Alors que « Trauma », la première série originale de 13ème Rue, se termine ce soir, rencontre avec les producteurs Eric Laroche et Henri Debeurme qui nous ont parlé de la genèse de ce thriller français pas comme les autres et d’une possible saison 2.
Alors que la diffusion de Trauma, la première série originale de 13ème Rue, se termine ce soir dès 20h55 avec les deux derniers épisodes de ce thriller haletant et bien ficelé, les producteurs Eric Laroche et Henri Debeurme (également créateur du projet) sont revenus pour nous sur la genèse de cette fiction policière française pas comme les autres, qui voit Guillaume Labbé (Plan Coeur) incarner un flic amnésique qui découvre une jeune femme attachée dans son sous-sol et en vient à se demander s’il n’est pas le tueur en série qu’il traque. Coutumiers des séries à budgets modestes, avec Les Grands et Missions qu’ils ont produites avec Empreinte digitale pour OCS, ils nous ont également parlé de la liberté qui leur a été offerte par 13ème et des chances de voir une saison 2 débarquer un jour à l’antenne.
AlloCiné : Comment est née l’idée de Trauma ?
Eric Laroche : 13ème Rue est venue nous voir pour nous faire part de leur envie de se lancer dans la production originale française. Il se trouve qu’on avait déjà travaillé avec eux pour un programme court qui s’appelait Les Impitchables sur Syfy. Donc ils suivaient notre actualité et ils avaient envie qu’on travaille à nouveau ensemble. Et puis Henri a eu cette idée de personnage qui se prend une balle dans la tête et survit miraculeusement tout en étant atteint d’amnésie. Et qui revisite sa vie et se pose beaucoup de question sur la seconde chance et sur qui il était hier et qui il sera demain. Pour finir par trouver une jeune fille enchaînée dans la cave et se dire « Est-ce que c’est moi le tueur ? ». Ça les a tout de suite emballé et ensuite c’est allé assez vite. 13ème Rue nous a donné une grande liberté dans l’écriture, dans le choix de l’équipe, dans le casting. C’était très agréable de travailler dans cette confiance-là. Et surtout on était tous raccord. Le pacte qu’on a passé avec eux c’était « On ne veut pas faire une fiction qui ressemble aux autres séries françaises ». Et nous dans notre parcours, nos envies de production, et notre sériegraphie, c’est un peu ce qu’on a l’habitude de faire. C’est tout de suite ça qui nous a excité.
Henri Debeurme : Oui, 13ème Rue ne nous a pas donné de brief. Ils nous ont dit « On a vu ce que vous faites avec OCS, c’est trop cool » et on leur a dit « OK, mais avec OCS il y a un truc c’est la liberté ». Créative surtout car on a évidemment de grosses contraintes économiques. Ils nous ont dit qu’ils voulaient une série dans le genre thriller/polar et nous c’est vrai que c’était un genre qu’on n’avait pas encore vraiment exploré en série. C’était une vraie source de motivation et d’inspiration de se demander comment on allait faire une série française sur le terrain de toutes les séries françaises. On avait fait la science-fiction avec Missions, on était en train de se lancer dans la série d’horreur avec Marianne qu’on préparait à ce moment-là, et ces genres-là qui n’étaient pas du tout exploré à la télévision française nous offraient presque un certain confort. Même si en réalité ça tient plutôt du saut dans le vide. Là c’était tout l’inverse. On allait sur un genre surexploité à la télé et il nous fallait trouver notre identité dans ce genre-là et trouver notre petit pas de côté. Et Trauma c’était l’occasion pour nous de faire un pas de côté dans le genre thriller des séries françaises, qu’on respecte par ailleurs. On avait l’opportunité de faire quelque chose de très différent et c’est ce qui nous a motivé. Pour se différencier je me suis tout de suite dit qu’il fallait que notre personnage principal sorte des sentiers battus. On a pensé à The Fall, à Dexter, à toutes ces séries qui ont un peu révolutionné le point de vue des personnages et un genre. Un twist comme celui de Trauma c’était génial pour créer une mécanique sérielle.
C’est vrai que le concept du twist, très populaire dans le cinéma américain et dans certaines séries anglo-saxones, était assez peu utilisé en France jusqu’à présent…
Eric Laroche : C’est difficile de dire pourquoi on n’en voit pas. Je pense aussi que le genre policier est surtout présent sur les grandes chaînes gratuites et ces chaînes aiment appliquer des recettes, voire répéter des recettes. Et le twist nécessite quand même de partir d’un terreau de base, d’une recette, et tout d’un coup de la retourner. Et le twist est beaucoup plus pratique quand on est dans une narration feuilletonnante, là où les grandes chaînes sont davantage dans le policier bouclé. Il y a un meurtrier et il sera arrêté à la fin de l’épisode. Nous on avait envie de déployer quelque chose de plus vaste. Sans pour autant se dire « On fait un long métrage de six heures ». On voulait vraiment jouer avec des codes de séries. Et pour nous ces codes c’était le rebondissement, le twist, le cliffhanger, et l’humour.
