• Quand le décès d’un designer fait monter la cote de popularité d’une marque
  • Rareté et personnification des maisons
  • Quand le départ d’un designer nuit à une maison de mode

« Un article d’archive incroyable et extrêmement collector. » Sur Vestiaire Collective, l’annonce se veut volontairement aguicheuse. Sur les photos, on y voit un gant de soie blanc recouvert de strass façon Michael Jackson et imprimé d’un court texte au niveau de l’intérieur de la paume.

Plus qu’une réplique de l’un des accessoires rendu mythique par Michael Jackson, il s’agit en réalité de l’invitation du défilé Louis Vuitton homme Automne-Hiver 2019, l’un des shows les plus marquants imaginés par Virgil Abloh pour la maison de luxe. Son prix ? 1350 euros.

Et ce n’est pas la seule de ses créations que l’on retrouve sur les Internets. Depuis le décès brutal du directeur artistique de la marque au célèbre monogramme, des annonces similaires ne cessent de foisonner sur les sites d’achat et revente de pièces de luxe.

« Je ne vends pas pour me faire de l’argent. J’ai acheté tout ça après la terrible nouvelle car j’en avais besoin pour compléter ma collection. Mais j’ai trop dépensé… » confie un revendeur au site WWD, ce dernier ayant recensé une douzaine de pièces Louis Vuitton signées Virgil Abloh sur le site américain Grailed, à peine une semaine après la disparition de ce dernier.

Quant à la communauté des sneakers addicts, elle s’arrache sans compter les modèles de baskets exclusifs issues des collaborations entre sa marque Off-White et l’équipementier Nike, avec des prix de reventes délirant pouvant avoisiner les 9000$, soit plus de 4 460% d’augmentation par rapport au prix de vente initial.

Et quand à ceux qui n’ont pas le salaire de Jeff Bezos à mettre dans une paire de chaussures aussi rare soit-elle, ils se rabattent sur des produits dérivés de l’héritage mode de Virgil Abloh.

« J’ai demandé le livre Virgil Abloh x Nike pour Noël : je l’avais déjà repéré depuis longtemps car je suis fan des baskets, mais le fait qu’il soit décédé a clairement déterminé mon envie de l’avoir sur ma table basse. » nous avoue Marion, 30 ans, qui se décrit comme une fan raisonnable du designer américain.

Quand le décès d’un designer fait monter la cote de popularité d’une marque

Ce n’est pas la première fois que le décès d’un créateur de mode ultra-populaire vient booster la désirabilité – et par extension la valeur pécuniaire – des vêtements et accessoires qu’il a imaginé.

En mars 2019, à peine un mois après la mort de Karl Lagerfeld, Vestiaire Collective notait ainsi une augmentation de 558% des ventes du sac Baguette de Fendi mais aussi une hausse de trafic de 42% sur les pages du site dédiées aux produits estampillés Chanel, du moins selon The Financial Review.

L’an passé, dans les heures qui suivent le suicide de la créatrice américaine Kate Spade, quelques unes de ses pièces iconiques comme le sac Sam font la une des homepage de site de revente comme Poshmark à des prix gonflés jusqu’à plus de 600% de leur valeur initiale.

Pourtant cela faisait plus de 10 ans que la créatrice n’occupait plus le poste de directrice artistique de sa marque éponyme, revendue depuis 2006 à plusieurs fonds d’investissement successifs.

Avant la sienne, c’est la disparition tout aussi tragique d’Alexander McQueen qui avait entraîné une augmentation de ses ventes, les fans inconditionnels du sulfureux designers britanniques jetant alors leur dévolu sur ses plus récentes collections comme sur les pièces de ses débuts, y compris celles revendues dans des états de conservations douteux.

« Il y a vraiment eu une tornade pour McQueen. » se souvient le consultant Robert Burke dans les colonnes du Wall Street Journal.

Rareté et personnification des maisons

« Quand Yves Saint Laurent est décédé, il y a eu une hausse de personnes voulant acheter du YSL. C’est toute la force de la mode : ce n’est pas un bien de consommation comme un autre. » complète-t-il, soulignant que le lien émotionnel, sentimental que les amateurs de mode peuvent avoir avec un designer survit allègrement à la mort de celui-ci en raison de la nature même de ces créations, assimilables à des œuvres d’art.

« De la même manière que la côté d’un artiste augmente après son décès, le prix des pièces de designer vont augmenter pour la simple raison que son travail va devenir rare, puisqu’il n’y aura pas de nouvelles pièces qui seront produites. » explique l’historienne de la mode Valerie Steele, directrice du musée de la mode du Fashion Institute of Technology.

Une sorte de loi rationnelle de l’offre et de la demande en somme, à laquelle s’ajoute l’ultra personnification des marques de luxe qui tendent à confondre leur identité à celle de leur directeur artistique, a fortiori quand ce dernier en est aussi le fondateur.

« Il vient apporter un investissement émotionnel et un élan créatif que beaucoup d’acquéreurs ont du mal à recréer par la suite. » commente au New York Times Bobbi Brown, la créatrice de la marque de maquillage éponyme et amie proche de Kate Spade.

« De nos jours, a fortiori avec tous ces médias, les gens sont devenus des marques à part entière. Ce n’est plus seulement les produits qu’ils enfilent sur leur corps. » abonde-t-elle.

Une logique de starification que les designers de la nouvelle génération tels que Virgil Abloh, suivi encore aujourd’hui sur Instagram par plus de 7 millions d’abonnés, viennent pousser à son apogée.

Quand le départ d’un designer nuit à une maison de mode

Et si leur décès fait vendre, leur simple départ inopiné à la tête d’une maison iconique peut tout aussi bien provoquer des pics de vente et de popularité, a fortiori quand leur présence faisait (déjà) l’objet d’un culte digne de celui porté à un gourou par sa communauté.

« Il s’est produit le même phénomène lorsque Phoebe Philo a quitté Céline. Les gens voulaient s’assurer d’avoir un « morceau » de cette histoire. » note Fanny Moizant, la co-fondatrice de Vestiaire Collective, sur The Financial Review.

Et c’est parfois lorsque le successeur est officiellement annoncé que les ventes s’affolent de façon inopinée, l’acceptation ou le rejet de cette nomination par les inconditionnelles de la marque conditionnant la désirabilité des collections antérieures.

Quand Hedi Slimane a été désigné pour reprendre Céline, les pièces de la marque imaginées par Phoebe Philo ont vu leur valeur bondir de près de 30% sur les sites de revente comme The RealReal.

Sur Instagram, les comptes célébrant l’héritage artistique de la créatrice ou dénichant les archives en vente sur la toile se multiplient et comptent des dizaines de milliers d’abonnés.

De quoi inciter les grandes maisons de couture à respecter une période de deuil après le départ d’un designer star, qui peut par ailleurs s’avérer fatale pour la pérennité de la maison.

Et pour cause la complicité, le sentiment de proximité que les clients d’une marque peuvent ressentir avec son directeur artistique peut en effet être aussi bénéfique que néfaste pour cette dernière.

Après en avoir fait son visage pendant près de 15 ans de bons et loyaux services, Lanvin n’a ainsi jamais tout à fait réussi à se remettre de sa rupture avec le couturier Alber Elbaz dont le génie créatif, mais aussi la personnalité particulièrement adorée par toute la fashion sphère, constituait l’essence stylistique même des collections de la maison.

Si l’habit ne fait pas le moine, il semble bien que ce soit ce dernier qui, aujourd’hui, fait la valeur du premier.

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