Les préjugés ont la vie dure.

« Contrairement aux idées reçues, qui persistent même parmi les professionnels de santé, les affections cardio-vasculaires ne sont pas l’apanage des hommes, assure le Pr Claude Le Feuvre, cardiologue à l’hôpital Pitié-Salpêtrière (Paris). Leur impact chez les femmes est non seulement sous-estimé, mais il augmente aussi en flèche, y compris chez les jeunes.

Une progression liée à l’évolution de leur mode de vie depuis 30 ans : « en vivant au même rythme que les hommes, elles en ont adopté les mêmes mauvaises habitudes : tabac, mauvaise alimentation, stress, manque d’exercice physique… », explique la Fédération Française de Cardiologie.

Sous-représentées dans la recherche -et plus particulièrement sur l’insuffisance cardiaque, la coronaropathie ou le syndrome coronarien aigu1 les femmes souffrent également de retards de diagnostics qui peuvent leur être fatal. D’où l’importance de la prévention et de l’information.

Maladies cardio-vasculaires, première cause de mortalité des Françaises

Pour preuve : aujourd’hui, 25% d’accidents cardiaques surviennent avant 65 ans, contre 15% en 20022.

Si les femmes redoutent davantage la survenue d’un cancer du sein, les dysfonctionnements cardiaques et vasculaires (infarctus du myocarde, embolies pulmonaires, accidents vasculaires cérébraux…) sont aujourd’hui devenus la première cause de mortalité féminine.

Avant la ménopause, les femmes se croient totalement protégées par leurs hormones. Certes, les oestrogènes naturels tendent à diminuer le taux de mauvais cholestérol et à maintenir la souplesse des artères. Mais entre les contraceptifs qui grippent le cycle hormonal naturel (pilule, anneau vaginal…) et le changement radical de mode de vie intervenu au cours des deux dernières décennies, cette protection physiologique est de moins en moins efficace.

Victimes des temps modernes

Travail à un rythme soutenu, pression de la hiérarchie, crainte de perdre son emploi, déjeuners « sur le pouce », alcool… Les femmes sont dorénavant soumises au même stress que les hommes et s’exposent en conséquence aux mêmes facteurs de risques cardio-vasculaires qu’eux. Et des pathologies comme le diabète et l’hypertension ne les épargnent pas non plus.

Une étude canadienne, de l’université de l’Ontario, a ainsi clairement prouvé en août 2012 que l’excès de tensions professionnelles était deux fois plus délétère pour une femme que pour un homme. Pour une patiente diabétique, le risque d’attaque cardiaque est également deux fois plus élevé que pour un homme touché par un diabète de même ampleur. Quant à l’obésité féminine, elle engendre un sur-risque cardio-vasculaire de 64 %. Celui-ci ne dépasse pas 46 % pour le sexe opposé. Même chose pour les prédispositions familiales : une femme dont un parent au premier degré (père, mère, frère ou sœur) a souffert d’un infarctus a davantage de risques qu’un homme d’en subir un à son tour.

En outre, le tabagisme féminin a considérablement progressé. Combiné à la prise d’une pilule contraceptive, il constitue un mélange explosif, surtout au-delà de 35 ans. Le duo pilule-tabac décuple en effet les risques d’hypertension et de formation de caillots sanguins susceptibles de boucher les artères. Et à l’approche de la ménopause, patatras ! La fragilité cardio-vasculaire est décuplée.

« En l’absence d’un traitement hormonal substitutif, les risques deviennent soudain plus importants en raison de la carence en oestrogènes, de la prise de poids (tenace à cette période), de l’apparition possible d’un diabète, d’un excès de cholestérol, etc. », constate le Pr Claire Mounier-Vehier, présidente de la Fédération Française de Cardiologie (FFC) et chef du service de médecine vasculaire et hypertension artérielle à l’hôpital cardiologique de Lille.

Les femmes, grandes oubliées de la recherche

Comme la plupart des recherches ont été menées sur la gent masculine, la manière spécifique dont s’expriment les troubles cardio-vasculaires chez les femmes est moins connue. Un constat que déplore l’Académie nationale de médecine dans un rapport publié en juin 20163. Une étude, menée en 2008, démontrait déjà qu’elles ne représentaient que 10 à 47% des cohortes de 19 essais cliniques liés au cœur.4

Des inégalités que la Fédération Française de Cardiologie compte bien voir se réduire en 2018, en participant à plusieurs projets de Recherche. À commencer par la création d’un score de risque en fonction des antécédents de santé et du mode de vie (en collaboration avec l’équipe INSERM Université Paris Sud / Institut Gustave Roussy).

La FFC soutiendra également l’étude française WAMIF (Young Women Presenting Acute Myocardial Infarction in France), qui analysera pendant 18 mois les caractéristiques cliniques, morphologiques et biologiques de près de 200 femmes de 18 à 50 ans victimes d’infarctus du myocarde. Le but : mieux comprendre les causes prédisposant à cette pathologie chez les sujets jeunes afin de mieux le prévenir et le diagnostiquer. Enfin, un projet nommé BACCARAT aura pour objectif de déterminer un lien éventuel entre la radiothérapie, suivi exclusivement par des femmes atteintes d’un cancer du sein, et des déficiences cardiaques qui peuvent survenir parfois vingt ans après.