Mais le but n’était pas non plus de faire du twist pour faire du twist. On voulait surtout tirer un fil. Assez vite on s’est dit que Trauma serait une série de point de vue. On voulait que les téléspectateurs épousent le point de vue de notre personnage principal. On le connaît très peu, au début ce n’est pas quelqu’un de très sympathique. Et quand il se prend une balle dans la tête tout est remis à zéro et nous en tant que spectateur on suit son point de vue. On découvre les choses qu’il découvre. Et au fur et à mesure des indices, il commence à se questionner. Il se demande « Qu’est-ce que j’ai fait avant ? », « Et si c’était moi le tueur ? ». Une fois qu’on a posé cette intention là, on sait que scénaristiquement parlant on va avoir plein de fils à tirer. Le coeur de la série il est là. Au final c’est pas « Qui est le tueur ? ». Il n’y a pas une envie de petit malin de révolutionner le genre. Le but c’est de se dire « Qu’est-ce qui fait que quand un épisode est fini tu as envie de continuer ? ». C’est ça le plus important dans les séries.
Et au niveau de l’écriture, comme est-ce que vous avez procédé ? Henri, vous êtes crédité en tant que créateur et producteur. Est-ce que vous avez simplement imaginé le concept ou est-ce que vous avez également écrit les scénarios à proprement parler ?
Henri Debeurme : J’ai imaginé le concept, la trame du premier épisode, et les suites possibles. Et ensuite j’ai écrit une sorte de pré-bible. Mais le personnage n’était pas un personnage de flic par exemple, il avait une autre profession. Et il y avait déjà des personnages qui sont encore là. Mais ensuite je n’avais pas envie de poursuivre l’écriture seul et je n’avais pas non plus envie d’écrire les dialogues. Et on avait vachement envie de travailler avec Aurélien Molas, dont on avait aimé le boulot sur Crime Time et sur Maroni. Donc on s’est dit qu’on allait lui confier la série. Et il a amené de très nombreuses choses nouvelles. Notamment que ce soit un flic. Ça amenait un vrai côté thriller évident à l’enquête. Il a réécrit la bible et le premier épisode, puis il est parti faire une autre série. Et c’est là qu’on a appelé Fred Grivois qui, en plus d’être réalisateur, est aussi un super scénariste. Mais on n’a pas fonctionné en mode « writer’s room », comme on avait pu le faire sur Missions où on avait écrit à trois. Sur Trauma on a plutôt marché par « empilement ». D’abord mon idée avec la pré-bible, ensuite la bible définitive d’Aurélien, et ensuite les scénarios avec Fred Grivois et Donald Hébert, qui est le co-scénariste des six épisodes. C’était intéressant comme façon d’écrire.
Avec 13ème Rue, vous aviez plus de moyens qu’avec OCS ?
Eric Laroche : Oui un petit peu plus mais on est encore loin du standard du sacro-saint prime-time télé.
Henri Debeurme : On avait 5 à 6 fois moins qu’un prime-time télé standard.
Eric Laroche : Et c’est comme ça qu’on acquiert notre liberté et qu’on peut tenter des choses. Et que Fred Grivois, au-delà de son talent et de son style d’écriture, est amené à déployer des parti pris de mise en scène assez forts. Avoir moins d’argent c’est probablement tourner plus vite. Et tourner plus vite, il n’y a pas de secret, c’est quand même huit fois sur dix être un peu radical. C’est une série que le public pourra peut-être juger par moments extrêmement cinématographique car il y a énormément de mouvements de caméra, là où la fiction française a un peu plus l’habitude d’être dans le champ-contrechamp. Fred et le chef opérateur ont mis en place beaucoup de mouvements techniques, ils ont déployé une grammaire cinéma sous influence de Fincher, de De Palma. Il fallait créer des ambiances. Et il fallait des variations d’intensité. Et quand on est dans une situation économique où il faut tourner beaucoup chaque jour, on devient vite inventif. Un réalisateur se retrouve challengé et les comédiens vont puiser des choses qu’ils n’auraient peut-être pas puisé autrement. Je ne dis pas que c’est le royaume idéal de ne pas avoir d’argent, mais nous ce qu’on essaye de faire c’est d’épargner les gens de ce problème. Et surtout le téléspectateur. Qu’on ait eu cinq fois moins d’argent que les autres, ce n’est pas son problème. On doit tout faire pour que ça ne se ressente pas.
