• Tous les vendredis, 20 Minutes propose à une personnalité de commenter un phénomène de société dans son rendez-vous 20 Minutes avec…
  • Fanny Herrero, la créatrice de Dix pour cent, fait l’ouverture de Séries Mania ce vendredi, avec sa nouvelle série pour Netflix, intitulée Drôle, sur le monde du stand-up.
  • La créatrice revient pour 20 Minutes sur l’essor phénoménal de cette scène et comment elle permet de raconter la société et les jeunes d’aujourd’hui en France.

La scène stand-up est en plein essor en France. Un phénomène qui n’a pas échappé à l’œil aiguisé de Fanny Herrero, brillante créatrice de Dix pour cent. Elle a choisi cette arène pour sa nouvelle série, Drôle, projetée en ouverture du festival Séries Mania à Lille et disponible sur Netflix  dès ce vendredi. Elle raconte à 20 Minutes comment ces spectacles d’humour permettent de parler de la société et des jeunes en France.

Après le succès mondial de « Dix pour cent », dans quel état d’esprit avez-vous attaqué ce nouveau projet ?

Avec beaucoup d’excitation ! Après sept ans intenses de Dix pour cent, j’ai eu besoin d’une pause. Pendant plusieurs mois, je n’ai rien fait. L’envie est revenue quand j’ai découvert la jeune scène du stand-up. J’étais assez euphorique d’aller m’intéresser à ce milieu que je ne connaissais pas. C’était cool de travailler sur un sujet où les gens sont très drôles, de voir plein de spectacles dans les comedy clubs, d’échanger avec eux. Ces personnages sont plus jeunes que moi, j’ai pris du plaisir à me reconnecter avec cette période de la vie, entre 25 et 30 ans, où l’on commence à s’affirmer.

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans le stand-up ?

Il y a trois ans, un ami m’a emmenée dans un comedy club. J’ai toujours été fan de Blanche Gardin, j’avais regardé un peu de stand-up américain, mais je ne connaissais pas vraiment ce milieu. Je n’avais pas conscience que cette scène était aussi vivante et vigoureuse. Cinq comedy clubs ont ouvert à Paris ces cinq dernières années et c’est la même chose en province. Cet art très jeune draine toutes sortes de gens. J’ai eu la conviction de tenir un prisme pour parler de la jeunesse et de la société.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris ?

Tellement de choses ! On croit souvent que les stand-uppers sont des jeunes qui ont la tchatche, prennent le micro et improvisent. Or, ils travaillent longtemps avant d’émerger, avec pugnacité, avant qu’une blague fonctionne. Cela m’a touchée en tant qu’autrice. J’ai découvert un vrai travail d’auteur. Et puis, le courage qu’il faut pour monter sur scène… Il y a beaucoup d’embûches, de bides. Ils le disent tous, même les plus confirmés. Les flops sont des moments de grande solitude et quand on déclenche le rire, c’est une telle satisfaction, comme une drogue. Cela m’a permis de comprendre l’intérieur de ce métier, les émotions par lesquelles ils passent.

Le stand-up est aussi un moyen de parler de notre société…

Drôle parle de quatre jeunes gens qui, chacun à leur manière, ont une vocation, l’ humour. Pour moi, l’humour relie les gens. C’est une expérience collective. Rire ensemble fédère. Quand quelqu’un fait rire, on est en empathie avec lui, surtout avec les stand-uppers qui racontent leurs expériences singulières, souvent intimes, que ce soit une vision de la société ou une anecdote. Drôle montre comment des gens avec des origines géographiques et familiales très différentes peuvent avoir un terreau commun. C’est une série sur ce qu’on a commun, plus que ce qui nous divise.

C’est particulièrement important en ce moment…

C’est très important de placer son regard à cet endroit ! On peut passer des heures à raconter et montrer ce qui nous divise. Il y a aussi tellement de choses qui nous rassemblent. A commencer par l’expérience de l’altérité, être capable d’écouter une autre manière de voir les choses. L’humour crée du lien et un récit commun. Ces jeunes gens, qui prennent la parole avec quelque chose qui leur est propre, prennent leur place dans un grand récit collectif français des années 2020. Drôle parle de prendre sa place dans un récit commun et de créer, grâce à cela, un ferment collectif dans une société.

Quel rôle jouent les stand-uppers dans la société selon vous ?

Ils ont la capacité de réunir, sans avoir peur de bousculer. Par l’humour, on fait une sorte de petite psychanalyse collective, on gratte les tabous. Parfois, cela heurte. On a beau dire cette phrase absolument exaspérante « Attention, on ne peut plus rien dire », on est dans un pays où on a une immense liberté de parole. Et tant mieux. Il n’y a jamais eu autant de gens qui font de l’humour, des garçons, des filles, de toutes les couleurs, orientations sexuelles et origines géographiques, sociales, culturelles et politiques. Les gens s’expriment, on n’est pas menacé par la cancel culture dans ce pays. Parfois, cela fait grincer, et tant mieux, cela fait débat. Quand les susceptibilités apparaissent, cela raconte la société à un instant T. Certaines blagues passent de mode. Celles sur les blondes ont beaucoup fait rire dans les repas de famille. On n’a plus tellement envie de les écouter aujourd’hui. Non pas parce qu’on est des féministes hargneuses, mais parce que la société évolue et qu’on peut inventer d’autres codes. Les minorités disent désormais : « Non, ce n’est pas marrant. C’est banal, cliché, stéréotypé et violent. » Les humoristes écoutent ces réactions. Ils reculent un peu si la blague n’est pas hyperfine. Parfois, ils croient à la nécessité de cette blague, et peut-être qu’ils ont raison. On n’est vraiment pas dans un pays menacé par la censure.