Des symptômes plus difficiles à interpréter

Autre difficulté : mieux déceler les symptômes annonciateurs d’un infarctus chez la femme.

« Ils se manifestent généralement chez l’homme sous forme d’une douleur aigüe à la poitrine, à la mâchoire, dans le cou, le dos, l’épaule ou le bras gauche, affirme le Pr Mounier-Vehier. Chez la femme, les indices peuvent être plus diffus, donc plus difficiles à interpréter : on observe parfois des douleurs thoraciques, mais souvent plutôt une sensation de brûlure au creux de l’estomac, des nausées ou des vomissements, des sueurs froides, une difficulté à respirer, un sentiment d’anxiété, une impression de faiblesse généralisée… »

Des signaux que l’on peut facilement confondre avec une indigestion, un pic de stress ou des bouffées d’anxiété. Sans compter le machisme de certains médecins qui considèrent les femmes plus instables émotionnellement, voire hystériques !

Une étude de l’université McGill de Montréal, publiée en mars 2014 dans le Canadian Medical Association Journal, a ainsi démontré qu’en cas de syndrome coronarien aigu, nombre d’urgentistes hospitaliers américains et européens posent un premier diagnostic différent selon le sexe du patient. Ils redoutent immédiatement un infarctus pour un homme. Mais suspectent plutôt une crise d’angoisse chez une jeune femme. Résultat : à gravité équivalente, la population féminine est moins bien prise en charge médicalement. Elle est traitée une heure plus tard en moyenne que les hommes, ce qui amenuise considérablement les chances de guérison.

Seulement 29 % des femmes se voient, par exemple, proposer un électrocardiogramme dans les dix premières minutes de consultation, contre 38 % des hommes. Pas étonnant, dans ces conditions, que la mortalité des femmes soit deux fois supérieure à celle des hommes en cas d’infarctus à moins de 50 ans. Et quand la crise cardiaque survient à plus de 65 ans, le risque de décès dans l’année qui suit est plus important : 42 %, contre « seulement » 24 % chez ces messieurs. À gravité équivalente, la population féminine est moins bien prise en charge médicalement. Elle est traitée une heure plus tard en moyenne que les hommes.

Des troubles féminins spécifiques méconnus

Plusieurs spécificités féminines expliquent cette incroyable injustice. Mal informées sur leurs fragilités cardio-vasculaires, les femmes ont déjà tendance à réagir moins vite que les hommes. En cas de malaise, elles appellent par exemple les urgences trente minutes plus tard qu’eux, selon une enquête du Samu. « Certaines particularités anatomiques jouent aussi en leur défaveur, reconnaît le Pr Mounier-Vehier. Les artères des femmes sont plus étroites. Elles se bouchent donc plus rapidement. Et cela rend le geste chirurgical (angioplastie) inévitablement plus compliqué. »

Le dépistage reste en outre délicat chez elles dans la mesure où leurs artères coronaires principales ne sont pas forcément atteintes, comme c’est souvent le cas chez les hommes. Chez nombre de patientes, il s’agit plutôt d’une altération de la microcirculation cardiaque, liée à l’obstruction des tout petits vaisseaux qui alimentent le cœur. Lors d’un examen d’imagerie (coronographie), ces minuscules anomalies passent souvent inaperçues.

L’importance de la prévention

« Toutes les femmes en début de ménopause, ou celles qui présentent un ou plusieurs facteurs de risques, devraient bénéficier d’un check-up cardio-vasculaire, soutient le Pr Mounier-Vehier. L’idéal est de demander une échographie d’effort, car si les tests pratiqués sur tapis roulant sont pertinents pour déceler une fragilité cardiaque chez l’homme, ce n’est hélas pas toujours le cas chez la femme. »

Pour évaluer votre risque individuel et obtenir un accompagnement personnalisé, rendez-vous sur le site de la Fédération Française de Cardiologie. Une plateforme propose des tests, des conseils ainsi que des fiches pratiques adaptées à chaque profil de patient. Elle offre aussi la possibilité de dialoguer gratuitement en direct tous les mois avec des cardiologues sur des sujets variés (diabète, cholestérol, etc.), et de bénéficier d’un coaching instantané en toute confidentialité. Idéal pour s’informer, faire le point sur un traitement et adopter des réflexes qui garantiront la santé durable de votre cœur (https://www.fedecardio.org/test).

1- Journal of the American College of Cardiology, mai 2018 : http://www.onlinejacc.org/content/71/18/1960
2 – Santé Publique France, mars 2016 : http://invs.santepubliquefrance.fr/fr/Actualites/Agenda/Colloque-Les-femmes-au-coeur-du-risque-cardiovasculaire
3 – Académie nationale de médecine, juin 2016 : http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2016/06/PARITE%C2%B4-V3-5-JUIN.pdf
4- JACC Vol.52, No. 8, 2008 Correspondence 673 August 19, 2008 :672-5

Article mis à jour par la rédaction, initialement publié en février 2015.

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