Henri Debeurme : Je suis fier du résultat avec Trauma et je pense que les séries OCS c’est un peu ça aussi. OCS fait confiance à des producteurs et les producteurs font confiance à leur réalisateur. Donc ça c’est une relation qui est assez agréable. Ça s’est passé comme ça avec 13ème Rue, on est complètement tombé d’accord. Donc on espère que la série sera appréciée par les gens et qu’ils se diront « Tiens, dans cette façon de faire il y a des choses bien ». En plus les diffuseurs ils ont envie de choses différentes. Quand France 2 fait Zone blanche, ils prennent des risques. TF1 idem avec Le Bazar de la charité. Même s’ils ont évidemment des enjeux qui sont bien plus grands.
Et justement, vous chez Empreinte digitale, est-ce que vous avez envie de travailler avec ces grandes chaînes comme TF1 ou France 2 ?
Henri Debeurme : Bien sûr. À fond !
Eric Laroche : On fonctionne vraiment à l’enthousiasme. Il y a des histoires qu’on a envie de raconter et on essaye de trouver les meilleurs partenaires. Ou en tout cas les partenaires qui auront le même enthousiasme que nous. Alors effectivement Empreinte digitale a fait ses armes et ses gammes avec OCS, mais ensuite on a varié les interlocuteurs, on a fait des choses avec Studio+, 13ème Rue, Netflix récemment avec Marianne. Nous sommes ouverts à tout.
Quand Missions arrive sur la table, oui toute l’industrie nous regarde avec des gros yeux et nous dit « Les gars, faites pas ça, ça va être gênant ». Et pareil quand on fait Let’s Dance au cinéma, tout le monde nous dit « Un film de danse ? Non, faites plutôt des comédies populaires ou allez filmer des cailloux en noir et blanc ». Nous on veut juste montrer que c’est possible. C’est notre grille de lecture, c’est comme ça qu’on fonctionne. Trauma c’est aussi une façon de dire « On peut faire du thriller différemment ». C’est possible, on n’a pas à s’excuser d’être français. Tous ces genres qui nous ont fait vibrer et qui continuent de nous faire vibrer, cet amour du cinéma de genre, on n’a pas besoin d’être américain ou anglo-saxon pour l’épouser. On a une histoire culturelle extrêmement forte, on a les moyens de jouer avec les codes. On a des techniciens en France dans tous les domaines qui sont des tueurs. On peut le faire. Mais c’est vrai qu’il faut que toute la chaîne de responsabilité soit au diapason. Donc oui, si un jour le service public, TF1 ou M6 ont envie de travailler avec nous, on ira. Mais il faut trouver le projet qui nous réunit, l’envie commune qui nous réunit. Avec une promesse qui est respectée par tout le monde.
Henri Debeurme : Et moi à titre très personnel je suis téléspectateur de TF1 ou de M6. J’ai grandi en regardant la télé. Ma culture cinématographique et sérielle elle s’est faite en regardant M6. Le mardi soir il y avait les Indiana Jones. Il y avait X-Files, Les Contes de la crypte. J’ai grandi en regardant ces grandes chaînes-là. Il y a déjà plein de super séries sur ces chaînes d’ailleurs, mais on aimerait en voir plus et j’adorerais être spectateur d’une série qu’on aurait faite pour TF1 ou M6. Pour que ma mère puisse me dire un jour « Oh dis donc, j’ai vu ton nom dans un générique ». Car pour le moment elle n’a jamais regardé ce que j’ai fait (rires).
Trauma est une série bouclée. Est-ce qu’il pourrait quand même y avoir une saison 2 ?
Eric Laroche : Ce n’est pas pensé pour. Mais puisqu’on a pris beaucoup de plaisir en faisant cette série, forcément on y pense quand même. Ce sera pas simple mais ce n’est pas pas impossible. Il faudra être inventif. Il y a un truc qui est assez passionnant dans la vie des séries, c’est le défi de la saison 2. C’est-à-dire que lorsqu’un diffuseur vous dit « banco » pour une saison 2, il ne faut évidemment pas refaire la même, et en même temps on a besoin de satisfaire un public qui a apprécié la première saison et qui aura envie de retrouver des choses de cette saison 1 dans la 2. Tout en sachant qu’il n’y a pas pire sanction qu’un téléspectateur qui se dit « C’est un peu la même chose, c’est pénible ». Surtout aujourd’hui dans cette offre où il y en partout, tout le temps, et où la sanction tombe très vite. Donc le défi de la saison 2, qui nous pousserait à trouver soit une continuité, soit une logique d’anthologie, soit quelque chose d’organique qui ferait que la saison 2 serait évidente, ce serait génial.
Et la saison 2 de Marianne, est-ce que vous savez si elle va se faire ?
Henri Debeurme : On ne sait pas. Ça dépendra de Netflix et du succès de la série. Mais on y réfléchit. Et une saison 2 là, pour le coup, est totalement possible en terme de narration. Mais on a envie d’attendre de voir comment les gens accueillent la série. Et je pense qu’on a besoin de prendre un petit peu de recul.
Propos recueillis à Paris le 3 octobre 2019.
Guillaume Labbé nous parle de Trauma :
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