« Vous savez, il est très compliqué de la joindre. Il y a des sirènes, des bombardements… Elle se réfugie dans un bunker. » Alyona Shkrum n’est pas qu’une femme politique « interviewable » comme les autres nous rappelle son attaché de presse, tandis que nous avons ces derniers jours du mal à communiquer. Et pour cause, Alyona Shkrum, avocate et députée de 34 ans, est restée à Kiev, sous les bombes depuis l’attaque russe lancée il y a un mois, le 24 février 2022. La femme politique et citoyenne ukrainienne tient cependant à nous parler : il faut raconter ce qu’il se passe sur place.

Politiques, civiles : le rôle des femmes dans la guerre en Ukraine

S’éloigner du terrain pour aider son pays : voilà le rôle paradoxal et unique qu’elles endossent ces dernières semaines avec courage. D’une voix inquiète mais déterminée, Alyona Shkrum nous raconte cette nouvelle responsabilité, avant de nous confier ses craintes pour les femmes encore sur place, qui risquent de subir les exactions de certains soldats russes ou se retrouver victimes collatérales de la défense ukrainienne. Si elle admire celles qui s’engagent dans l’armée, elle supplie les autres de fuir. 

Marie Claire : Vous êtes actuellement à Kiev, où vous vivez et travaillez. Vous rentrez tout juste d’un court voyage à Londres. Quel était le but de cette mission diplomatique ?

Alyona Shkrum : Avec deux collègues députées [Lesia Vasylenko et Mariia Mezentseva, issues respectivement du parti de l’opposition « Voix », et du parti au pouvoir « Serviteur du peuple », NDLR], nous avons eu une réunion avec le Premier ministre du Royaume-Uni Boris Johnson, ainsi que les ministres de l’Intérieur et de l’Économie. Nous leur avons demandé de l’aide pour nos Forces de défense et la fermeture du ciel au-dessus de nos villes. Certaines questions ne peuvent être posées sur Zoom. C’est toujours plus fort et plus honnête quand on se déplace, surtout quand il y a la guerre, et qu’un voyage qui se faisait en trois heures d’avion prend désormais deux jours…

Oui, nous [les femmes politiques] avons un rôle à jouer dans cette guerre.

À Londres, vous étiez réunies en « bataillon de femmes », selon votre expression, avec deux autres députées. Les femmes politiques ukrainiennes ont-elles un rôle particulier depuis le début de l’invasion russe ?

Il est désormais interdit pour tous les députés, femmes et hommes, de sortir du pays. Nous avons eu une permission spéciale du Président Zelensky et du Président du Parlement. Cette dérogation n’aurait pu être accordée à des élus masculins, car une autre loi interdit aux hommes âgés de 18 à 60 ans de quitter l’Ukraine. Avec ces permissions de rencontrer des politiques à l’international, oui, nous avons un rôle à jouer dans cette guerre.

Mais toutes les Ukrainiennes ont aujourd’hui un rôle particulier, pas seulement les femmes politiques. Autour de moi, de nombreuses civiles ont rejoint l’armée. On compte plus de 32 500 femmes dans nos Forces armées, cela représente environ 15,6% du nombre total de militaires. Parmi elles, 900 occupent des postes de commandantes. Notre armée est désormais l’une des plus féminisées du monde. 

Il y a désormais plus de civils morts que de militaires et soldats ukrainiens.

Et vous ? Avez-vous pensé à prendre les armes ?

J’ai toujours été très « anti-armes » avant la guerre. Mais en tant que députée, cible des Russes, deux pistolets, dont un automatique, m’ont été distribué. Et chaque jour, un de mes collègues député me forme durant 15 à 20 minutes sur la manière de les utiliser et de les dissimuler.

À Londres, avez-vous aussi demandé aux ministres de l’aide pour les Ukrainiennes réfugiées au Royaume-Uni ?

Nous leur avons demandé la mise en place de cellules psychologiques pour aider les femmes réfugiées et leurs enfants. Celles qui ont fui Kharkiv il y a deux semaines n’ont presque rien vu des atrocités actuelles. Mais pour celles qui quittent aujourd’hui l’Ukraine, c’est vraiment terrible. Ce sont elles et leurs enfants qu’il faut accompagner. Je connais deux petits garçons qui ne parlent plus : le premier était traumatisé d’avoir passé une semaine complète dans un abri anti-bombes, l’autre était encore en état de choc trois jours après son évacuation de Boutcha, une petite ville près de Kiev.

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Le simple fait d’être une femme représente-t-il un danger pour leur sécurité ?

Oui, bien sûr. Cette dernière semaine, nous avons reçu de nombreux témoignages de femmes qui ont été violées par des soldats russes. Nous avons intercepté leurs échanges en ligne. J’ai entendu des conversations audio de ces militaires. Dans l’une d’elle, par exemple, un homme racontait : « Je suis entré dans cet appartement, je me suis servi à manger, ensuite, j’ai violé la femme et je l’ai tuée ». Le viol, c’est un autre choc de cette guerre.

Cette dernière question s’adresse à la jeune femme de 34 ans, et non à l’élue politique : comment vous sentez-vous ? Comment imaginez-vous votre futur désormais ? 

Mal. Ce sont des temps terribles. Cette question est très difficile, car ce sont aussi étrangement des temps merveilleux d’unité. Bien sûr que ce que nous fait subir Poutine est atroce, mais notre solidarité face à ce drame est unique.

Je reste à Kiev, j’ai fait le choix de rester même si la capitale est bombardée chaque nuit. J’accepte ce risque. C’est ici que je m’imagine élever mes futurs enfants. J’espère que l’Ukraine va sortir de cette situation plus forte que jamais, j’en suis même sûre. La seule question : à quel prix ? 

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