Trois de vos quatre héros sont issus de l’immigration, quel regard portez-vous sur la représentation des minorités ethniques dans les séries françaises ?

Cela s’est fait naturellement. Il se trouve que la scène stand-up attire pas mal de jeunes issus de l’immigration, mais pas que, parce que c’est un art populaire qui nécessite peu de moyens. Je n’ai pas eu l’idée d’un casting où l’on essaye de mettre de la diversité, ce avec quoi je suis absolument d’accord, mais le sujet a appelé cela. On a une responsabilité dans les séries d’essayer de montrer la France telle qu’elle est. Un récit déclenche des imaginaires. Quand on agrège ces récits, ça finit par faire des modèles, des représentations. On a passé des années à mettre les femmes dans certains emplois, à la fin, on a des idées reçues. Et c’est la même chose pour les gens issus de l’immigration, si on les cantonne à certains emplois, ça finit par être comme une réalité. Notre responsabilité est de déjouer les stéréotypes, de s’intéresser aux personnes quelle que soit leur couleur de peau. Dans Drôle, on a des personnages avec des couleurs de peau différentes, c’est leur expérience de vie qui m’intéresse. Ces quatre jeunes gens absolument Français ont quelque chose à nous raconter de la France.

On voit rarement un personnage d’origine algérienne aussi positif que Nezir… Est-ce politique ?

Ce n’est pas une stratégie, mais une réflexion. J’ai beaucoup discuté avec des personnes non-blanches. Je suis une femme blanche de 45 ans, je sais bien qu’à un moment, je dois faire preuve d’énormément de curiosité pour accéder à une vérité. Je faisais attention quand on m’alertait en disant : « C’est un peu cliché ». C’est très important pour moi d’être fine et vraie. Lors du casting pour le personnage de Nezir, beaucoup de jeunes acteurs proposaient un jeu parfois un peu caricatural. Cela me faisait de la peine parce que je me disais qu’ils croyaient que c’est cela qu’on attend d’eux, le p’tit mec de banlieue un peu énervé. On va très mal dans ce pays pour que les mômes aient intégré à ce point-là ces clichés.

Avec Apolline et Nezir, vous abordez la trop rare question de la classe sociale….

C’est fou ! On a une fâcheuse tendance en France à omettre les classes sociales, à préférer justement parler d’origine ou d’immigration là où il faut parler d’injustice sociale et de partage des richesses. Apolline et Nezir sont nos Roméo et Juliette, l’un venant d’un milieu très populaire et plutôt défavorisé tandis que l’autre vit dans un hôtel particulier. Ils ont l’humour en commun. Ce couple permet de voir qu’on peut avoir à la fois des choses qui nous relient et des béances d’injustice. Quand Nezir découvre cet hôtel particulier incroyable, j’espère qu’on se le prend vraiment dans la figure, comme une claque. Il ne peut pas soupçonner ce monde, c’est d’une grande violence. C’est important pour moi d’en parler parce qu’on est dans nos pays industrialisés sous un régime économique capitaliste assez effrayant dans les inégalités sociales.

Avec le personnage de Bling, vous abordez la question de la page blanche, une façon d’exorciser ses angoisses en tant que créateur ?

Bling incarne ce moment en tant qu’artiste où on perd confiance en soi, où on a l’impression de ne plus être en phase, de ne plus avoir de choses intéressantes à dire. Il cherche des palliatifs, à faire comme si, pour ne pas se confronter à ses limites. Etre artiste, c’est réussir à se connecter à là où on en est à l’instant T et en faire quelque chose. Si on est sincère et qu’on transmet bien ce qu’on a traversé, cela touchera plein de gens.

Avec Aïssatou, vous abordez la question de la conciliation entre carrière et maternité…

Je suis féministe. Cela me paraît tellement normal et inévitable de l’être. Cela passe dans mon travail, mais ce n’est pas ni un étendard, ni un manifeste. Je mets dans mes personnages féminins des choses que j’ai traversées. J’ai deux enfants. Ma fille est née en plein milieu de Dix pour cent. Le couple, la famille, la carrière, les dilemmes, la culpabilité, etc. Je l’ai vraiment éprouvé et j’ai envie de le raconter. Aïssatou est plus jeune que moi, à un moment où tout commence pour elle. Elle se demande où mettre son énergie : dans son expression personnelle ou dans le fait de s’occuper de son enfant qu’elle aime ? Je montre aussi le point de vue du couple. Je trouve beau de raconter comment son compagnon est déstabilisé par ça et finit par être en soutien. On a besoin que les hommes et les femmes arrivent à partager des moments de leur carrière et de leur vie dans l’équilibre et l’égalité.

Younès Boucif, Mariama Gueye, Elsa Guedj et Jean Siuen, vous avez choisi des nouvelles têtes pour jouer vos héros…

Je croyais fort à des comédiens pas très connus. On a envisagé de prendre de vrais stand-uppers, mais je ne voulais pas qu’ils charrient leur image. Avec Dix pour cent, j’ai donné dans le mélange du vrai et du faux. J’avais envie d’authenticité et de vérité !

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