain Delon. « Pas de Walt Disney. […] Ceux qui voulaient dormir avaient le droit, ce n’était pas mon cas. Moi, je regardais mon père comme on regarde un dieu. » Des jours sans, comme cette fois où, attablé pour le déjeuner, Anthony eut le malheur de mal synchroniser ses mouvements pour manger : « C’est la fourchette qui va à la bouche et pas le contraire, […] il attrapa mon assiette et la projeta par la fenêtre grande ouverte accompagné d’un : “Tire-toi dans ta chambre ! ». Ivre de rage, il le rejoint et lui assène des coups de fouet : « Couché dans mon lit, je compris vite la suite et me mis en boule pour amortir les coups qui s’abattaient sur moi en claquant. » Une vague de violence incontrôlable.

Pourquoi tant de hargne ? Dès ses 10 ans, Anthony subit la foudre d’un père qui le considère dès lors comme un homme. Et plus comme un enfant. Le dresse à la schlague. Un jour, alors qu’il n’a pas plus de 12 ans, il lui intime l’ordre d’aller faire le tour du lac de 5 hectares dans le noir, pour lui prouver qu’il a « des couilles ». L’enfant s’exécute. Apeuré. Il aime ce père qui le soumet, plus qu’il ne le détruit. Du moins le pense-t-il. Et puis, il y a Loulou, son ange gardien, sa deuxième maman, la nounou qui veille sur lui et s’oppose à Alain Delon quand il va trop loin. À 14 ans, le jeune Anthony demande même à vivre avec ce père qui le terrorise autant qu’il le fascine. Quai Kennedy face à la Seine. Une courte éclaircie quand il le suit sur ses tournages à Boulogne ou à Los Angeles. En tête à tête. Mais l’enfant s’ennuie vite. très vite. Et notamment dans son lycée privé où il réussit l’exploit d’être viré dès les premiers jours de la rentrée. Enfant instable, roi des embrouilles qui ne sent bien nulle part, analyse-t-il dans ce livre où il n’élude aucune de ses bêtises passées, jusqu’à un vol de voiture qui le conduira à 18 ans, à faire un séjour d’un mois en prison. Les blessures d’enfance sont tenaces. Autant que la rancœur. Alain Delon ? « Un père irréprochable qui vient chercher son rejeton à la sortie de prison pour faire bonne figure dans la presse et le balancer ensuite comme un sac chez sa mère. » Les années passent, les incompréhensions, les disputes, les problèmes d’ego, une jalousie maladive à partager le nom de Delon se multiplient. Les non-dits aussi, comme ce jour où il apprend à la radio la naissance de sa sœur Anouchka, le 25 novembre 1990.

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« Des années durant, cette phrase résonnera dans ma tête accompagnée de mille questions, la plus douloureuse étant naturellement : m’aime-t-il ? » Certainement. À sa façon. Et puis Anthony est devenu père à son tour. Luttant lui aussi contre cette vague de violence et de colère qui prenait possession de lui. Notamment avec sa fille aînée Loup avec qui les rapports ont été compliqués au début. Mais Anthony résiste à « cette rage jouissive qui le soulagerait d’un trop-plein ». « Mes filles ont fait de moi un homme meilleur. » Nathalie, sa mère, jamais vraiment loin, l’épaule. Le soutient. L’encourage. Couve son « petit » comme elle le peut. « Une lionne dans un corps de moineau » qui a lutté contre le cancer avec courage et détermination. Jusqu’au pronostic final qui ne lui laissait qu’un mois à vivre. Ces trente-sept jours durant lesquels Anthony ne va pas la quitter. Jour et nuit. La filmant à sa demande pour que ses petites-filles sachent qui était leur « Mamouch ». Et cette supplique adressée à Alain : « Aime ton fils comme je l’aime, oubliez vos différends. » Le chemin de la résilience. Tendre vers le meilleur. Dans cette épreuve, Alain ne manquera pas à son devoir. Présent à ses côtés. Jusqu’à vouloir occuper un appartement qui se libérait dans l’immeuble voisin. « T’imagines, s’il s’installe ici, il sera tous les jours chez moi, je n’aurai plus de vie, ce sera un enfer », dit-elle alors avec humour à son fils. Alain et Nathalie, comme chien et chat. Mais un couple qui s’aime, s’attire. Elle le voit si fragile, elle qui a veillé sur lui lors de son accident vasculaire en 2019. Un choc terrible pour Nathalie, qui a pu déclencher, selon Anthony, son cancer du pancréas. Entre le père et le fils, les relations s’apaisent. Il lui demandera même de veiller personnellement à ne pas poursuivre les traitements si un jour il est « dans le coma branché pour vivre ».

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Le départ de Nathalie les a un peu plus rapprochés. Il fait preuve « d’une tendresse inhabituelle », lui téléphonant trois fois par jour, et l’appelant « mon tout-petit ». Alain, l’intransigeant, lui a même proposé de s’occuper de ses affaires, mais Anthony ne le souhaite plus. Sa marque de cuir, Anthony Delon 1985, lui prend du temps ; Et puis, sa petite sœur Anouchka le fait très bien. « Elle sera également son exécutrice testamentaire, fonction que j’ai refusée, il y a de cela une décennie. » Il est l’aîné, ô combien responsable, comme il a eu l’occasion, hélas, de le démontrer, mais désormais, Anthony cherche la sérénité. Et développe ses propres projets comme ce livre dont les droits ont déjà été acquis pour une série produite par son ami Dominique Besnehard. « En tirant bénéfice du pire, on obtient parfois le meilleur », conclut-il, philosophe. « Je pense avoir fait preuve de résilience, notamment grâce à des êtres qui, à différents moments de ma vie, m’ont montré la voie. […] Comme disait ma mère, la vie, c’est l’intelligence du cœur. […] Il faut savoir à ce moment précis poser les armes et tendre la main […] J’ai aimé et aime tous les membres de cette famille, du moins l’unique survivant à ce jour. » Une magnifique déclaration d’amour d’un fils à son père. Entre les lignes. Dans la grande tradition « delonienne ».

Crédits photos : JACOVIDES-MOREAU / BESTIMAGE

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